La Presse Bisontine 159 - Novembre 2014

ÉCONOMIE

La Presse Bisontine n° 159 - Novembre 2014

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INDUSTRIE

Des sociétés locales basées au Portugal Le Portugal, nouvel eldorado des entreprises du Doubs Gérant d’une entreprise de polissage, le Bisontin Albert Auer a établi sa production depuis 2006 à Fundao, au Portugal, comme quatre autres sociétés du Doubs. Un choix motivé par des coûts salariaux et des taxes plus faibles. Compétitif, il dit pouvoir préserver 15 emplois à Rioz, dans une autre de ses sociétés.

A lbert Auer rentre d’un séjour au Portugal. Depuis 2006, ce Bisontin d’origine s’y rend une fois toutes les six semaines pour les affaires. Et non pour le tourisme. Il a investi dans un bâtiment à Fun- dao, ville de 29 000 habitants située à 250 km au sud-ouest de Porto, où 15 de ses salariés polissent, laquent, sou- dent et contrôlent des pièces pour la maroquinerie de luxe, son principal donneur d’ordres. Installés dans une zone industrielle repère de sociétés doubistes (lire par ailleurs), les travailleurs portugais per- çoivent 498 euros nets par mois pour 40 heures hebdomadaires. Un chef d’atelier touche environ 1 000 euros. C’est deux fois moins qu’en France, argument de taille qui a conduit la délocalisation d’une partie de “Déve- loppement application”, la société- mère basée à Rioz qu’il a fallu bapti- ser “Polibeiro” histoire de sonner portugais. Ce n’est pourtant pas le seul élément qui a conduit au départ à écou- ter le patron : “J’ai des personnes habiles, travailleuses et assidues, qui ont à cœur de bien faire. Sur les 200 000 pièces que nous expédions tous les ans, il est rare qu’une série revienne parce qu’elle est mal faite. On peut dire que la qualité est bonne, sinon meilleure qu’en Fran- ce. Il y a moins de retouches” dit l’en- trepreneur franc-comtois. Albert Auer a découvert le filon por- tugais par hasard. C’est un patron basé à Damprichard (Haut-Doubs) qui a balisé le terrain en premier en créant une société de 40 personnes à la fin des années quatre-vingt. “En 1976, lorsque je travaillais àTechniboîtes, nous avons commencé à sous-traiter avec cette socié- té basée à Fundao grâce à ce patron de Damprichard, M. Petermann.” Quarante ans plus tard, le bassin de Fundao au Portugal n’a cessé de se développer, dynamisé par la venue d’en- treprises désireuses de posséder leur propre outil de production ici, gage de délais de production raccourcis qu’un

L’entreprise d’Albert Auer est basée dans la zone industrielle de Fun- dao avec d’autres filiales françaises. L’entrepreneur de Cussey-sur-L’Ognon loue le savoir-faire des salariés portugais. Il prévoit d’embaucher.

de Rioz devait polir elle-même : le sur- coût serait de 400 000 euros en polis- sage ce qui occasionnerait mécani- quement une hausse des prix… et le départ du client vers des cieux plus propices. Dans un domaine de la sous-traitance ultra-compétitif où ce sont désormais les donneurs qui fixent les marges, la firme portugaise doit gérer au plus fin. “On est dans une guerre des prix mais je préfère produire en Europe qu’en Chi- ne.” Notons tout de même que certains grands groupes du luxe refusent de se servir en Chine. Ils acceptent le Por- tugal. Ancien salarié de l’entreprise d’horlo- gerieMonnié-Techniboîtes où il a débu- té comme mécanicien outilleur puis comme responsable d’atelier et enfin gérant en 1976,Albert A. a vécu de près la crise horlogère et la disparition de l’outil de production. La délocalisation, nécessaire selon lui, a permis de sau- vegarder de l’activité en France.Aujour- d’hui, des tonnes de pièces transitent entre France et Portugal. Les fournis- seurs français de pâte à polir par exemple l’ont bien compris : ils vien- nent démarcher les fabricants à Fun- dao. Le Portugal, un nouvel eldora- do… E.Ch.

Des facilités administratives, mais quid des licenciements ? P our créer en 2006 la société “Poli- beira”, Albert Auer a eu besoin… dʼune matinée. Le temps de rem- plir un formulaire à destination dʼun organisme dʼétat, de donner trois noms pour sa société, de préciser le mon- tant du capital, et le tour était joué. “Polibeira” est née. Si les salariés sont peu payés par rap- port à leurs homologues français à tâche égale, ils sont - heureusement - protégés. En cas de licenciements, ils touchent jusquʼà un an de salaire. En cas de mariage, le salarié est cré- dité de 15 jours de vacances. Une jeu- ne maman peut prendre le travail 1 h 30 après les autres et sortir 1 h 30 plus tôt. En revanche, il nʼy a pas de primes ou dʼancienneté. Lʼintérim est peu développé. Selon le gérant ins- tallé depuis 8 ans là-bas, il aurait retrou- vé lʼambiance de travail de naguère : “À savoir une solidarité, des salariés qui se retrouvent ensemble le soir” dixit le chef dʼentreprise.

moment qu’un client (N.D.L.R. : une société spécialisée dans le luxe). Je pen- se que l’on va le prendre ce marché qui représente 5 000 pièces par mois envi- ron. À terme, je devrais embaucher 10 personnes pour arriver à 25 salariés au total” calcule-t-il. Rare homme d’affaires à avoir accep- té de répondre à nos sollicitations, il devance les critiques qu’un pareil exo- de économique peut avoir comme consé- quences sur le plan français : “Si je n’avais pas délocalisé, il n’y aurait sans doute plus de sociétés ici en France. Nous sommes une filiale de la société “Développement Application” (gérée par un de ses fils) basée à Rioz. C’est elle qui reçoit nos pièces faites au Portugal et qui les revend ensuite. Grâce au Por- tugal, j’assure l’emploi de 15 salariés à Rioz” coupe le gérant qui fait remar- quer qu’il produit toujours en Europe et non en Chine. Si l’entreprise-mère

sous-traitant ne peut pas toujours garantir. Le gain de compétitivité ados- sé aux facilités de commercer grâce à l’Union européenne a assuré le reste. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : “Une boucle de ceinture polie est produite pour 4 euros au Portugal contre 8 euros en France” calcule le chef d’entreprise depuis sa maison située à Cussey-sur- l’Ognon où il garde - souvent - un œil sur sa boîte mail ou son téléphone. Il gère à distance sans couacs particu- liers : “Mon chef d’atelier parle fran- çais… comme beaucoup des salariés. C’est un avantage. Avec les liaisons aériennes au départ de Dole-Tavaux, je peux être rapidement là-bas pour un client.” Justement, l’un d’eux vient d’ap- peler. Il souhaite commander 50 000 pièces. Albert Auer se pose une ques- tion : “Soit je prends ce marché et on se diversifie, ce que je souhaite, soit je ne le prends pas car nous n’avons pour le

Zoom Fundao, ville à l’accent du Doubs Six autres sociétés du Doubs ont une filiale à Fundao. Le point sur les investissements français là-bas. L e groupe Goulard (J3L) à Châtillon-le-Duc possède une unité de production à Fundao. Il emploie près de 150 personnes. Une entreprise bisontine spé- cialisée dans le taillage de pierres est également installée au Portugal. Une autre de Damprichard emploie environ 50 personnes. Une autre, de Vercel, a égale- ment répondu à l’appel portugais. Ces firmes font preuve d’une extrême pru- dence lorsqu’il s’agit de parler de ce sujet et se retranchent derrière leurs don- neurs d’ordres que sont la maroquinerie et la joaillerie de luxe. La société Cœur d’Or à Maîche - spécialisée dans le polissage - a créé une unité de production dans la zone industrielle et se développe. Ces six sociétés ont toutes baptisé de noms portugais leurs filiales qui emploient environ 400 Portugais. Selon une étude publiée par la Mission économique de Lisbonne sous le titre “Les implantations françaises au Portugal”, plus de 420 entreprises portugaises à participation française ont été recensées (en 2007). Ce nombre serait toute- fois légèrement inférieur à la présence britannique et allemande (environ 500 implantations). Les banques et des compagnies d’assurances françaises y sont présentes mais aussi la chimie (Air Liquide, Rhodia), les laboratoires pharma- ceutiques (Servier, Sanofi-Aventis), les équipementiers automobiles (Valéo, Fau- recia, Delfingen Industry), l’équipement et l’installation électrique et électronique (Alcatel-Lucent, Legrand, Schneider, Schlumberger, Alstom).

Fundao, 20 000 habitants, est devenue la vallée du “polissage” pour les sociétés françaises.

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