La Presse Bisontine 163 - Mars 2015
L’INTERVIEW DU MOIS
La Presse Bisontine n° 163 - Mars 2015
8
FOOTBALL
L’ancien arbitre international Michel Vautrot “C’est comme une drogue qui s’en va”
L ui, l’homme qui a arbitré une fina- le de Ligue de Champions en 1986, une demi-finale de coupe de Monde en 1990, n’a jamais renié ses ori- gines bisontines. Encore moins son franc- parler. À bientôt 70 ans, l’ancien arbitre international Michel Vautrot, élevé par ses grands-parents à Antorpe près de Saint- Vit, garde cette chaleur humaine qui en fait un personnage respecté et respectable. Pourtant, l’ancien homme en noir n’a pas que des amis. C’est lui qui a soulevé un scandale de corruption dans le monde arbi- tral français. Personne ne voulait le croi- re. L’histoire lui a donné raison. Les années ont passé. Vautrot n’a pas changé. Autour de son cou, une chaîne au bout de laquel- le pendent un sifflet et un ballon ne le quit- te jamais, comme si l’arbitrage était ancré en lui. Jeudi 5 février, il était l’invité de la facul- té des Sports de Besançon et le C.E.S.E.R. de Franche-Comté pour participer à une conférence sur “l’adolescence et la prise de risques”. Durant plus de 45 minutes, il a captivé la salle au point que les étudiants, souvent accrochés à leur smartphone, ont écouté religieusement “le vieux sage” qui veut “modestement transmettre son expé- rience” dit-il. Partant du proverbe africain que lorsqu’une personne âgée s’éteint, c’est une bibliothèque qui brûle, il accepte une nouvelle fois de se confier. La Presse Bisontine : Bien qu’écarté des terrains de football, vous avez toujours une place impor- tante dans le monde de l’arbitrage français et mon- dial. Quelles sont vos missions ? Michel Vautrot : Je suis toujours observateur d’arbitres pour l’U.E.F.A. et la F.I.F.A. lors- qu’il y a des Coupes du Monde et je suis également conseiller en arbitrage en Jor- danie. Depuis six ans, j’y suis allé presque 25 fois mais avec les événements actuels, je n’y suis pas retourné. L.P.B. :Vous vivez toujours sans téléphone portable, que vous refusez catégoriquement, mais vous vous êtes mis à Internet que vous maîtrisez pour com- muniquer avec la F.I.F.A. Michel pen- se-t-il à la retraite ? Connu pour son franc-parler, il est régulièrement sollicité pour participer à des conférences. Entretien. L’ancien arbitre international bisontin a toujours un rôle d’observateur du corps arbitral mondial. Mais la limite d’âge fixée à 70 ans le “contraint” à prendre sa retraite dans un an.
Michel Vautrot, l’ancien arbitre international, ici avant une conférence sur “l’adolescence et la prise de risque”. Il partage son expérience.
L.P.B. : Est-ce aussi la raison pour laquelle vous répondez favorablement aux personnes qui sou- haitent que vous interveniez à des conférences ? M.V. : Je ne veux pas faire le donneur de leçon car je suis parti de rien pour arriver nulle part (rires)… mais si je peux trans- mettre mon expérience aux jeunes, je le ferai car je n’ai pas encore Alzheimer. J’ai déduit une chose avec l’arbitrage à qui je dois tout : l’homme gagne toujours par son propre mérite mais perd toujours par la faute des autres. Au foot, c’est toujours la faute de l’arbitre. Si on ne se bat pas pour la justice dans le sport, on le fera jamais. Je dis aux jeunes : vous êtes tous des arbitres. L.P.B. : À ce titre, vous avez un regret ? M.V. : Lors de la remise du Ballon d’Or à laquelle j’étais invité et qui faisait suite au massacre de Charlie-Hebdo, la F.I.F.A. - qui gère le foot mondial - a installé une affiche “Je suis Charlie”. J’étais heureux mais en même temps, il y avait de l’autre côté 150 gamins massacrés au Nigeria. J’ai trouvé regrettable qu’elle n’en parle pas. Il faut ouvrir les consciences… L.P.B. : Le foot est devenu de la géopolitique. Qui soutenez-vous à la présidence de la F.I.F.A. dont l’élection a lieu le 29 mai ? M.V. : Il n’y a que les présidents de fédéra- tion qui votent. En 1998, j’avais été inté- gré dans le comité d’honneur de Johans- son et cela m’avait mis en porte-à-faux avec Blatter et Platini (finalement élus).Aujour- d’hui, le Prince de Jordanie pour qui je suis conseiller se présente. Je ne me prononce pas. L.P.B. : En 2009, Nicolas Sarkozy vous a remis la légion d’honneur. Était-ce une façon de laver votre
honneur après le scandale de corruption dans l’arbitrage que vous aviez dénoncé ? M.V. : Tout ce que j’ai dit était vrai mais per- sonne ne m’a cru. J’avais dit que je ne remettrais plus les pieds dans un stade depuis cette affaire où un membre des ren- seignements généraux a monté un dossier de toutes pièces contre moi. On m’a remis la légion d’honneur à l’Élysée, et je suis retourné au stade… L.P.B. : Plus que les enjeux politiques, l’argent a tué le jeu et l’enjeu. Ce phénomène était-il aussi pré- sent à la fin des années quatre-vingt ? M.V. : Il était déjà présent. J’ai connu par exemple la caisse noire de Saint-Étienne. L.P.B. : Avez-vous un jour franchi le Rubicon et accepté de siffler favorablement pour une équi- pe ? M.V. : Je n’ai pas besoin de dire que je suis un héros car on ne m’a jamais demandé. Peut-être parce que j’avais fait ma répu- tation. Certains ont même cru que j’étais le Monsieur Propre du foot ! L.P.B. : Des joueurs sont-ils venus s’excuser après avoir proféré des menaces contre vous ? M.V. : Je n’ai pas de souvenirs. J’ai vu You- ri Djorkaeff récemment. Il est venu me taper dans le dos. Je lui ai dit : “Crois-tu que dans 20 ans les joueurs actuels iront saluer l’arbitre ?” Je ne crois pas. Je suis retourné au Steaua Bucarest que j’avais arbitré en finale de Ligue des champions en 1986. À l’époque, ils craignaient que je favorise le F.C. Barcelone. Finalement, ils ont gagné. 20 ans plus tard, ils m’ont remis un trophée écrit en français :“20 ans après, nous n’oublions pas.”
L.P.B. : Votre avis sur la Coupe du Monde attribuée au Qatar en 2022… M.V. : Pourquoi autant de tapage alors que les décideurs étaient au courant qu’il ferait chaud en juillet là-bas. À mon avis, si la Coupe du Monde est déplacée en hiver, le Qatar devra donner une contrepartie finan- cière aux championnats européens. L.P.B. : Une chance de voir un arbitre français arbi- trer un match du prochain mondial ? M.V. : Oui, il y en aura un entre Ludovic Turpin et Ruddy Buquet. L.P.B. : Avec cet éternel débat : pour ou contre l’arbitrage vidéo ? M.V. : J’ai une réponse caméléon. Je peux être “pour” le matin et “contre” le soir. L’arbitrage vidéo coûte cher. La vraie erreur, c’est celle que l’on voit à l’œil nu. Ce que je dis peut paraître d’arrière-garde. L.P.B. : Le Bisontin de cœur a forcément un com- mentaire sur le foot et le sport dans sa ville ? M.V. : Je me réjouis du retour du Racing dirigé par un ami (Philippe Pichery) mais je souffre de voir que nous sommes la seu- le capitale régionale absente du classe- ment du journal L’Équipe regroupant les 120 villes sportives. Je suis régulièrement les résultats des équipes ou les arbitres, dont un Bisontin est arbitre de Pro A en basket (N.D.L.R. : Grégory Dubois). L.P.B. : La fusion des régions vous obligera à sup- porter des clubs bourguignons désormais ! M.V. : Je regarde quand même leurs résul- tats. Mais les matches de division d’honneur ne se joueront pas entre Montbéliard et Auxerre. Propos recueillis par E.Ch.
Bio express
Né le 23 octobre 1945 à Antorpe. Jeune, sa fragilité physique l’interdit de pratiquer un sport. Il signe au Racing Besançon pour devenir arbitre à 16 ans. Il devient professeur puis inspecteur. Il a dirigé cinq matches de Coupe du monde de football, dont deux en 1982 et trois en 1990 (dont la demi-finale Argentine-Italie). Il arbitre la finale de l’Euro 1988. Il a été classé deux fois, en 1988 et 1989, meilleur arbitre du monde. Il est l’ancien Directeur Technique National de l’arbitrage français, instructeurF.I.F.A. depuis 1991. En2003, il est mis à l’écart par toutes les instances sportives de la F.F.F., après avoir dénoncé une affaire de corruption. En 2006, Michel Vautrot est fait chevalier de la Légion d’honneur. La décoration lui est remise par Nicolas Sarkozy le 30 novembre 2009 à l’Élysée.
M.V. : Lorsque l’on vieillit, on y pense. Et lorsqu’on réfléchit, cela donne le vertige : voilà 52 ans que je suis arbitre car j’ai eumon diplôme en 1963 (il était alors licencié au Racing Besan- çon). En octobre 2015, j’aurai 70 ans : c’est donc ma derniè- re année car c’est une limite d’âge. Je viens de recevoir une lettre de Noël Le Graët (prési- dent de la Fédération françai- se de football) qui me repré- sente au sein des instances pour cette année encore. C’était une condition. L.P.B. : Malgré votre vie à 100 l’heure, redoutez-vous cet arrêt ? M.V. : C’est comme une drogue qui s’en va… mais je ne peux pas être aigri avec tout ce que j’ai vécu grâce au foot.
“Cela fait 52 ans que je suis arbitre.”
Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online