La Presse Bisontine 160 - Décembre 2014

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 160 - Décembre 2014

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POLITIQUE

Jean-Claude Duverget “Cette fusion des régions n’est pas une vague idée d’utopiste”

Il a co-piloté le Comité des sages mis en place par Marie-Guite Dufay pour réfléchir à la fusion de la Bourgogne et de la Franche-Comté. L’ancien élu U.M.P. sort de sa réserve et livre son point de vue sur l’union prochaine de ces deux territoires.

L a Presse Bisontine :Vous êtes à l’U.M.P. Pour- quoi avoir accepté de co-piloter le Comité des sages mis en place par Marie-Guite Dufay pour réfléchir au projet de fusion des régions Bour- gogne-Franche-Comté ? Jean-Claude Duverget : Si j’ai accepté de co- piloter ce comité en tant que membre de l’U.M.P., c’est parce que j’ai senti que nous n’étions pas dans un raisonnement tradi- tionnel de clivage. Chacun d’entre nous avait une expertise que nous avons mise volontiers au service de cette réflexion de fusion. Dans ce groupe, il y avait des ten- dances diverses. Certains n’étaient pas favorables à la fusion, d’autres préféraient le rapprochement avec l’Alsace, et d’autres encore avec la Bourgogne. Nous étions tous des gens libres, il n’y avait d’enjeu pour aucun des 18 membres du conseil qui ont travaillé sur ce projet ces derniers mois. Nous avons eu du mal à nous quitter. L.P.B. : Vous avez participé aux quatre réunions publiques en Franche-Comté qui avaient pour thè- me la fusion. N’avez-vous pas eu le sentiment que ce sujet paraissait aussi confus qu’injustifié pour beaucoup de personnes ? J.-C.D. : Il y a, c’est vrai, un manque de clar- té dans l’esprit du public pour savoir qui fait quoi entre la Région, le Département et la Ville. J’observe une méconnaissance des compétences de chacune de ces collec- tivités et de l’histoire de nos territoires. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de préciser lors des réunions publiques dans lesquelles je suis intervenu, que l’idée d’un regroupe- ment de la Bourgogne et de la Franche- Comté est très ancienne. Cela fait 160 ans qu’on en parle ! Ce n’est donc pas une décou- verte. Tous ceux qui depuis, en France, ont imaginé des regroupements ont, dans leur majorité, proposé la fusion de la Bourgogne et de la Franche-Comté, avec en marge, la Nièvre et le Territoire-de-Belfort. Je pré- cise d’ailleurs, qu’en 1955, lorsqu’Edgar Faure (il est alors président du Conseil des ministres) qui porte l’idée régionale (elle va donner naissance aux 22 régions) fait la Franche-Comté, c’est une surprise car ce territoire, contrairement aux autres, compte moins d’1 million d’habitants. Sans la volonté de cet homme politique, il n’y aurait peut-être jamais eu de région Franche-Comté séparée de la Bourgogne. L.P.B. : Quels sont les points forts de cette fusion ? J.-C.D. : L’enseignement supérieur est un point fort. La future université Bourgogne- Franche-Comté qui deviendra une com- munauté d’universités, est un exemple du fonctionnement de la future grande région

les filières techniques où il y a trop peu d’élèves en Bourgogne et en Franche-Com- té, il n’est pas impensable de les regrou- per dans un lycée avec internat et ainsi sauver des formations techniques. Un autre exemple, en économie, on peut organiser un travail commun de recherche entre le pôle compétitivité véhicule du futur de l’aire urbaine Belfort-Montbéliard et le pôle performance automobile de Magny- Cours. Ce n’est pas le même nom, mais la philosophie est la même. Cette fusion des régions n’est pas une vague idée d’utopiste. Elle peut peser sur un certain nombre d’éléments de la vie quotidienne des gens, des salariés, des entreprises. L.P.B. : Une des questions récurrentes à laquelle les élus régionaux n’apportent pas de réponse est de savoir si la fusion va générer des économies. Qu’en dit le Conseil des sages ? J.-C.D. : Ce que nous pensons, c’est que les économies ne sont pas inenvisageables. Il y a des doublons entre les deux régions. Ils doivent être analysés pour être ensui- te supprimés. Il n’y aura par exemple plus qu’une seule préfecture, qu’un Conseil régio- nal, et les services du rectorat se regrou- peront. Quelle différence y a-t-il entre la gestion des lycées opérée par la Bourgogne ou par la Franche-Comté ? Je n’en vois aucune. C’est lamême chose pour les agences de développement économique, un secteur dans lequel des doublons existent. Ce qui importe, c’est de mettre en place sur ce nouveau territoire un dispositif capable d’apporter une réponse rapide aux entre- prises afin de favoriser l’implantation de sociétés et le développement industriel. L.P.B. : La Bourgogne est-elle le meilleur partenai- re pour la Franche-Comté ? J.-C.D. : Oui, car les relations établies depuis 1955 sont telles qu’on ne rencontre pas les mêmes liens avec d’autres régions. À par- tir de là, je vois naître à plus long terme l’idée du Grand Est à partir d’une coopé- ration nécessaire entre le bloc solidaire Bourgogne-Franche-Comté, et le bloc soli- daire Alsace-Lorraine-Champagne-Arden- ne. Car en l’état, ni la région parisienne, ni la région lyonnaise n’ont d’intérêt à coopérer avec nous. L.P.B. : Ces deux régions se ressemblent-elles ? J.-C.D. : Notre cohérence est dans notre res- semblance. La Bourgogne comme la Franche-Comté ont une population rura- le importante. Elles sont faiblement peu- plées et ont la même problématique à résoudre pour animer le tissu rural. Ensuite, dans ces deux régions, la popula- tion vieillit plus vite que dans d’autres régions. Il y a plus de gens qui quittent ces territoires que d’autres qui s’y installent. C’est une difficulté que nous devrons résoudre collectivement. Ce qui se passe au niveau de l’université est révélateur. Dijon perd des étudiants par rapport à Lyon et Paris. En Franche-Comté, sur un cursus univer- sitaire de 5 ans, on observe que 4 000 étu- diants quittent la région pour poursuivre leurs études ailleurs s’ils ne trouvent pas ici un cursus complet. Il est indispensable que la Bourgogne et la Franche-Comté s’entendent pour valider un maximum de masters pour attirer les étudiants. L.P.B. : Des élus du Territoire-de-Belfort voudraient que leur département soit rattaché à l’Alsace plu- tôt qu’à la Bourgogne. N’y a-t-il pas un danger à voir la Franche-Comté démantelée ? J.-C.D. : Historiquement, le Territoire-de- Belfort est le dernier département à avoir rejoint la Franche-Comté (décret de 1960, décision confirmée en 1982 dans le cadre des lois de décentralisation). Ce territoire

Il ne fait aucun doute pour Jean-Claude Duverget que la Bourgogne et la Franche-Comté ont intérêt à fusionner et réparer peut-être ainsi une sorte d’anomalie de l’histoire.

a depuis longtemps des échanges nourris avec la Haute-Alsace. On ne peut pas ima- giner que tout s’arrête demain avec la fusion des régions. Dans ce projet, il y a au contrai- re des axes de coopération à encourager entre le pôle métropolitain de l’Aire Urbai- ne, et Mulhouse et Strasbourg. Ce sera le rôle de la future région de favoriser ces échanges. S’ils sont perçus comme une menace, les réflexions vont se raidir avec le Territoire-de-Belfort. Cela ne serait pas souhaitable d’autant que la Région n’a pas toujours été très adroite avec ce départe- ment ces quarante dernières années. J’entends ceux qui souhaitent que l’Aire Urbaine et le Territoire rejoignent l’Alsace. Mais à mon sens, tout détricotage de la Franche-Comté par le nord serait un risque d’échec pour la fusion. Il est important de donner des garanties aux Belfortains qui sont bien en Franche-Comté, et éviter sur- tout que les départements entrent en résis- tance contre ce projet. L.P.B. : Qui de Dijon ou de Besançon sera la future capitale régionale. Au regard du rapport de force entre les deux villes, il ne fait aucun doute pour beaucoup de monde que ce sera Dijon. Qu’en pen- sez-vous ? J.-C.D. : Il faut résoudre en effet ce problè- me de la capitale régionale. Les Bisontins ne peuvent pas accepter que Dijon soit la seule capitale affichée. Mais Dijon seule n’a pas suffisamment de poids pour peser face à Lyon et Strasbourg. Par conséquent, Dijon et Besançon peuvent être gagnantes si ces deux agglomérations se répartissent les tâches de commandement, les tâches politiques et administratives de Bourgogne- Franche-Comté. Cela signifie au préalable que les présidents des deux régions se met- tent autour d’une table avec les maires des deux villes et les préfets, pour analyser lucidement la répartition, sur le terrain, des pouvoirs politiques des régions, des pouvoirs décentralisés de l’État. La répar- tition des pouvoirs nous permettra de par- tir d’un bon pied dans cette fusion. L.P.B. : Quelle tournure vont prendre les relations tissées entre la Franche-Comté et la Suisse dans le cadre de la fusion ? J.-C.D. : La Suisse est une chance offerte à la Bourgogne. L’idée commence à mûrir. La Franche-Comté a beaucoup d’avance dans la coopération transfrontalière. Cet- te frontière politique est en train d’être supplantée par les territoires de projets communs. Grâce à cette fusion, je pense que l’on peut entrer dans une nouvelle époque en ce qui concerne les relations transfrontalières.

L.P.B. : La mise en place de la future région risque d’être longue. Tout commencera à partir des élections de décembre 2015... J.-C.D. : Notre comité pense qu’il faudra prendre le temps des choses. Une man- dature de six ans sera néces- saire pour mettre en place la véritable région Bour- gogne-Franche-Comté. Les élections auront lieu dans un an dans huit départe- ments au lieu de quatre. Il y aura des passages obli- gés comme l’élaboration d’un contrat de plan État-Région Bour- gogne-Franche-Comté. L.P.B. : Ne faut-il pas craindre que les Bourguignons qui seront majoritaires dans le futur conseil tirent la couverture à eux ? Ce réflexe est humain après tout. J.-C.D. : Nous avons mis l’accent sur le risque des ego des élus locaux plus enclins à défendre leur propre territoire que l’intérêt de la Bourgogne-Franche-Comté. Effecti- vement, c’est une question humaine. On ne pourra pas empêcher, au moins les pre- mières années, certains réflexes de Bour- guignons et de Francs-Comtois. L.P.B. : On ne sait pas à ce jour quelles seront les compétences détaillées des futures régions, ni les moyens financiers dont elles disposeront. Ce flou ne décrédibilise-t-il pas ce projet de fusion ? J.-C.D. : Tant que nous ne connaissons pas les compétences futures des régions, et les financements dont elles disposeront, on ne sait pas comment seront armées ces régions. Seront-elles autorisées à lever des impôts dans un contexte de baisse des dotations d’État ? Nous n’avons pas la réponse. La question de fond est celle de la décentra- lisation. Si nous parvenons à disposer d’une masse financière 5 à 6 fois supérieures à celle dont on dispose actuellement grâce à la fiscalité, nous changerons directement d’échelle. En effet, lorsqu’on compare le budget des régions en France à celui des régions en Allemagne par exemple, on s’aperçoit qu’il est 8 à 9 fois inférieur. Il faut que nos régions soient lisibles dans l’espace européen. Le problème n’est pas celui du nombre d’habitants, mais de la capacité à s’afficher et à être reconnu. En effet, tant que les inconnues autour des compétences et des financements ne sont pas levées, il y aura des craintes et des réticences vis-à-vis de la fusion. Propos recueillis par T.C. “La Région sera-t-elle autorisée à lever des impôts ?”

Bio express Formation : géographe 1986 - 2010 : conseiller régional. Un premier mandat avec Edgar Faure. Vice-président à l’aménagement du territoire de 1989 à 2004. 1995 - 2001 : conseiller municipal à Besançon 2014 : Co-pilote du comité des sages. Il publie en décembre : “La Franche-Comté avec la Bourgogne, chronique d’une fusion décidée depuis 160 ans” (éditions Sékoya).

dans beaucoup d’autres domaines. Nous ajoutons les forces mais nous ne les dis- solvons pas. On additionne les atouts de l’un et de l’autre pour que Bourgogne- Franche-Comté soit plus for- te que la Bourgogne seule et que la Franche-Comté seu- le. Cela se vérifiera aussi dans le domaine de la san- té. Les C.H.R.U. de Dijon et de Besançon ne vont pas fusionner. En revanche, grâ- ce au regroupement des deux régions, ils vont pouvoir continuer à développer les coopérations. Dans le secteur des trans- ports ferroviaires, on peut espérer une meilleure inter- connexion des réseaux gérés par la nouvelle région pour que le service gagne en effi- cacité. Dans l’éducation cet- te fois, en particulier dans

“Il y a des doublons entre les deux régions.”

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