La Presse Bisontine 145 - Juillet-Août 2013

A g e n d a

La Presse Bisontine n° 145 - Juillet-août 2013

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“Besançon est une ville qui compte vraiment pour moi” Le sculpteur expose à Besançon avant le retour définitif de ses œuvres dans son pays natal, le Sénégal. L’occasion unique de converser avec cet immense artiste, aussi talentueux que réservé. Il parle de son art, mais plus largement de l’Afrique, sa terre. EXPOSITION - EXPOSITION OUSMANE SOW JUSQU’AU 15 SEPTEMBRE

L a Presse Bisontine : Vous avez été accueilli à Besançon pour une de vos premières exposi- tions en France. C’était en 1994. Depuis,vous avez toujours gardé un lien étroit avec cette ville. Pour quelles rai- sons ? Ousmane Sow : Besançon est une ville qui compte vraiment pour moi. Ma liaison à Besançon est ancienne en effet. C’est un peu comme l’amour, ça ne s’explique pas. Les choses demeurent, ou pas. Avec Besançon, l’histoire continue. J’ai reçu dès le départ un accueil très chaleureux. Avec le maire Jean-Louis Fousseret, les liens sont très forts, il est deve- nu un de mes amis. La statue de Victor Hugo en 2002 est venue encore renforcer ces liens et depuis, ils ne se sont jamais défaits. À chaque fois que je fais quelque chose à Besançon, il y a toujours de belles surprises pour moi. Je ne suis pas quelqu’un de blasé, c’est ce qui me pousse certaine-

ment à continuer.

me suis permis de le faire car à mes yeux, c’était un grand hom- me. Il sera exposé dans mon futur musée de Dakar et il y restera. L.P.B. : À l’occasion de l’installation de votre sculpture “L’homme et l’enfant” au nouveau monument aux morts de Besançon, c’était la première fois que vous acceptiez de participer à un concours dans le cadre d’une commande publique. Pourquoi l’avez-vous fait ? O.S. : En effet je n’accepte jamais les commandes publiques d’habitude. Là, je l’ai fait un peu comme un jeu. Même le maire n’était pas au courant et il a décou- vert que j’avais été retenu. C’est un peu un clin d’œil pour Besan- çon d’avoir participé à ce concours et avoir été retenu. L.P.B. : Vous avez soigné vos contem- porains dans le passé avec votre ancien métier de kinésithérapeute. Vos œuvres peuvent-elles aussi avoir une vertu cura- tive ?

O.S. : Une dame un jour m’envoie une lettre à Dakar. Elle me dit : “Avant mon opération, j’avais tel- le photo d’une de vos œuvres devant moi. Maintenant que je suis gué- rie, je souhaite avoir une photo d’une autre de vos œuvres.” Alors si mon travail peut servir aussi pour ça, j’ai réussi ma mission. L.P.B. : Il ressort pourtant souvent du regard de vos personnages une certai- ne crainte, voire une angoisse… Pour- quoi ? O.S. : C’est tout à fait étonnant la manière dont les gens peuvent interpréter mes œuvres. On m’a déjà dit tout le contraire, que mes personnages dégageaient de la sérénité, de la paix, de la douceur voire de la joie. Tant mieux, cha- cun voit donc des choses diffé- rentes, c’est que j’ai réussi mon coup… L.P.B. : Un certain président de la Répu- blique française a déclaré récemment que “l’homme africain n’était pas suffi- samment entré dans l’histoire.” Com- ment aviez-vous perçu ce fameux dis- cours de Dakar ? O.S. : C’est la plus grosse bêtise qui ait jamais été prononcée sur l’Afrique. C’est un profondmépris de l’Afrique, Nicolas Sarkozy n’a jamais cherché à approfondir ce sujet. On parle de la naissance de l’humanité justement sur le sol africain. Si on a tenu jusque-là, c’est qu’on a un minimum parti- cipé à l’histoire de l’Afrique et du monde. L.P.B. :À la fin de l’année,vous allez être reçu à l’académie française des beaux- arts. Un honneur ? O.S. : À travers cette réception à l’académie, c’est aussi toute l’Afrique qui est reconnue. Cer- taines de mes œuvres qui ont sillonné le monde ont peut-être

L.P.B. : Vos personnages qui dégagent tous une forte émotion sont presque toujours plus grands que nature. Y a-t- il une raison à cela ? O.S. : C’est ma manière à moi de m’exprimer. Comme je ne parle pas beaucoup et jamais à haute voix, jem’exprime sans doute com- me cela. L.P.B. : Parmi les grands hommes à qui vous avez consacré une sculpture, on trouve Nelson Mandela, De Gaulle, bien- tôt Mohamed Ali, Martin Luther-King et Gandhi. Et il y a votre père. Pourquoi ? O.S. : Cette sculpture n’aura peut- être d’intérêt pour personne, à part pour moi, mais je considère qu’il fait aussi partie de ces grands hommes. Il était quelqu’un de très discret, il n’y a aucune photo de lui car il refusait d’être photo- graphié. Quand on se rencontre- ra à nouveau, il va certainement me tirer les oreilles (rires)… Je

Ousmane Sow à Besançon : un événement pour la capitale comtoise.

complexe de néo-colonialisme qu’auraient certains. L.P.B. : Le néo-colonialisme en Afrique ne viendrait-il pas plutôt sur le plan éco- nomique, de la part des Chinois ou des Américains ? O.S. : Avec l’arrivée des Chinois, on s’était dit qu’ils avaient les mêmes mœurs que nous. En réa- lité, les Africains s’aperçoivent que les Chinois commencent un peu à gêner… Nos attaches sont indéniablement plus solides et profondes avec les Européens,c’est le poids de l’histoire qui veut cela. L.P.B. : L’Afrique est-il le continent du XXI ème siècle ? O.S. : J’ai toujours eu confiance en l’Afrique. Je suis persuadé, avec toute la jeunesse qui y vit, que l’Afrique est le continent de l’avenir. Certains pensent que je suis uto- pique en affirmant cela, je ne le crois pas. En plus, le développe- ment de l’Afrique sera quelque chose de modéré et de réfléchi. L.P.B. : Il va falloir d’abord éradiquer toutes les questions de corruption… O.S. : Il y en a toujours, mais je pense demoins enmoins.AuSéné- gal, le nouveau président Macky Sall est en train de faire le ména- ge par exemple. Quand il est arri- vé, je me disais, il va échouer. Je fais un peu le parallèle avec le

acquis une sorte de valeur uni- verselle. C’est sans doute aussi cela que reconnaît l’académie. Un jour, aux Antilles, quelqu’un m’a dit en voyant ma sculpture du général De Gaulle, “tu as fait un De Gaulle martiniquais.” Tous mes personnages sont universels. En tout cas, ce n’est pas De Gaul- le qui aurait prononcé des imbé- cillités pareilles sur lesAfricains. L.P.B. : Pour parler d’un autre président, en tant qu’Africain,comment avez-vous vécu l’intervention française au Mali ? O.S. : Cette intervention est aussi une manière de contribuer à ce que lesAfricains se réapproprient leur destin. Le président Hollan- de a fait quelque chose de vrai- ment très bien, il faut le remer- cier. S’il n’était pas intervenu, les extrémistes seraient peut-être au Sénégal. Je ne sais pas comment sera jugé le mandat de François

Hollande,mais en Afrique il a vrai- mentmontré l’âme d’un chef. Et au- delà, dans toute l’Afrique. Je ne pensais pas qu’il pouvait être aussi rapide dans ses décisions, comme quoi, l’image qu’on a des gens… En plus, il n’a pas ce

“François Hollande a vraiment montré l’âme d’un chef.”

Une scène familiale peulh.

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