La Presse Bisontine 162 - Février 2015

La Presse Bisontine n° 162 - Février 2015

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L’ami de “Charb” témoigne Interview Hommage d’un caricaturiste Dessinateur bisontin, “Berth” alias Christophe Bertin était le pote de “Charb”. Le caricaturiste a, lui aussi, devancé les événements en publiant fin décembre une B.D. intitulée “ça sent mauvais”. Il a proposé son aide à Charlie Hebdo. Après la douleur, il a retrouvé l’envie de faire rire.

L a Presse Bisontine : Chris- tophe Bertin, vous êtes des- sinateur pour Siné mensuel et Mon Quotidien. Stéphane Charbonnier (alias Charb) était un de vos amis. Comment avez-vous vécu ce 7 janvier et appris la terrible nou- velle ? Christophe Bertin (Berth) : J’étais en ligne avec un collègue du jour- nal “Mon quotidien” pour lequel

moins le pognon était reversé à Charlie ! L.P.B. : Pensez-vous qu’ils sont allés trop loin parfois ? C.B. : Non, on ne va jamais trop loin. L’intelligence humaine ne devrait pas avoir de limites et tout pouvoir aborder, pour réflé- chir, rire. L.P.B. : Les manifestations de soutien sont passées. Le contrecoup est-il plus dur d’avoir perdu ses amis, ses col- lègues ? C.B. : Je ne sais pas encore, c’est un peu tôt pour répondre. Le premier jour, j’étais sonné. Tout ce que j’ai fait comme dessin était pénible, j’ai fait de la mer- de (sic) pour Mon Quotidien et Siné mensuel.

je collabore qui m’a dit : “T’as vu ce qui se passe !” Comme tout le monde, j’attendais ces infor- mations au compte-gouttes sachant que j’avais mes potes là-bas. Ce qui ne m’a pas ras- suré c’est de savoir que “Charb” ne soit pas intervenu dans les médias. Je me suis dit : c’est chaud.

L.P.B. : Comment réagit-on ? C.B. : D’une manière profession- nelle, humaine, personnelle, ce fut un triple choc. L.P.B. : Quels étaient vos rapports avec la bande à Charlie ? C.B. : Je connaissais Charb per- sonnellement. C’est un copain qui a le même âge que moi (48 ans) que j’ai remplacé au jour- nal Mon Quotidien il y a 16 ans quand il l’a quitté pour rejoindre Charlie Hebdo. La dernière fois que j’avais vu Charb, c’était à la fête de L’Huma en septembre. C’est pompeux de dire cela mais Charb s’est comporté comme un héros. Il a toujours été fidèle à ses engagements et y est allé quand même malgré les menaces.Tignous était aussi un ami. Les autres, je les connais- sais moins mais ce sont des col- lègues. L.P.B. : C’est pour cette raison que vous avez proposé vos services pour le numéro spécial de Charlie ? C.B. : Charlie a décidé de publier à 1 million d’exemplaires. Tous les dessinateurs ont proposé leur aide artistique, financière, logistique. Charlie veut sortir son “journal des survivants”. Cela les honore. Ils ont besoin d’avancer, de continuer et cela évitera la surenchère de per- sonnes qui vendent des numé- ros de Charlie Hebdo sur “ebay”. Ce sont des charognards ! Si au

France la tradition d’un humour bête et méchant : j’espère que cela va continuer. L.P.B. : Certains ont demandé le “pan- théon” pour eux… C.B. : Ils doivent se marrer (rires). L.P.B. :Vous sentez-vous en danger ? C.B. : Je ne me sens pas plus à l’abri ni plus exposé que quel- qu’un d’autre. L.P.B. : Un mot sur le contexte bison- tin : des individus ont “fêté” la mort de ces personnes en tirant des feux d’artifice dans le quartier des 408 et en intimidant les forces de l’ordre. Votre sentiment. C.B. : Des abrutis, il y en aura partout. C’est par l’éducation, le dialogue et n’abandonnant pas ces gens-là que l’on pourra

faire avancer les choses. J’ose espérer qu’il y a encore moyen de les raisonner. Si ce n’est que de la provocation, pourquoi pas, je m’en fous. Moi aussi je peux être de mauvaise foi dans mes dessins. Tant que ça reste du dessin. Mais il faut faire atten- tion car nous sommes sur une corde extrêmement tendue. L.P.B. : Dans quel contexte vous avez fait votre dessin le lendemain de la tuerie ? C.B. : C’était le 8 janvier, dans une espèce de fulgurance. Là, j’étais content car j’ai réussi à faire mon travail. J’ai dessiné des saints au paradis (les des- sinateurs) sous le titre “Morts enmartyrs”,“c’est nous qui allons nous taper les 70 vierges”. Propos recueillis par E.Ch.

L.P.B. : Avez-vous peur aujourd’hui ? Peur aus- si pour votre métier qui rappelons-le,était mena- cé économiquement avant ces faits ? C.B. : J’espère que l’on continuera à ne pas avoir peur. Est-ce que le soufflé retom- bé, les gens com- prendront l’intérêt du dessin ? C’est à espérer. Y aura-t-il encore des supports qui permettront de tout dessiner ? Il y a tout de même en

“Ils sont morts en héros.”

Christophe Bertin, alias Berth, est caricaturiste bisontin. Il a publié en décembre la bande dessinée “ça sent mauvais” aux éditions Zélium.

Témoignages

Franck Roussel et Thierry Silvant

Journalistes et policiers en première ligne

Un représentant de chacune de ces deux professions meurtries a pris la parole place du 8-Septembre à Besançon. Ovation générale de la foule.

son progrès et de l’épanouissement de chacun”, selon la définition qu’en don- ne la Cour européenne des Droits de l’Homme. Combat pour toutes les libertés : liber- té de conscience, liberté de croyance, liberté d’opinion, auxquelles nous sommes tant attachés et que deux ter- roristes ont voulu assassiner, mercre- di 7 janvier, dans le terrible attentat de Charlie Hebdo. Cette liberté d’ex- pression, nos confrères, nos amis, nos frères de cœur de Charlie l’ont prati- quée et défendue jusqu’au bout, au péril de leur vie. Avec insolence, avec irré- vérence, avec un mauvais goût reven- diqué, parfois, mais aussi avec rigueur, intelligence et humanité. Car Charlie Hebdo est bien plus qu’un journal sati- rique. La liberté d’expression doit d’abord s’appliquer aux idées qui déran- gent, bousculent l’ordre établi, choquent et heurtent tout ou partie du public. À cet égard, nos collègues de Charlie s’y connaissaient. Avec leurs mots, avec leur crayon et leur stylo, ils tiraient à vue mais ne tuaient pas, pas même la bêtise, si répandue et dont ils avaient fait leur cible privilégiée. C’est cet esprit, ce mauvais esprit, aussi, qu’il faut défendre, pratiquer, perpétuer… Les victimes étaient agent d’entretien, des- sinateurs, policiers, psychanalyste, jour- nalistes… Comme eux, nous sommes tous Charlie.”

Franck Roussel, journaliste : “Je parle ici et aujourd’hui au nom des médias présents en Franche-Comté, sans distinction de support ni de caté- gorie professionnelle. J’ai été choisi pour représenter nos rédactions.

Dans l’esprit de mes confrères et col- lègues, c’est donc d’abord un message d’espoir, d’avenir et de combat dont je suis porteur. Combat pour la liberté d’expression, “pierre angulaire de la démocratie”,“condition primordiale de

Tour à tour, le journaliste Franck Roussel et le policier Thierry Silvant ont pris la parole.

Thierry Silvant, policier : “Aujourd’hui, nous sommes Ahmed, aujourd’hui nous sommes Franck, aujourd’hui nous sommes Charlie. Aujourd’hui, la police et la France sont en deuil. Deux collègues sauvagement assassinés pour avoir défendu la liber- té et les valeurs républicaines. Une nou- velle fois, les policiers paient le prix fort lors de l’attentat commis mercredi au siège de Charlie Hebdo. La manière dont Franck et Ahmed ont été abattus prouve la haine qu’ont certaines per- sonnes envers les femmes et les hommes

qui défendent nos concitoyens. N’ou- blions jamais que le sacrifice de Franck et d’Ahmed témoigne que quoiqu’il en coûte, un policier, en toute occasion, s’interposera, au péril de sa vie, lors- qu’il faudra qu’il protège les citoyens et la nation.Ayons également une énor- me pensée pour Clarissa, jeune poli- cière municipale stagiaire à Montrou- ge, exécutée froidement jeudi 8 janvier et pour les quatre nouvelles victimes innocentes de vendredi…Franck,Ahmed et vous, malheureuses victimes, votre sacrifice ne sera pas vain…”

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