La Presse Bisontine 174 - Mars 2016

22 DOSSIER I

La Presse Bisontine n° 174 - Mars 2016

Archevêché

Monseigneur Jean-Luc Bouilleret

“Nous revendiquons la liberté d’être croyants” L'Église entre dans une ère nouvelle sous l’influence du Pape François. Jean-Luc

Bouilleret, archevêque de Besançon invite les chrétiens à affirmer leur foi. Cela fait partie des nouveaux chemins de l’évangélisation.

L a Presse Bisontine : Quelle considération avez-vous à l’égard de la Fraternité Saint- Pie X de Besançon, perçue comme schismatique et qui réunit les catholiques dits intégristes ? Monseigneur Bouilleret : Je n’ai aucun contact avec cette com- munauté. Elle n’a pas cherché à prendre contact. Je ne sais pas comment elle considère l’évêque de Besançon que je suis. Même si son origine est marquée par l'Église catholique, pour moi elle n’appartient pas à l’Église Catho- lique romaine qui est sous l’autorité du Pape François. Le point de rupture, je le rappelle, est le Concile Vatican II, auquel s’est opposé Monseigneur Lefebvre qui a fondé la Frater- nité Saint-Pie X. Or, on ne peut pas être dans l’Église sans accep- ter le Concile Vatican II. L.P.B. : En revanche, les catholiques de la Fraternité Sacerdotale Saint- Pierre, dits traditionalistes, sont recon- nus par l’Église. Pourtant cette com- munauté a été créée par des membres de la Fraternité Saint-Pie X. D’ailleurs ces deux communautés célèbrent la messe en latin d’une manière très ritualisée. Quelle différence faites- vous ? Mgr.B. : La différence est que la Fraternité Saint-Pierre est en communion avec Rome. Elle exerce sous ma juridiction. C’est Monseigneur Daloz qui a don- né la possibilité à cette com- munauté de célébrer la messe à l’église de la Madeleine. Ce n’est pas une histoire de latin, mais d’une non-acceptation du Concile Vatican II en ce qui concerne la Fraternité Saint- Pie X. L.P.B. : La Fraternité Saint-Pie X regret- te qu’on ne lui accorde pas d’église pour célébrer la messe. Que lui répon- dez-vous ? Mgr.B. : Alors que cette commu- nauté estime ne pas être dans l’Église,il n’y apas de raisonqu’on lui octroie un lieu de culte.

Mgr.B. : L’Église est en mutation. Elle n’est pas en crise. Elle doit chercher des chemins nouveaux pour l’évangélisation. Il faut que les fidèles témoignent de leur foi. L.P.B. : Faut-il comprendre que les chrétiens catholiques ont du mal à assumer leur religion et la pratique qu’ils en ont ? Mgr.B. : Non. Je crois que dans notre culture il n’était pas néces- saire jusque-là de témoigner. Mais aujourd’hui, ce n’est plus naturel d’être chrétien. On le devient. L.P.B. : Pourquoi inviter les chrétiens à témoigner de leur foi ? Mgr.B. : Jusque-là le travail de transmission de la foi se faisait par la catéchèse. Même s’il y a encore 1 000 catéchistes dans le diocèse de Besançon, moins d’enfants suivent l’enseignement religieux. Cela ne va plus de soi d’être croyant. L’enjeu est de réussir le passage entre la spi- ritualité et la foi chrétienne. Ce n’est parce qu’une personne est spirituelle qu’elle devient chré- tienne. Il y a une démarche à faire. Cette année, 14 adultes vont être baptisés. Ce qui me frappe dans les catéchumènes, c’est la diversité sociale et cul- turelle de ces gens. L.P.B. : Peut-on dire aussi que votre démarche est d’obtenir un sursaut de la part des chrétiens face à une reli- gion comme l’islam où la pratique reli- gieuse est plus marquée ? Mgr.B. : L’Église est toujours vivante. 55 % des Français s’estiment être de tradition catholique. L’islam, c’est entre 4 et 5 %. Le débat n’est pas là. Nous voulons amener les chré- tiens à attester de leur foi. Il y a de bons germes. Nous prépa- rons les J.M.J. (journées mon- diales de la jeunesse). Nous allons y conduire cent jeunes du diocèse. La nuit de Noël, j’ai été frappé par la présence de tous ces jeunes. Je crois que les laïques ont pris conscience que l’Église était aussi leur affaire. L.P.B. : Pensez-vous que le contexte politique soit propice à la radicalisa- tion de catholiques ? Mgr.B. : Je n’entends pas que des communautés se radicalisent. Mais je sens chez les jeunes catholiques une envie plus for- te d’attester de leur foi. Ces nou- velles générations disent qu’elles sont catholiques. Elles sont plus convaincues, plus convaincantes, mais elles ne sont pas dans la radicalisation, au même titre que l’Église ne verse pas dans le communautarisme. En revanche, elle fait communau- té. L.P.B. : Quels sont les grands chan- tiers qui attendent l’Église ? Mgr.B. : Le premier chantier est

Monseigneur Jean-Luc Bouilleret : “L'Église ne verse pas dans le communautarisme.”

celui des migrants. La commu- nauté chrétienne fait un gros travail pour les accueillir. Des paroisses ont ouvert leur pres- bytère. Le Secours catholique est très impliqué comme le ser- vice de la Pastorale desMigrants de Besançon. “Vous aimerez l’émigré car au pays d’Égypte, vous étiez des émigrés” (livre du Deutéronome). Nous ne sommes pas dans l’action politique mais dans la relation de partage et de générosité. L’Église est dans le monde. L.P.B. :Quels sont les deux autres chan- tiers ? Mgr.B. : Il y a l’encyclique du Pape François sur la C.O.P. 21. Il nous rappelle la responsabilité que nous avons vis-à-vis de notre sœur la terre. L’enjeu environ- nemental est fondamental pour

préserver notre maison com- mune. Nous sommes sur une crête par rapport à l’avenir de l’humanité. L’enjeu de la survie de l’Homme est posé. Mais je crois en la capacité de l’Humanité à se prendre en main. Le troisième point concerne le dialogue inter-religieux pour que les croyants issus des trois religions monothéistes (chris- tianisme, judaïsme, islam) conti- nuent d’échanger. L.P.B. : Comment percevez-vous le débat sur la laïcité ? Mgr.B. : Tel qu’il est posé, le pro- jet consisterait à éradiquer la religion de l’État. L’État est neutre, certes. Mais la société ne l’est pas. Elle est faite de croyants et de non-croyants. Nous revendiquons la liberté

à la fin a-t-elle un avenir ? Nous sommes dans une société de l’immédiateté. Or, il faut s’accorder le temps de la réflexion lorsqu’il est question des grands mouvements de société. Je sou- haiterais que le fameux princi- pe de précaution si souvent invo- qué le soit davantage lorsqu’on touche à l’Homme. L.P.B. : Comment vont vos fidèles dans cette période troublée ? Mgr.B. : Les fidèles sont dans l’espérance. Nous sommes en mutation. Il faut que la chenille devienne papillon. L’Église n’a que 2 000 ans. C’est une vieille dame qui rajeunit avec le temps. Des mutations, nous en avons vécu beaucoup et de toutes sortes. jours un élément dis- tinctif. Propos recueillis par T.C.

d’être croyants au même titre que les non- croyants reven- diquent la leur. La foi n’est pas en contradiction avec l’intelligence et la raison. L.P.B. : Que répon- dez-vous à ceux qui estiment que l'Église est en retard

L.P.B. : Il existe d’autres groupes de prière à Besançon. Quels sont-ils et appartiennent-ils à l’Église ? Mgr.B. : Il y a en effet d’autres groupes de priè- re comme la communauté de l’Emmanuel ou la communauté duCheminNeuf. Ce sont des groupes qui sont dans l’Église. L.P.B. : Comment va l’Église, alors que la pratique religieuse aurait tendance à se perdre chez les catholiques ?

“Les fidèles sont dans l’espérance.”

“La foi n’est pas en contradiction avec l’intelligence.”

sur les grands débats de société et qu’elle devrait faire preuve de plus d’ouverture et de modernité ? Mgr.B. : Finalement elle est peut- être plus en avance qu’on ne l’imagine sur les grands sujets de société qui touchent à la digni- té de l’Homme. Une société qui ne respecte pas la vie du début

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