La Presse Bisontine 146 - Septembre 2013

A g e n d a

La Presse Bisontine n° 146 - Septembre 2013

44

“L’école d’art n’est pas un point d’arrivée, c’est un point de départ” Le directeur de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts (I.S.B.A.) de Besançon explique que les étudiants qui passent dans cette école acquièrent une culture qui leur ouvre les portes d’un avenir professionnel. FORMATION - LAURENT DEVÈZE

Laurent Devèze : “Nous ne formons pas des personnes qui viennent gonfler les statistiques de Pôle Emploi.” (photo Jean-Charles Sexe).

L a Presse Bisontine : La derniè- re promotion d’étudiants qui a achevé son cursus à l’I.S.B.A. a obtenu d’excellents résultats n’est-ce pas ? Laurent Devèze : 100 % de réussite au concours de sortie en master d’art et en communication visuel- le. Ce sont des jurys nationaux. La plupart des élèves ont reçu des félicitations. Nos résultats sont meilleurs que ceux des écoles des beaux-arts à Paris. L.P.B. : Savez-vous ce que deviennent vos étudiants à partir du moment où ils sortent de l’école ? L.D. : On suit nos étudiants. 80 % des diplômés trouvent un travail en accord avec leur ambition, c’est plus qu’en droit ou en économie ! Certains deviennent graphistes dans une agence de communica- tion. Les artistes, pour beaucoup, se tournent vers l’enseignement. On forme des gens qui ne devien- dront pas forcément les plus riches de France, mais qui sont heu- reux. Ce qui est sûr, c’est que nous ne formons pas des per- sonnes qui viennent gonfler les statistiques de Pôle Emploi. L.P.B. : On a souvent dit que les étu- diants qui s’aventuraient dans une filiè- re artistique étaient dans une impas- se. Chiffres à l’appui,vous nous expliquez exactement le contraire. Qu’est-ce qui a changé ? L.D. : Une filière qui ne débouche sur aucun travail, cette école d’art est tout le contraire ! Mon rôle est de faire émerger des com- municants visuels et des artistes. Ce que je dis aux étudiants, c’est qu’ils ont la possibilité d’enrichir le monde. Quelle que soit la filiè- re dans laquelle ils sont à l’I.S.B.A., ils ont en point com- mun celui de devenir auteur. Ils produisent des choses qui vont

ont été déterminés à l’institut. Le premier est “le corps de l’artiste comme moyen de création”. Un doctorant qui s’engage dans cet- te voie mènera une partie de ses investigations en particulier à l’Université de Valence en Espagne à laquelle nous sommes liés. Le second pôle de recherche est le contrat social qui s’intéresse à la fois à l’engagement politique et social de l’artiste et à sa pla- ce dans l’économie. Sur ce point, on collabore avec la Sorbonne. Le troisième axe de recherche est d’étudier ce qui arrive à une œuvre d’art à partir du moment où elle est imprimable. Cela va du format numérique P.D.F. consultable par tout le monde au livre d’artiste. Nous travaillons principalement sur ce point avec l’Université de Franche-Comté. L.P.B. : À l’inverse, vous accueillez des élèves d’autres écoles ? L.D. : Pour la deuxième année, une promotion de l’E.N.S.M.M. (N.D.L.R. : l’école d’ingénieur de Besançon) vient passer six mois dans nos locaux. L’idée est que les élèves ingénieurs intègrent des notions d’esthétisme qui leur serviront à l’avenir. L.P.B. : On voit aussi que le monde de l’art tisse des liens avec l’industrie. Ce fut le cas de Gilles Picouet qui a réali- sé l’œuvre Dédale à Besançon en par- tenariat avec la société Mantion. Qu’en pensez-vous ? L.D. : Cette initiative démontre notre capacité à faire se rencon- trer deux univers. Avec Dédale, Gilles Picouet voulait réinventer le mythe du labyrinthe, pour en faire un mythe positif, un espa- ce dont on peut sortir. Mais il y avait une difficulté technique à créer un labyrinthe qui soit capable d’articulations mobiles.

changer la perception. Leur qualité essentielle est leur capacité à se jouer des contraintes et à faire de la contrainte une chose positive. C’est presque de l’art martial. Les entreprises ont de plus en plus besoin de gens souples. Nos étudiants le sont. Beaucoup sont capables de faire autre chose que du graphisme. L.P.B. : L’École Régionale des Beaux- arts n’a pas seulement changé de nom en devenant Institut Régional des Beaux- arts. Les diplômes ont désormais la même valeur que n’importe quel autre diplôme universitaire. Cette évolution se traduit-elle par une hausse des demandes d’inscription à l’I.S.B.A. ? L.D. : La conséquence de cela est que nous croulons sous les demandes ! Les parents n’ont plus peur de voir leurs gamins faire une école d’art car ils savent qu’il y a des garanties. Si l’étudiant décroche un master et qu’il déci- de de se réorienter dans une autre filière, économique par exemple, il pourra le faire sans peine. L’école d’art n’est pas un point d’arrivée, c’est un point de départ, une por- te ouverte sur le monde. C’est un endroit traversé de toutes sortes d’influences. L’école d’art est un creuset qui donne aux élèves la capacité à comprendre, à faire et à analyser. L.P.B. : Face à cette affluence, avez- vous l’intention d’augmenter le nombre d’étudiants formés ? L.D. : Non, nous n’irons pas au- delà de 250 élèves. Quand je suis arrivé, un élève sur deux était pris à l’école de Besançon.Aujour- d’hui, il y en a un sur quatorze ! C’est précisément pour atténuer le côté drastique de la sélection et continuer à faire œuvre de ser- vice public que nous avons inté- gré une classe préparatoire à

l’entrée à l’école des beaux-arts de Besançon. Cette classe pré- paratoire se situe à Belfort, il s’agit de l’école d’art Jacot. On sort de l’image de l’artiste mau- dit, isolé. L’art aujourd’hui, c’est l’art au service de tous. C’est aus- si pour cette raison que nous sommes une école qui démulti- plie ses cours du soir dans les- quels des gens qui s’intéressent à l’art viennent chercher des savoirs. L.P.B. : L’aspect diplômant libère-t-il des vocations ? L.D. : C’est certain que cela libè- re les vocations. Ces deux der- nières années, nous avons accueilli des gens qui avaient déjà der- rière eux un cursus. Par exemple, un kinésithérapeute a intégré l’I.S.B.A., car il voulait faire enfin ce qu’il aimait. Cette année, on reçoit un docteur en pharmacie. L.P.B. : Cependant, l’étudiant des beaux- arts est-il reconnu comme un étudiant chercheur ? L.D. : L’enjeu est de faire recon- naître cette spécificité et de fai- re admettre, par exemple, qu’un peintre est un chercheur. La dif- férence avec un physicien est que son laboratoire est un atelier.

tion du lieu qui est importante, mais ce qu’on en fait. En l’occurrence, Besançon est la capi- tale des microtechniques. Cette ville a aussi une histoire socia- le, de luttes ouvrières. Ce sont des éléments qui nourrissent la réflexion et trouvent un écho au- delà des frontières régionales. Finalement, plus je suis Bison- tin et plus je suis international. C’est un peu comme le vin fran- çais. L.P.B. : Le marché de l’art français serait déprimé comparé à ce qui se passe en Allemagne, en Suisse ou aux États-Unis. Qu’en pensez-vous ? L.D. : Il y a longtemps que l’art est international. Il l’est de plus en plus. Ce marché ne peut pas être que français. C’est impossible de croire cela, comme il est impos- sible de croire qu’il n’y a qu’Arles pour la photographie, ou Venise pour la grande biennale. Le mon- de d’aujourd’hui est un monde de projection. C’est pour cela que je veux que mes étudiants par- lent l’anglais. En quatrième année, je veux qu’ils s’expatrient six mois à l’étranger. L.P.B. : La capitale régionale est-elle artistiquement vivante ? L.D. : Il y a des talents à Besan- çon, et des structures. Il y a la Cité des arts, des ateliers d’artiste

Il y a eu une rencontre avec la société Mantion de Besançon, spécialisée dans les montures et rails de roulement, qui cherchait une manière originale de mon- ter son savoir-faire. Elle l’a trou- vé en collaborant avec cet artis- te. Cette rencontre est du gagnant-gagnant. L.P.B. : Finalement, l’art n’est pas le seul dépositaire de la création ? L.D. : Non, en revanche, la créa- tion n’a qu’une manière d’être. Un geste chirurgical est une créa- tion. Il y a ce qu’on apprend, et à un moment donné quelqu’un va proposer autre chose : “et si on faisait comme cela ?” Le pro- cessus de création se met en pla- ce à partir de cette réflexion. On entre dans le domaine de l’art. L.P.B. : Le fait d’être à Besançon est-il un handicap pour un artiste qui veut faire connaître son travail ? L.D. : L’assignation géographique ne compte plus. Pour quelques dizaines d’euros, vous vous ren- dez en avion au Portugal pour visiter la fondation Sarralvès. C’est parfoismoins cher que d’aller à Paris ! Le T.G.V. arrive à Besan- çon, il y a Internet. Bref, l’idée à mon sens n’est plus d’être quelque part, mais d’être connecté. Les artistes ne sont pas isolés. Ils ont tous un blog. Ce n’est plus la ques-

Nous sommes sur un domaine de recherche qui a une forme plas- tique et graphique et pas acadé- mique. Néan- moins, pour don- ner du sens à tout cela, l’I.S.B.A. est adossé à des labo- ratoires de recherche qui com- prennent nos spé- cificités. Trois pôles de recherche

“Il y a des talents à Besançon, et des structures.”

Recevez chez vous Abonnez-vous à un tarif préférentiel.

Le journal d’information qui aborde tous les mois les sujets d’actualité de Besançon et de sa région : événements, société, actu, sport, vie associative et culturelle, dossier…

au lieu de 30€ 1 numéro GRATUIT au lieu de 60€ 3 numéros GRATUITS

27 €50 les 12 numéros 52 €50 les 24 numéros

Ou abonnez-vous en ligne : www.presse-bisontine.fr

Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online