La Presse Bisontine 163 - Mars 2015

ÉCONOMIE

La Presse Bisontine n° 163 - Mars 2015 36

DÉBAT

Réduction du temps de travail

“La croissance française a été stimulée

par la réduction du temps de travail”

La députée bisontine Barbara Romagnan a écrit un rapport parlementaire sur le bilan de la réduction du temps de travail. Elle soutient que cette mesure a créé de l’emploi et n’a pas écorné la compétitivité de la France.

L a Presse Bisontine : Vous avez publié en décembre un rapport détaillé et plu- tôt bienveillant sur l’impact de la réduc- tion du temps de travail en France. A- t-il des chances d’être repris par le gouvernement ? Barbara Romagnan : Il pourrait très bien, hélas, ne servir à rien… Dans l’immédiat en effet, je doute que le gou- vernement en fasse quelque chose et je le regrette. On peut être a priori contre le principe de la baisse du temps de travail mais ce que j’admets moins, dans un contexte où la priorité est de

l’augmentation de la productivité est en soi destructeur d’emplois. À ce rythme, d’ici 10 ou 20 ans, la moitié des emplois seront détruits. Ce rapport a été fait à partir de données macro-économiques incontestables, je vou- drais juste qu’on puis- se en parler posément. L.P.B. : Vous avancez dans ce rapport que les 35 heures ont permis de créer 350 000 emplois. Ces 35 heures ont été mises en place à une période de forte croissan- ce en France. N’est-ce pas plutôt la croissance qui a permis de créer ces emplois ?

lutter contre le chômage, c’est qu’on balaie cette question d’un revers de la main sans regarder les choses avec du recul et de manière objective. L.P.B. :Dire que les 35 heures ont mis l’économie française à terre est donc totalement carica- tural ? B.R. : Je rappelle juste qu’avant les lois Aubry, Gilles De Robien avec le M.E.D.E.F. avaient déjà engagé des mesures de réduction du temps de tra- vail. Si on est objectif toujours, on doit reconnaître aisément que

créations d’emplois. Les chiffres sont clairs : cette période a été celle où la croissance a été la plus riche en emplois. On peut en déduire aussi que la crois- sance française a été stimulée par la réduction du temps de travail. On ne peut pas non plus dissocier ces 35 heures du reste de la loi avec la baisse des cotisations et annualisa- tion du temps de travail. Une chose est certaine aussi : la compétitivité de la France ne s’est pas dégradée pen- dant cette période-là et les comptes sociaux étaient équilibrés. L.P.B. : Prônez-vous une poursuite de la réduc- tion du temps de travail ? B.R. : Dans les faits aujourd’hui, le tra- vail est déjà partagé. Il y a des gens qui travaillent à plein-temps et plus encore, d’autres à temps partiel et d’autres qui ne travaillent pas du tout. C’est pourquoi le discours actuel qui consiste à dire qu’il faut assouplir les 35 heures, je ne sais pas ce qu’il signi- fie. Une des choses que je prône, c’est la négociation, la discussion. Je suis favorable au fait qu’on explique qu’en acceptant un gel des salaires, voire une baisse minimale, c’est ce qui ferait que son voisin, son ami puisse avoir un emploi. C’est juste une question de partage. Tout cela mérite d’être dis- cuté. On ne doit surtout pas s’interdire de réfléchir à ces questions. Propos recueillis par J.-F.H.

“Je voudrais juste qu’on puisse en parler posément.”

Barbara Romagnan, députée du Doubs : “En quoi la loi

B.R. : Pendant la période 1997-2002, 2 millions d’emplois ont été créés, c’est une période qui a été extrêmement dynamique mais sur ces 2 millions d’emplois, tout le monde s’accorde à dire que 350 000 sont dus à la baisse du temps de travail. Pendant cette période, c’est d’ailleurs la croissance française qui a tiré la croissance euro- péenne. La France avait mis en place les 35 heures, les emplois jeunes… Il y a eu d’autres périodes de forte crois- sance en France, mais avec moins de

Macron est-elle

susceptible de changer

la donne pour les 6 millions de personnes qui pointent à Pôle Emploi ?” (photo M. Soudais).

Le rapport sur la réduction du temps de travail : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-enq/r2436.pdf

RÉACTION

Le président du M.E.D.E.F.

“Les 35 heures correspondent à une perte sèche de compétitivité” Il a lu le rapport Romagnan : Jean-Luc Piton, président du M.E.D.E.F. de Franche-Comté, apporte la contradiction sur la question de la réduction du temps de travail et ses effets. Interview.

L a Presse Bisontine : À l’heure où le chômage en France bat des records, n’est-il pas judi- cieux de relancer l’idée d'un partage du travail par une réduction du temps de travail ? Jean-Luc Piton : Le problème, mal- heureusement ne se pose pas en ces termes. Un des problèmes majeurs de la France est le manque de compétitivité de nos entreprises dans la compétition internationale. On oublie trop souvent que le travail est créa- teur de richesse et qu’il ne se fragmente pas. Dans une T.P.E. ou une petite P.M.E., il y a autant demétiers que de salariés. Rédui- re le temps de travail de ces mêmes salariés ne pourra être compensé par l’embauche de nouveaux salariés qui ne sau- raient et qui ne pourraient pré- tendre à l’accumulation des com- pétences présentes dans l’entreprise. Le “cancer écono- mique” que représente le chô- mage ne pourra être combattu que par la restauration de la compétitivité des entreprises françaises. Il suffit de regarder chez nos voisins pour com- prendre que la compétitivité ne se décrète pas et qu’elle ne

leur statut de droit public ou privé où qu’il soit salarié d’une T.P.E.-P.M.E. ou d’une grande entreprise. Les conditions de travail sont alors très différentes. Les 35 heures ont pu créer une pression forte puisque parfois il fallait faire autant avec moins de temps dans les T.P.E.-P.M.E. Aucune audition de P.M.E. n’apparaît dans les travaux de la commission parlementaire. Dans les hôpitaux, on sait que les conditions de travail ont été dégradées suite à la mise en pla- ce des 35 heures. Et il faut rela- tiviser les effets au regard des secteurs d’activité : l’industrie a été pénalisée au profit des ser- vices. D’ailleurs, statistiquement par- lant, les années 2000, années de mise en place des 35 heures, correspondent à un décrochage économique de la France au niveau mondial, qui se traduit clairement dans les pertes de parts de marché de la France depuis 2000, de façon continue. L.P.B. : On constate que malgré le C.I.C.E. et les engagements du prési- dent national du M.E.D.E.F. de créer 1 million d’emplois en France, le chô-

s’obtiendra pas en réduisant le temps de travail. L’application d’une nouvelle réduction de la durée légale aurait l’effet inver- se de l’objectif poursuivi. L.P.B. : Ses partisans estiment que les 35 heures ont permis de créer 350 000 emplois nets en France. Quel est votre sentiment sur la question des 35 heures ? J.-L.P. : Les 350 000 créations emplois, “nombre le plus com- munément admis” selon le rap- port parlementaire, correspon- dent à la période 1997-2002. Ils résultent de la croissance qu’a connu la France dans les années

mage poursuit sa hausse. Qu’est-ce qui explique ce manque de résul- tats ? J.-L.P. : Le C.I.C.E., crédit d’impôt, commence à peine à produire ses effets avec un niveau finan- cier d’un quart de ce qui était prévu. Quant au pacte de res- ponsabilité, il vient d’être mis en place (bien qu’on en parle depuis plusieurs mois). Paral- lèlement à cela et malgré les déclarations du Premier Ministre, le quotidien des chefs d’entreprise demeure toujours aussi complexe et l’avenir nous semble plus que jamais incer- tain. La mise en place, notam- ment, du compte pénibilité montre, de manière flagrante, que des dispositifs lourds et chro- nophages peuvent nous être imposés du jour au lendemain. Cela nuit à la confiance et ne permet pas des embauches pérennes en entreprise. Toute- fois, le rapport parlementaire indique que de 1997 à 2001 la France a créé 2 millions d’emplois… La création d’un seul million est donc possible ! Nous disons juste au gouver- nement et aux parlements : faites-nous confiance ! Oui, nous

Jean-Luc Piton, président du M.E.D.E.F. Franche-Comté : “Nous disons juste au gouvernement : faites-nous confiance !”

quatre-vingt-dix. En entreprise, le constat sur les 35 heures cor- respond à une perte sèche de compétitivité et donc à des des- tructions d’emplois. D’autre part, les 35 heures ont créé beaucoup d’inégalités entre les cadres et les employés, selon

“Si Madame Romagnan propose un débat, nous serions ravis.”

voulons créer de l’emploi, déve- lopper nos entreprises, partici- per à la croissance et au rayon- nement de notre pays. Oui, nous souhaitons que nos salariés soient heureux dans nos entre- prises et qu’ils concilient au mieux, pour leurs épanouisse- ments personnels, vie privée et vie professionnelle. Une entre- prise dans laquelle il fait bon vivre est une entreprise per-

formante. Nous en avons tota- lement conscience. L.P.B. : La députée du Doubs Barbara Romagnan qui a écrit ce rapport sur la réduction du temps de travail sug- gère de réfléchir sans a priori à cet- te question. A-t-elle tort ? J.-L.P. : Si Madame Romagnan propose un débat contradictoi- re et public, nous serions ravis. Propos recueillis par J.-F.H.

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