La Presse Bisontine 156 - Juillet-Août 2014

LE PORTRAIT

47 La Presse Bisontine n° 156 - Juillet-août 2014

BESANÇON Parcours d’un étudiant étranger Shihab, un Koweïtien so frenchy

I nstallé à la terrasse d’un café bison- tin, une fin d’après-midi radieuse, Shi- hab goûte encore un peu à l’ambiance de la ville. Élégant, les cheveux pei- gnés vers l’arrière, une cigarette au bord des lèvres,il laisse fuir son regard au hasard de l’agitation de la rue des Granges. Dans quelques mois, c’est une autre histoire qui l’attend, à des milliers de kilomètres d’ici, dans le golfe Persique. Shihab va rentrer au Koweït, sa terre natale, pour y enseigner le français à l’Université, un doctorat de sciences humaines en poche.Alors, avant de retour- ner dans son pays à peine plus grand que la Franche-Comté où prospère l’industrie pétrolière, il égrène ses heures libres dans la capitale du temps. “Besançon, c’est ma ville ! J’aime cet endroit, les gens qui y vivent, les rapports sociaux. Ici, j’ai mes amis, je me sens comme chez moi” révèle- t-il dans un français maîtrisé mais dont l’accent arabe le trahit sur ses origines étrangères. Par ces mots, il exprime son attachement presque viscéral à cette vil- le dans laquelle il a débarqué pour la pre- mière fois en 1983. Shihab avait vingt ans, il en a cinquante aujourd’hui. Il est père de quatre enfants âgés de 10 à 16 ans qui vivent au Koweït. S’il est à Besançon en ce moment, c’est pour achever ses études qu’il a commen- cées trente ans plus tôt, ici, sur les bancs de la fac de lettres. “À l’époque, je suis arri- vé là un peu par hasard, au C.L.A. (centre de linguistique appliqué) dont nous connais- sions la réputation. À ce moment-là, nous étions plus d’une vingtaine d’étudiants du Koweït à venir suivre des cours dans toutes les filières. On était boursiers du gouver- nement” raconte Shihab. Il ira jusqu’à la licence à Besançon, avant d’obtenir une maîtrise en sciences du langage à Paris, Université Sorbonne Nouvelle. L’étudiant a alors le niveau suffisant pour atteindre son ambition : enseigner le français au Koweït. “Mais la vie a voulu que je chan- ge de domaine” se souvient-il en affichant un large sourire. Nous sommes en 1991, le Koweït est libé- ré du joug irakien, après une guerre de deux ans que Shihab a suivi depuis Paris, Étudiant à Besançon ou il achève son doctorat, Shihab prépare son retour dans son pays, le Koweït, où il enseignera le français. Itinéraire hors norme d’un enfant du golfe Persique.

Attaché à la culture française, Shihab sera un ambassadeur

du français au Koweït.

dans l’angoisse, sans nouvelles de sa famil- le. Ses connaissances en français inté- ressent le Fonds Koweïtien pour le Déve- loppement Économique, une institution destinée à aider les pays en voie de déve- loppement en leur octroyant des prêts et des subventions pour dynamiser leur éco- nomie. L’étudiant est happé par le mon- de de la finance, intervenant surtout dans les pays francophones africains pour le compte de cet organisme. Il collaborera ensuite avec la Banque Industrielle du Koweït. “J’ai énormément voyagé lorsque j’étais au Fonds Koweïtien pour le Déve- loppement. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai travaillé sur des projets importants comme l’aéroport du Sénégal ou un port au Burkina Faso.” Le job est prenant, il l’intéresse. Mais au final, il va mettre son rêve d’enseigner le français dans son pays entre parenthèses pendant près de quin- ze ans. “J’ai perdu beaucoup de connais- sances dans la maîtrise de cette langue durant cette période” regrette Shibab. Alors il va tout plaquer pour reprendre le cours de ses études là où il l’avait aban- donné, en maîtrise. “Il n’est jamais trop tard pour s’arrêter, prendre le temps de regarder son histoire, et décider d’un nou- vel itinéraire.” L’homme mûr empoigne à

nouveau sa serviette d’étudiant et revient en France en 2008 pour démarrer une thèse qu’il doit soutenir d’ici la fin de l’année à Besançon. Son sujet de docto- rat traite de la mobilité des étudiants koweïtiens en France. La toile de fond du travail universitaire qu’il achève est tein- tée de sa propre expérience. Mais en trente ans, le contexte a changé. Rares sont les jeunes Koweïtiens à faire le choix d’étudier la langue de Molière. “En général, les Koweïtiens vont dans les pays anglophones par facilité parce que nous apprenons l’anglais à l’école. 9 000 vont aux États-Unis, 5 000 à 6 000 en

“Les motivations sont différentes pour un étudiant s’il choisit de venir ici pour étu- dier plutôt que d’aller en Angleterre. La France, c’est une langue de prestige façon- née par l’histoire. Elle est riche de sa cul- ture. Pour nous, la France est la terre des droits de l’Homme. Parler le français au Koweït est véritablement un élément dis- tinctif dans unmonde où l’on parle anglais.” Les propos de Shihab redonnent presque un regain de fierté d’être Français à ceux qui ont tendance à la perdre. Il faut dire que l’étudiant s’est approprié depuis longtemps notre culture différen- te en beaucoup de points de la sienne, qui cohabite en lui avec les valeurs tradi- tionnelles qu’il a reçu au Koweït. Désor- mais, sa perception du monde se façonne autour de cette dualité “entre ici et là-bas. Je m’adapte.” Bientôt, lorsqu’il rejoindra l’autorité publique pour l’enseignement appliqué au Koweït, il espère pouvoir agir pour que le volume horaire d’enseignement du français soit revalorisé par rapport à l’anglais. “J’espère que nous pourrons inten- sifier aussi les échanges universitaires avec la France. Nous en avons besoin.” Français de cœur, il sera à coup sûr ambas- sadeur de sa culture d’adoption. T.C.

Bio express 13 octobre 1963 : naissance au Koweït 1983 : arrivée au C.L.A. à Besançon 1990 : maîtrise en science du langage à 1991-2005 : Collabore respectivement au Fonds Koweïtien pour le Développement Économique et à Banque Industrielle du Koweït. Jusqu’en 2008 : Enseigne le français à l’autorité publique pour l’enseignement appliqué. 2008 : Démarre une thèse sur le sujet “La dynamique de représentation sociale et mobilité des étudiants koweïtiens”. Automne 2014 : Soutiendra sa thèse, puis retour au Koweït pour enseigner le français à l’autorité publique pour l’enseignement appliqué. l’Université Paris III, Sorbonne Nouvelle.

Angleterre, 3 000 à 4 000 en Australie. Ils sont 130 à choisir la France. Le fran- çais est la deuxième langue enseignée dans mon pays mais à partir du lycée” remarque le doctorant. Des statistiques qu’il ne faut pas interpréter, selon Shihab, comme un repli de la culture française à l’étranger. Il est convaincu au contraire du pouvoir de séduction de la France à l’extérieur de ses frontières.

“Décider d’un nouvel itinéraire.”

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