La Presse Bisontine 172 - Janvier 2016

22 DOSSIER I

La Presse Bisontine n° 172 - Janvier 2016

Saône

Correspondant Météo France

Jacques Duquet, la mémoire du temps À 81 ans, Jacques Duquet est correspondant local de Météo France. Chaque jour depuis trente ans, il relève les températures et les données de pluviométrie que lui fournit sa station météo à Saône.

Jacques Duquet transmet chaque jour, par Internet, ses relevés à Météo France. Sa station météo se situe à 397 mètres d’altitude.

C haque matin, vers 8 h 30, Jacques Duquet se livre au même rituel. Son calepin à la main, il relève conscien- cieusement les températures fournies par la station météo instal- lée au fond de son jardin. “Je note la température maximale de la journée d’hier et la température minimale de la nuit. Je relève également la quanti- té d’eau tombée quand il a plu, et je mesure l’épaisseur de neige quand il y en a” détaille Jacques Duquet qui vit à Saône dans un hameau proche de l’aérodrome. À 81 ans, ce retraité de l’agriculture est aussi correspondant local de Météo France depuis trente ans. Une mission qu’il remplit quoti- diennement avec sérieux. Car toutes ces données, il les consigne dans un grand cahier de correspon-

dance qu’il remet une fois par mois au bureau bisontin de Météo France. L’octogénaire fait également un rap- port quotidien par Internet de ses obser- vations à l’opérateur historique du temps, précisant au passage que le ciel

est nuageux, ensoleillé, ou qu’il y a du brouillard. En cas d’orage, il indique l’heure a laquelle il a écla- té. “Je peux retrouver le temps qu’il a fait tel jour sur les trente années qui viennent de s’écouler. Tout est noté” annonce Jacques Duquet. Il nous apprend ainsi que des trois dernières décennies, c’est le 12 jan- vier 1987 qui a été le plus froid à Saône. La tempé- rature est descendue à -

“J’ai toujours été en contact avec la nature.”

26,1 °C ! À l’inverse, c’est le 13 août 2003, année de la canicule, qui a été le plus chaud : le mercure est monté à 39,1 °C ! Quand au jour le plus plu- vieux, il s’agit du 24 octobre 1999, trois mois avant la tempête. Il est tombé 83 millimètres d’eau en 24 heures. Ces centaines de relevés sont lamémoi- re du temps qu’il a fait. Leur précision apporte un éclairage utile sur un sujet, la météo, qui fait toujours beaucoup parler. “Entre le ressenti que les gens

Aujourd’hui, le retraité porte toujours lemême intérêt à lamétéo. Il s’intéresse au changement climatique qui était au cœur de la Cop 21. Jacques Duquet avoue que ces évolutions sont imper- ceptibles au quotidien. En revanche, lorsqu’il regarde la courbe des tempé- ratures sur les 30 dernières années fournies par sa station météo, il remarque qu’elle augmente légère- ment. T.C.

ont du temps et la réalité des faits, c’est parfois le grand écart” observe Jacques Duquet. Dans son cas, lorsqu’il était encore agriculteur en activité, ces informa- tions lui étaient précieuses. “J’ai tou- jours été en contact avec la nature. Ces relevés m’étaient utiles lorsque j’étais agriculteur car ils me permettaient de savoir, par exemple, si c’était le bon moment pour travailler la terre au regard de la quantité d’eau tombée.”

Éclairage

L’avis d’un glaciologue local

“La solution passe à mon avis par la taxe carbone” Originaire du Haut-Doubs, Frédéric Parrenin est un scientifique glaciologue et paléoclimatologue dont le métier est de faire parler la calotte glaciaire qui n’est ni plus ni moins qu’une archive paléoclima-

lamultiplication des événements météorologiques extrêmes avec plus de cani- cules, de séche- resses, d’inondations, de tempêtes… Et bien entendu en France et en Franche-Comté en particulier des consé- quences autant

F.P. : D’abord un niveau des mers qui est monté de 19 cm et pour- rait atteindre un mètre de plus d’ici 2100, plaçant sous les eaux le Bangladesh, la Floride, les Pays-Bas ou encore New York etVenise par exemple. En termes de précipitations, nous allons vers des régions sèches qui le seront encore plus et des régions humides qui elles aussi le seront encore plus. Le contraste entre les deux augmente. Sans oublier un autre phénomène, la dispa- rition d’ici 2050 de la banquise arctique estivale. Au final, c’est tout un écosystème qui va dis- paraître. L.P.B. : Ces phénomènes peuvent paraître lointains pour beaucoup… F.P. : On peut alors aussi évoquer

L.P.B. : Le tableau semble très noir. Quelles solutions existent selon vous ? F.P. : L’objectif fixé par les États réunis à la conférence de Copen- hague en 2009 était de limiter l’augmentation de températu- re à 2 °C. Nous en sommes déjà à + 1 °C… La solution passe à mon avis par la taxe carbone sur toute la planète et gérée par l’O.N.U. Les industries qui extra- ient les énergies fossiles com- me le gaz, le charbon, le pétro- le doivent la payer. Le Nobel français Jean Tirole a d’ailleurs montré que c’était sans doute la meilleure solution sur le long terme d’un point de vue écono- mique. L.P.B. : Encore un impôt peut-on répondre… F.P. : Oui. Mais un impôt, c’est de l’argent qui est prélevé pour limiter de mauvaises pratiques et qui est redistribué pour en favoriser d’autres. Cet argent doit servir à financer les éner- gies propres, comme le solaire et l’éolien, qui sont d’ailleurs de plus en plus compétitives et donc des alternatives crédibles. Il doit aussi servir à indemniser les victimes du réchauffement cli- matique. L.P.B. : Le citoyen lui aussi a sa part de responsabilité et donc doit agir ? F.P. : Réduire l’émission de gaz à effet de serre est en effet l’affaire de tous. Chauffer une maison pendant un an émet par exemple 1,5 tonne de carbone. L’amélioration de l’isolation est donc importante. Autre chiffre, 15 000 km parcourus en voitu- re, c’est 1 tonne de carbone… Quant à la nourriture, il faut savoir qu’elle est responsable de 30 % de nos émissions. Consommer moins de viande, et en particulier moins de vian- de bovine, est donc une autre piste à explorer. Propos recueillis par D.A.

tique naturelle. En étudiant celle-ci, il est capable de reconstituer l’évolution du climat et des teneurs en gaz à effet de serre, et a donc une idée très précise sur ce qui nous attend. Et des solutions à proposer.

“Consommer moins de viande bovine.”

L a Presse Bisontine : Quelle est la situation du climat aujour- d’hui ? Frédéric Parrenin : Le réchauffe- ment climatique est aujourd’hui scientifiquement prouvé et recon- nu. Les 30 dernières années sont la période de 30 ans la plus chau- de qu’ait connue la Terre depuis 1 400 ans.Autre constat, sur les dix premiers mois de l’année

là où vivent les humains. Et ce n’est que le début : les prévi- sions sont de 4 à 5 °C à la fin du siècle si nous ne faisons rien. Soit un réchauffement égal à celui qu’a connu la Terre pour passer d’une période glaciaire à une période interglaciaire. L.P.B. : Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

2015, six sont parmi les plus chauds jamais enregistrés. L.P.B. : On nous parle d’une tempéra- ture qui a augmenté d’1 °C… Une broutille ! F.P. : Il faut bien comprendre que l’on parle de moyennes. Et aus- si qu’il faut ajouter 50 % de plus sur les continents (soit 1,5 °C),

sur les cultures que sur les forêts. Les pays les moins touchés auront aussi à accueillir des réfugiés climatiques venus de terres qui ne seront plus habi- tables.

Le glaciologue originaire du Doubs est basé à Grenoble.

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