La Presse Bisontine 155 - Juin 2014

CULTURE

La Presse Bisontine n° 155 - Juin 2014 43

ÉVÉNEMENT

Du 7 juin au 1 er septembre L’Origine du monde revient à Ornans

C’est un événement culturel qui se prépare à Ornans. Du 7 juin au 1 er septembre, le Musée Courbet nous invite à découvrir l’exposition “Cet obscur objet de désir. Autour de L’Origine du monde.” 70 œuvres des plus grands artistes (Rodin, Redon, Ingres, Degas, Masson, Rembrandt…) ont été réunies autour de la star très attendue de l’exposition “L’Origine du monde” (musée d’Orsay) de Gustave Courbet. Cette rencontre exceptionnelle avec l’art, est une invitation à s’interroger sur le regard porté par les artistes sur le sexe féminin. À découvrir. Thierry Savatier “L’Origine du monde a gardé son pouvoir dérangeant” Historien de l’art, spécialiste de L’Origine du monde, Thierry Savatier nous parle de ce tableau de Courbet qui scandalise encore. DÉCRYPTAGE

Renseignements : Du 7 juin au 1 er septembre Tél. : 03 81 86 22 88 www.musee-courbet.fr

L’Origine du monde, un tableau peint par Gustave Courbet en 1866. Elle a été exposée une première fois à Ornans au début des années quatre-vingt-dix.

©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay - H. Lewandowski).

À lire “Courbet une révolution érotique” (Thierry Savatier - éditions Bartillat) “L’Origine du monde, Histoire d’un tableau de Gustave Courbet” (Thierry Savatier - éditions Bartillat). À voir Les conférences autour de l’Origine du monde Samedi 14 juin à 20 heures, centre diocésain rue Mégevand à Besançon : “De quoi L’Origine du monde est-elle le nom ? Un regard psychanalytique sur les passions que suscite la Jaconde d’Orsay.” En présence d’Yves Sarfati, psychiatre. Vendredi 27 juin au centre diocésain rue Mégevand à Besançon : “Courbet ou la peinture à l’œil” avec Jean-Luc Marion de l’Académie française, Professeur émérite à l’Université Paris- Sorbonne, Professeur à The University of Chicago, et Dominique de Font-Reaulx, conservateur en chef au Louvre et directrice du Musée Eugène Delacroix. Conférences Thierry Savatier animera deux conférences : une à la Ferme de Flagey le 10 août, sur le thème “L’Origine du monde et la censure”. Il participera aussi au colloque qui aura lieu le 11 septembre, autour du tableau.

gauche morale qui cherche à en faire autant. Cette gauche ne parle plus de bonnes mœurs, mais d’atteinte à la dignité de la femme. À cela s’ajoute la censure des féministes. Le statut de l’artiste qui travaille sur l’érotisme et celui des conservateurs qui s’intéresse au même thème est loin d’être tran- quille. L.P.B. :“L’Origine dumonde”est-elle uneœuvre pornographique ou non ? T.S. : Elle échappe à toute pornographie car cette femme n’a pas de tête. Si Cour- bet avait représenté un nu féminin com- plet, on aurait pu s’interroger. Dans la mesure où la tête est absente, elle a tout juste une connotation érotique. L’œuvre est un monument à la femme inconnue ! C’est la restitution par un artiste d’un élément fondamental qui est le sexe féminin, occulté jusqu’à lui dans l’art occidental. C’est à la suite de Courbet que les artistes représenteront des femmes sexuées.Rodin,par exemple, va faire une série de dessins dans des cadrages proches de celui de L’Origine du monde. L.P.B. : Que sait-on du modèle qui a inspiré Courbet ? T.S. : C’est une grande question. On a souvent dit que le modèle était “Jo” (Joanna Hifferman), la maîtresse du peintre JamesWhisler. Si nous sommes certains qu’il s’agit bien d’elle dans “Le Sommeil”, je ne suis pas aussi affir- matif en ce qui concerne L’Origine du monde, parce que “Jo” est rousse. Pour ma part, je penche plutôt pour une source photographique. Dès la nais- sance de cette technique, les photo- graphes réalisent des nus féminins ven- dus comme modèle à des peintres. Courbet possédait ce genre de photo- graphies. On sait que les photos et les gravures populaires lui servaient de source d’inspiration. Or, le photographe Auguste Belloc a réalisé des clichés de sexes féminins du même cadrage que L’Origine du monde. L.P.B. :Comment avez-vous réagi en apprenant dans les médias en 2013 qu’une peinture sup- posée être le visage de L’Origine du monde venait d’être trouvée ? T.S. : J’ai immédiatement émis les plus grandes réserves. La plus importante est anatomique.Quand on regarde L’Ori- gine du monde, vu la position du bus- te, l’épaule droite est plus haute que la gauche. Lorsqu’on regarde cette autre peinture présentée comme le visage de L’Origine du monde, c’est exactement le contraire.

L.P.B. : Vous êtes un spécialiste de ce tableau. A-t-il livré tous ses secrets ? T.S. : Non. Il y a encore des parts d’ombre, notamment sur les années où sa trace a été perdue. D’autres incertitudes demeurent ne serait-ce que sur le nom du tableau “L’Origine du monde” qui n’a peut-être pas été donné par Cour- bet. L.P.B. : Qu’est-ce qui vous fascine dans cette œuvre ? T.S. : Je trouve ce tableau fascinant car il occupe une place charnière dans l’his- toire de l’art occidental. Il restitue à la femme ce sexe que les conventions, depuis la Grèce antique, lui avaient refusé. Une fois encore, dans les années qui suivirent 1866, des artistes (Rodin, Bonnard, Caillebotte, etc.) commence- ront à représenter la femme bien com- plète de son sexe. Enfin, en supprimant tout visage,dans un trait de génie,Cour- bet réalise là, à mon sens, un hymne à l’éternel féminin. Propos recueillis par T.C.

L a Presse Bisontine : Gustave Courbet peint L’Origine dumonde en 1866. Pour- quoi réalise-t-il ce tableau pour Khalil Bey, diplomate turc, amateur d’art et premier propriétaire de la toile ? Thierry Savatier : Je pense qu’il y a conco- mitance de deux facteurs. Courbet avait peint une grande toile d’inspiration saphique qui a été vue dans son atelier (elle a été détruite ensuite). Lorsque Khalil Bey a connaissance de cette toi- le, il vient la voir, et demande à l’ache- ter. Mais il se trouve que le peintre vient de la vendre. Courbet propose alors à son client de lui peindre une autre toi- le. Il réalise “Le Sommeil” et en deman- de 20 000 francs, ce qui était relative- ment important à l’époque. Khalil Bey marchande et Gustave Courbet lui sug- gère finalement de lui peindre un autre tableau pour le même prix : “L’Origine du monde”. En cela, cette toile est une commande. Mais il est possible qu’un autre phénomène ait pu inspirer Cour- bet. Cela fait longtemps qu’il peint dans la région d’Ornans des paysages. On peut penser qu’il le fait sous l’influen- ce de Proudhon qui travaille sur l’art de Courbet et qui est d’un puritanisme effrayant.Les deuxhommes sont proches, il est imaginable qu’au regard de leurs rapports, le peintre n’ait pas osé lais- ser libre cours à sa veine érotique.Proud- hon meurt en 1865, et dès 1866 Cour- bet peint “Le Sommeil” et “L’Origine du monde”. L.P.B. : Ce tableau aura une vie discrète pen- dant plus d’un siècle. Il ne sortira pas de la sphère privée. Le grand public pourra la décou- vrir véritablement lorsqu’il entre aumusée d’Or- say en 1995. Comment cette toile aurait-elle été perçue si elle avait été exposée en 1866 ? T.S. : Ce tableau aurait créé un énorme scandale pour plusieurs raisons. Nous sommes sous le Second Empire, dans une période d’ordre moral.Même si, en vérité, l’élite mène une vie libertine, la façade est le puritanisme. C’est la pre- mière fois que le sexe féminin est peint. Il l’a été dans l’art préhistorique, mais depuis la Grèce antique, la femme est représentée sans sexe. Et Courbet choi- sit de ne montrer que le sexe, ce que toutes les conventions de l’art auraient refusé à l’époque si le tableau avait été rendu public. Cela n’aurait jamais pu être accepté. En effet, l’œuvre ne sortira pas de la sphère privée.Mais les collectionneurs lamontrent.Jacques Lacan par exemple à qui la toile a appartenu, la fait décou-

vrir à des personnes comme Margue- rite Duras. C’est toujours un cérémo- nial. Ce tableau était donc connu d’un certain nombre de gens mais pas du grand public. L.P.B. : Cette œuvre est-elle mieux acceptée aujourd’hui ? T.S. : Elle a gardé son pouvoir déran- geant 150 ans après. L’exemple le plus récent est qu’en 2014, la Société Phi- latélique de Besançon a demandé à La Poste d’imprimer l’œuvre sur un timbre, ce qu’elle a refusé. Le tableau a été jugé pornographique pour commencer, ce qui est imbécile. Finalement, La Poste a prétendu, pour motiver son refus, que cela pouvait heurter la sensibilité du jeune public. L.P.B. : D’où vient la fronde ? T.S. : Le problème est qu’il y a des ultra- conservateurs, des associations fami- liales qui sont le cache-sexe de grou- puscules d’extrême-droite, qui ne voient aucune dimension artistique dans une œuvre qui représente le sexe féminin. L’autre difficulté vient du droit fran- çais qui ne dit rien de la pornographie. En cas de contentieux judiciaire, com- me il n’y a aucune définition, c’est au juge d’apprécier le caractère porno- graphique. L.P.B. : Redoutez-vous que des gens manifes- tent leur mécontentement à Ornans ? T.S. : En tout cas, avec mes consœurs, nous avons pris la précaution demettre un panneau d’avertissement. Mais il n’arrêtera pas une association qui déci- derait de nuire. Cela paraît invrai- semblable, mais nous ne sommes à l’abri de rien. L.P.B. : Ce que vous dites est très surprenant à une époque où tous les tabous paraissent voler en éclat. La censure existe encore ?

ORNANS Du 6 au 13 juin Le Désir, matrice de l’œuvre de Jean-Pierre Sergent L e désir et la sexualité sont des constantes dans le travail de lʼartiste-peintre Jean-Pierre Sergent. En marge de lʼexposition “Autour de LʼOrigine du mon- de” organisée au Musée Courbet, il présentera ses œuvres au Caveau des arts à Ornans, 7 rue Saint-Vernier. Lʼexposition sʼintitule “Le désir, la matrice, la grotte et le lotus blanc”. On peut découvrir notamment six peintures sur Plexi- glas de grand format ont été spécialement choisies pour illustrer ces concepts du désir. Par le thème suggéré, érotique souvent, beaucoup dʼœuvres de Jean- Pierre Sergent font écho à la peintre de Gustave Courbet. À découvrir.

“L’œuvre est un monument à la femme inconnue !”

T.S. : Certes il y a proli- fération de sites porno- graphiques sur le Net. Mais dès l’instant où on parle d’art, ce n’est plus la même chose. J’obser- ve d’ailleurs qu’il y a un déplacement de la ligne de front entre la droite et la gauche. Il y a tou- jours une droite d’ins- piration chrétienne qui veut censurer. Mais il y a aussi un courant de la

Le désir et la sexualité sont au cœur du travail de Jean-Pierre Sergent qui expose à Ornans en juin.

Renseignements : 03 81 62 40 33 - www.j-psergent.com

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