La Presse Bisontine 174 - Mars 2016

DOSSIER

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La Presse Bisontine n° 174 - Mars 2016

Une messe d’un autre temps C’est en l’église de la Madeleine que les pratiquants du culte traditionaliste se réunissent pour la messe dominicale. Le grand rendez-vous liturgique hebdo- madaire pour les “tradis” bisontins. Besançon Église de la Madeleine

Le décorum et le cérémonial sont beaucoup plus solennels

U n dimanche pluvieux de janvier, 10 heures du matin. Devant l’église de la Madeleine, trois mili- taires en treillis montent la garde, mitraillette en bandoulière. Drôle d’accueil pour un lieu de culte, mais c’est l’état d’urgence qui veut ça. Les fidèles arrivent par petites grappes, la messe va commencer.

Chaque dimanche, c’est le même rituel : la procession des servants et des prêtres jusqu’à l’autel, l’orgue qui vibre et les chants en latin qui résonnent dans l’église. Le ton est donné, bienvenue à la messe version “forme extraordinai- re du rite romain”, en clair, la messe traditionaliste. Aujourd’hui, c’est le dimanche dit de la sexagésine. Chants en latin - à

chez les “tradis”.

l’exception de quelques très beaux chants en français -, prières en latin, et prêche d’un autre temps où le prêtre, par la voix de Saint-Paul, invoque que “les épines du plaisir ne vous étouffent pas. Nous avons tous des échardes par lesquelles Satan nous gifle” clame l’orateur. Puis vient la prière du Cre- do (“Je crois en Dieu”), chantée en latin également, avec ses génuflexions de rigueur. Le prêtre énonce ensuite le calendrier de la semaine : la messe chantée de 19 heures le lendemain, “avec la bénédiction des cierges” , puis le surlendemain à 17 h 45, l’adoration, puis la messe du groupe scout le ven- dredi, suivie de l’adoration et des com- plies (la dernière prière quotidienne des chrétiens à la fin du jour, après le coucher du soleil). Le samedi suivant, c’est le rosaire (une prière catholique composée de quatre chapelets d’oraisons, consacrée à Marie). “Vous pourrez rap- porter votre rameau de l’an dernier pour confectionner les cendres” enjoint le prêtre. La quête, elle sera faite “pour les lépreux.” À la fin de l’office, une patrouille de scouts a préparé au fond

de l’église un stand de confi- series et de pâtisseries. “Pro- fitez-en avant le Carême !” sourit l’abbé à ses fidèles. L’assistance - quelque 250 personnes - est recueillie. Des dames au chapeau noir occupent le premier rang. Et pour troubler l’ambiance de recueillement, quelques cris épars d’enfants. De jeunes parents promènent des poussettes dans le fond de l’église pour tenter de calmer l’impatience. Les plus grands enfants, sou- vent tirés à quatre épingles - quelques garçonnets en

transmises, pas de surprise. “Le but d’une bonne homélie est de faire ren- contrer le Christ, de nourrir la vie spi- rituelle. Mais on vit dans le réel, donc on essaie de donner aux fidèles notre avis sur la marche du monde” explique l’abbé Moreau, un des deux prêtres qui officient. Les positions sont parfois radicales. Le mariage pour tous ? “Il faut bien sûr accueillir les personnes homosexuelles dans l’Église, elles y ont toute leur place, mais l’Église ne peut pas avaliser tous les projets. On ne peut pas accepter de mariage entre deux per- sonnes du même sexe.” Les migrants ? “La position de l’Église est de dire que nous devons accueillir les migrants, mais dans la mesure du possible. Il faut avoir un regard de sagesse et de prudence à la fois.” Bref, aucun sujet de société n’est tabou pour les tradi- tionalistes qui ne manquent pas de les évoquer, à leur manière, lors des céré- monies. Les fidèles y trouvent leur compte. Ils sont nombreux à avoir choi- si cette frange de l’Église aux prin- cipes plus… carrés dirons-nous. J.-F.H.

“On vient ici parce qu’on y trouve un esprit de famille.”

bermuda et longues chaussettes, des fillettes au col Claudine - écoutent plus sagement, d’autres tentent de tuer leur ennui comme ils peuvent. Une des autres caractéristiques de cet- te messe traditionnelle, c’est la jeu- nesse majoritaire de l’assistance. “On vient ici parce qu’on y trouve un esprit de famille” note un fidèle de la messe dominicale de 10 heures. Pour les idées

État d’urgence oblige, des militaires montent la garde devant la Madeleine le dimanche matin.

Les “tradis” ne sont pas des parias de l’Église Qu’est-ce qui différencie un catholique “classique” d’un traditionaliste ? Éléments de réponse avec le père Jean-Baptiste Moreau, un des deux prêtres de la Fraternité Saint-Pierre à Besançon. Rencontre L’abbé Jean-Baptiste Moreau

O n l’appelle - c’est un peu pompeux mais le Pape Benoît XVI l’a vou- lu ainsi - “la forme extraordinaire du rite romain.” Cette liturgie grégorienne, ou traditionaliste, deux prêtres sont à son service à Besançon : les abbés Jean-Baptiste Moreau et Bertrand Lacroix. Longiligne, paraissant plus élan- cé encore dans sa soutane noi- re qu’il porte à longueur de jour- née, l’abbé Moreau est un trentenaire fringant à l’allure un poil austère, mais à l’accueil prévenant. C’est lui, avec son confrère Bertrand Lacroix, qui préside aux destinées de cette Église traditionaliste dans le diocèse de Besançon.Car contrai- rement aux partisans de Mon- seigneur Lefebvre, mis hors jeu dès 1988 par le Pape, eux sont bien partie prenante de l’Église catholique officielle. Ils s’occupent ainsi de tous les fidèles répar- tis sur le territoire du diocèse de Besançon qui souhaitent vivre cette liturgie plus pointilleuse. “Comme les aumôniers des pri- sons ou des hôpitaux, nous ne

L’abbé Jean-Baptiste Moreau dans la petite chapelle aménagée à l’étage du presbytère des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre, rue Francis- Clerc à Besançon.

cèses. La communauté des fidèles de la Fraternité Saint-Pierre comp- te entre 350 et 400 fidèles qui se rendent régulièrement aux offices liturgiques à l’église de la Madeleine. 90 % originaires de Besançon et de la couronne bisontine, 10 % de Haute-Saô- ne ou duHaut-Doubs. “On reçoit notre mission de l’archevêque de Besançon pour s’occuper des fidèles qui ont cette aspiration spécifique originale” note l’abbé Moreau. C’est-à-dire ceux qui sont attachés à la messe et aux chants en latin, aux curés en soutane et au respect strict des règles de la liturgie, celle d’avant le Concile de Vatican II qui a réformé l’organisation de lames- se au milieu des années soixan- te. “Je porte la soutane comme le Pape ou les cardinaux. Mais quand je joue au foot ou que je fais du jardin, évidemment je ne la porte pas. Le latin, c’est le lien indispensable avec le chant gré- gorien auquel le français ne se prête pas. Et ce trésor du chant grégorien nous semble porteur du trésor de la vie spirituelle” justifie le jeune abbé.

sommes pas rattachés à une paroisse territoriale en tant que telle. Les offices se déroulent la plupart du temps à l’église de la Madeleine à Besançon où se retrouvent les fidèles de la région de Besançonmais aussi d’ailleurs dans le diocèse. Et le week-end, l’abbé Lacroix va assurer leminis- tère à Belfort” confirme le reli- gieux. La présence des traditionalistes sur Besançon remonte à plus de 25 ans. À l’époque menées par l’abbé Claude Michel qui était alors proche de la Fraternité Saint-Pie X (les cathos extré- mistes), les ouailles de l’abbé

Michel ont choisi avec lui de suivre le Pape lorsque le schis- me entre le Vatican et M gr Lefebvre s’est produit en 1988. La Fraternité Saint- Pierre, née de cette séparation, s’est développée depuis cette date sur Besan- çon. Sur le territoi- re national, elle a essaimé dans une quarantaine de dio-

Si la forme change avec les catho- liques traditionalistes, le fond reste le même. Les “tradis” ne sont donc pas des parias de l’Église : “On participe à la gran- de fête du diocèse, aux fêtes chris- males, aux ordinations. Je fais également partie du groupe des jeunes prêtres dans lequel je côtoie tous mes jeunes confrères” pré- cise Jean-Baptiste Moreau. La jeunesse est sans doute aussi un des traits de caractère des “tradis” : les deux prêtres basés

à Besançon ont moins de 40 ans, l’accueil de la jeunesse à travers le scoutisme et le service de la messe est développé et le fait que ce soient les curés eux- mêmes qui enseignent le caté- chisme semble plaire aux familles traditionalistes. C’est vers l’âge de 16 ans que Jean-Baptiste Moreau découvre la forme extraordinaire du rite, en tant que fidèle. Après plu- sieurs désillusions dans quelques séminaires français, il décide

d’intégrer le séminaire de Wigratzbad enAllemagne (Baviè- re) qui est la seule maison de formation de la Fraternité Saint- Pierre pour les aspirants prêtres français. Envoyé à Besançon pour se for- mer en tant que diacre, il sera ordonné prêtre en 2008, à l’âge de 28 ans. Depuis cette date, Jean-BaptisteMoreau est la figu- re emblématique des “tradis” de Besançon. Leur père spirituel. J.-F.H.

Les “tradis” ne sont pas des parias de l’Église.

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