La Presse Bisontine 155 - Juin 2014

LE GRAND BESANÇON

La Presse Bisontine n° 155 - Juin 2014

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TÉMOIGNAGE Les 20 ans du génocide rwandais “J’ai marché durant quatre mois, enceinte, avec une balle dans la jambe”

20 ans après le génocide du Rwanda, elle témoigne de son calvaire et apporte certaines vérités. Après avoir perdu son mari et trois de ses enfants dans le génocide, Christine s’est reconstruite à Quingey où elle réside. Elle n’est jamais retournée dans son pays.

L a Presse Bisontine :Le Rwanda a com- mémoré le 20ème anniversaire du génocide qui a débuté le 7 avril 1994 pour se terminer en juillet. Le prési- dent rwandais Paul Kagamé s’en est pris de façon à peine voilée à la France sur son rôle toujours controversé durant les massacres. Comprenez-vous ces attaques contre la Fran- ce ? Christine N. (elle préfère témoigner anony- mement) : Non, la France n’est pas res- ponsable. Je ne comprends pas pour- quoi elle cherche toujours à s’accrocher au Rwanda alors que Kagamé s’en prend à la France. Pour preuve, le pays n’est plus francophone aujourd’hui, mais anglophone. Lors du conflit, les militaires français avaient une pre- mière mission : ils étaient là pour rapa- trier leurs ressortissants. Il y avait 200 casques bleus pour 8 millions de per- sonnes ! Les Français n’ont pas fermé les yeux : ils n’ont juste pas vu ce qui se passait dans les bananeraies, tous les massacres…

C.N. : Moi, j’habitais avec ma famille loin de la ville, à Zaza (Est du Rwan- da). Je tenais là-bas un bar-restau- rant. Lorsque les rebelles ont attaqué, les premiers massacres, nous étions seuls. Il a fallu fuir. L.P.B. : Comment avez-vous réussi à survivre ? C.N. : Ce n’est pas quelqu’un qui m’a sauvé. Ce qui m’a sauvé, c’est la chan-

ce. Monmari et ma fille ont été faits prison- niers par les rebelles dans une maison avec d’autres personnes. Ils ont lancé des bombes lacrymogènes et ont mis le feu à la maison. J’ai perdu mon mari et trois de mes enfants. Je me suis enfuie avec des amis. L.P.B. : Pour aller où ? C.N. : Nous allions dans le sens où il n’y avait pas la guerre. Sur les

“La France n’est pas responsable.”

Christine N. a vécu de près le massacre au Rwanda. Res- capée, elle témoigne 20 ans après. Les souvenirs restent douloureux.

L.P.B. : Pourquoi dites-vous cela ?

collines, les rebelles tiraient sur les personnes comme sur des mouches. J’ai marché durant quatre mois avec une bal- le dans la jambe. L.P.B. : Vous étiez enceinte à cette époque. Comment avez- vous réussi à survivre ? C.N. : J’ai été soignée dans un centre tenu par la Croix Rouge. J’ai marché longtemps, dormi dehors, mangé ce que je trouvais. Par chance, tout pousse au Rwanda : on se ser- vait dans les champs de patate douce et d’autres fruits. L.P.B. :À partir de quel moment vous êtes-vous sentie en sécu- rité ?

te à Montferrand-le-Château).

L.P.B. : Vous êtes forcément une femme dif- férente depuis ce cauchemar ? C.N. : Oui, je ne suis plus la même per- sonne. Je peux dire que je me suis éveillée. Cela m’a même réveillée : avant la guerre, je disais “tout va bien.” Je me rends compte qu’être en sécu- rité et avoir la santé est le plus impor- tant. Lorsque je vois des gens qui se plaignent alors qu’ils sont gâtés, cela me fait sourire. Passer une nuit dehors, c’est la fête par rapport à ce que j’ai vécu. Je n’ai plus peur de mourir… L.P.B. : Cette philosophie explique donc votre sourire… C.N. : J’aime la bonne ambiance. J’ai trop souffert. L.P.B. : Peut-on pardonner ? C.N. : On est tous pareils : il faut arrê- ter avec les histoires de Hutu et de Tutsi (Christine était Hutu). Nous sommes tous des réfugiés. Il n’y avait pas d’étiquette sur les fronts des Hutus ou des Tutsis. Les massacres, les coups de machettes, allaient aussi bien aux Hutus qu’aux Tutsis. L.P.B. : Seriez-vous prête à retourner dans votre pays ? C.N. : Non, je ne suis pas prête à affron- ter un retour. Et si vous dites que vous venez de France, vous êtes mal vu par la population. Ma sœur y est retour- née il y a deux ans. Là-bas, il reste quelques-uns de mes neveux. L.P.B. : Vos trois enfants (30, 25 et 20 ans) vivent en France et réussissent leurs études à l’image de votre fille qui est en Master 2 de biologie à Strasbourg. La vie en Europe est- elle ce que vous imaginez lorsque vous étiez au cœur de l’Afrique ? C.N. (rires) : On croyait que les Euro- péens étaient tous riches, habitaient dans une grande maison. On se rend compte qu’il faut travailler pour payer ses factures…mais au moins, il y a la sécurité. Propos recueillis par E.Ch.

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“Je n’ai plus peur de mourir…”

C.N. : J’ai traversé le pays pour aller au Congo. Puis, j’ai vécu un an au Bénin (Ouest de l’Afrique), aidée par une O.N.G. Dans ce périple, j’ai eu la chan- ce d’apprendre qu’un de mes fils avait été vu en vie. Il était dans un centre. Il avait 8 ans à l’époque des faits. Une fois au Bénin, nous sommes allés au consulat de France pour obtenir des visas, que nous avons eus en 1996. Je suis Française depuis 2004. L.P.B. : Comment se reconstruire après un tel enfer ? C.N. : Vivre dans l’angoisse et la tris- tesse, cela me détruirait. Il y a quelques années, j’ai consulté un psychologue qui m’a aidé à m’en sortir. J’ai retrou- vé le sourire mais cela a été dur car j’ai eu l’impression que personne ne pouvait nous écouter. Même ma sœur, arrivée en France en 1981, n’a pas vrai- ment compris ce qui se passait là-bas. Lorsqu’un de mes fils tombait mala- de, je me disais : “C’est à cause de la guerre.” Grâce à l’aide de ce psycho- logue, j’ai pu passer mon permis de conduire, trouver un travail (N.D.L.R. : elle travaille dans une maison de retrai-

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