La Presse Bisontine 145 - Juillet-Août 2013

LE PORTRAIT

La Presse Bisontine n° 145 - Juillet-août 2013

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RELIGION L’exorciste du diocèse Max de Wasseige a rendez-vous avec le “Diable” Des rites et une parole forte, sans oublier l’humour. C’est avec cela que le frère Max de Wasseige panse des blessures de l’âme des personnes qui le consultent. Exorciste du diocèse depuis 17 ans, il passe son temps à “désangoisser” les gens.

Max de Wasseige

est devenu franciscain après avoir entendu une

voix qui ne l’a jamais quitté. Sa grand-mère avait elle-même vu la Vierge.

À Besançon, dans le hall d’accueil du Centre Diocésain, une ins- cription sur une porte intrigue. Sur la plaque on lit : “Service de l’exorcisme”. Tiens, cette pratique religieuse qui consiste à libérer un individu entravé par des forces démo- niaques n’a donc pas disparu ? En tout cas, ceux qui pensent qu’elle est d’une autre époque seront surpris du contraire. Dans son petit cabinet, sobrement meublé de deux fauteuils et d’une table basse, le père francis- cain Max de Wasseige reçoit jusqu’à cinq personnes par après-midi, du mardi au samedi. Il est l’exorciste du diocèse de Besançon depuis 17 ans. “Dès que je dis que je suis exorciste, cela provoque chez mon interlocuteur une angoisse et plein de questions” observe-t-il. La fonction n’est pas banale et suscite une curiosité natu- relle immédiate. Elle renvoie à un sentiment confus de crainte et de fascination pour la chose diabolique qui traverse les siècles. Mais elle fait surtout écho à beaucoup de fantasmes dont s’est nourri le cinéma d’horreur. Dans le genre, le film “l’Exorciste” (1973) de William Friedkin est un des plus célèbres. “Je l’ai vu. C’est mauvais comme tout. Il y a plus de violence

que de vérité. Je ne crois évidemment pas à cela” commente le frère fran- ciscain dans un accent belge à pei- ne dissimulé qui le trahit sur sa natio- nalité. Ce sensationnalisme effrayant est bon pour le 7 ème art. Car sa vie n’est pas celle d’un prêtre en lutte quoti- dienne avec le diable personnifié. “L’exorciste est un homme saisi par Dieu qui sent le besoin d’aider les gens à se désangoisser de ce qui est néga- tif, de tout ce qui est mal.” Le plus souvent, ceux qui poussent la porte de Max de Wasseige le font pour exprimer unmal-être, une détres- se profonde, plus que pour se débar- rasser du diable. Des souffrances qu’ils ont enfouies en eux, et dont beaucoup n’ont jamais parlé. Ils se présentent rue Mégevand dans l’espoir de ren- contrer enfin quelqu’un capable de les libérer de leur fardeau. Ils arri- vent là sur les conseils d’un ami, d’un prêtre, d’un voyant et parfois même de leur psy. “Certaines personnes me disent “j’ai tout raté, et vous êtes la dernière porte à laquelle je frappe.” Les “patients” qui l’appellent parfois “docteur” viennent avec cette idée que l’exorciste a un pouvoir libérateur. Le franciscain ne juge jamais, il ne mora- lise pas. Là où la société condamne,

lui écoute. Son statut même d’homme d’Église crée un contexte propre à la confidence. “Des gens que je n’ai jamais rencontrés auparavant me racontent leur vie. J’entends beaucoup de choses par rapport à des enfances difficiles, à la sexualité, à l’argent. C’est assez incroyable.” Le dialogue s’établit, et la parole du prêtre soulage au moins. “Par expérience, lorsqu’on parvient à

passe aussi par quelques rites néces- saires et attendus qu’il a “bricolés” à partir de prières et de bougies et qu’il adapte à chaque interlocuteur. 80% des gens qui prennent rendez- vous ne sont pas des chrétiens. Ce sont des hommes et des femmes de tous les âges (y compris des enfants) et de toutes les classes sociales. “J’ai de tout : salarié de sex-shop , gendar- me, médecin, pilote de ligne, des musul- mans, des patrons d’entreprise. Je pas- se mon temps à désangoisser les gens. C’est tout le contraire de certains char- latans qui exploitent cette misère humaine.” L’activité de son cabinet est finalement le reflet des turpitudes de la société dans laquelle il est “plus commode de se dire possédé que de reconnaître qu’on va mal et qu’on est plus capable de gérer sa vie.” Dans son carnet de rendez-vous bien rempli, ceux qui se disent habités par le malin ou sont convaincus d’être frappés de malédiction sont rares. Mais le fransciscain qui avait mis Lucifer au placard quand l’évêque lui a demandé de devenir exorciste, est préparé à les accueillir. Il a longtemps étudié le diable dans la spiritualité.

“J’ai entendu des personnes me dire : “le diable m’a griffé” ou “quand je me regarde dans la glace, je me vois avec des yeux diaboliques.” D’autres enco- re m’expliquent qu’il les a violés, qu’il est assis à côté de leur lit la nuit. Ils prétendent sentir son parfum, et me le décrivent : “il a la forme d’un chien.” Une personne m’a dit un jour : “je lui ai coupé une patte. Il a des pieds de biche et de longs ongles noirs.” Une autre encore m’a rapporté que le diable lui a demandé de se donner trois coups de couteau.” Pour Max de Wasseige, ces manifes- tations démoniaques sont là encore l’expression d’une grande souffrance à la frontière avec la maladie men- tale. Il n’est pas impressionné par ces propos qui en dérouteraient plus d’un. En revanche, il fait preuve d’une gran- de compassion à l’égard de ces per- sonnes. “Chacun a son diable imagi- naire. Pour ma part, je ne personnalise pas le diable, mais je crois aux puis- sances du mal qui s’expriment à tra- vers le monde. Par exemple, le géno- cide duRwanda en est une illustration” analyse le prêtre qui collabore étroi- tement avec les psychiatres. D’ailleurs des médecins de la place lui ont déjà adressé des personnes qui prétendent être habitées et qui demandent à être exorcisées. L’eau bénite plus forte que les neuroleptiques ? Nous dirons que ces deux accompagnements se com- plètent. “En 17 ans, je n’ai fait que trois exorcismes avec tous les rituels qui vont autour. La plupart m’avaient été demandés par des psychiatres. Une fois, j’ai fait venir le S.A.M.U. pour une personne qui délirait. Je n’ai pas le pouvoir de régler quarante ans de souffrance d’un coup de baguette magique” avoue-t-il. Max deWasseige se déplace rarement dans le diocèse. Mais il lui arrive de se rendre chez des particuliers, à leur demande, car ils sont effrayés par les bruits étranges qu’ils entendent dans leur maison. Le franciscain connaît bien ce phénomène de “l’esprit frap- peur”. Méthodiquement, il bénit chaque pièce et clôt la séance par cet- te parole forte et immédiatement effi- cace : “C’est terminé.” Très souvent, il a recours à l’humour pour apprendre aux gens à tourner en dérision ce qui génère l’angoisse, comme si le rire était le meilleur pied-de-nez qui puis- se être fait au diable. S’il devait faire payer ses consulta- tions, le frère Max serait assis sur une mine d’or. En 17 ans, l’homme avoue s’être enrichi, mais seulement de ces rencontres diverses, qui lui ont donné une profondeur de vie et qui le grandissent humainement. Il remer- cierait presque Dieu, d’avoir mis le “Diable” sur son chemin. T.C.

verbaliser une souf- france, on met de l’ordre dans le désordre.Avec desmots choisis, j’essaie de sus- citer en la personne le désir de vivre. Je ne suis pas un gourou, mais un passeur de vie. Je suis très humble par rapport à mon travail. J’ai souvent le senti- ment que mes paroles passent par moi, mais ne sont pas de moi” explique Max deWas- seige qui a collaboré pendant dix ans avec un psychiatre. La cré- dibilité de l’exorciste

“Je ne suis pas un gourou, mais un passeur de vie.”

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