La Presse Bisontine 145 - Juillet-Août 2013

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 145 - Juillet-août 2013

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Qui sont les déserteurs de l’armée ? Pour la première fois, La Presse Bisontine recueille le témoignage de déserteurs comme Kévin, lassé de passer le balai au régiment, Naïm qui a perdu son compagnon mort en Afghanistan ou Guillaume, devenu frontalier. Ce phénomène gangrène les rangs. ENQUÊTE En 2013, la désertion existe toujours

D e son passage dans les rangs de l’armée à Besan- çon, Maxime en a gardé des traces, à l’image de ses cheveux rasés et son sac à dos couleur militaire qu’il ne quitte pas. Pour le reste, il veut oublier. Comme d’autres militaires de son âge, souvent des jeunes de moins de 25 ans, il se retrouve der- rière la barre du tribunal de Besan- çon, poursuivi pour “désertion en temps de paix.” En ce mercredi 29 mai, le tribunal correctionnel de Besançon juge 25 affaires militaires dans la salle B. Oui, en 2013, la désertion est tou- jours d’actualité même si l’armée est devenue professionnelle. Ce sujet est même éludé par l’armée qui n’a pas souhaité répondre à nos solli- citations. Et pourtant, le sujet lui coûte de l’argent et du temps. C’est même elle, via les chefs de corps, qui demande au procureur de la République de poursuivre les mili- taires défaillants. Ce jour-là, 15 d’entre eux sont derrière la barre du tribunal, tous poursuivis pour le même chef d’accusation. Mais à chaque fois, les motifs de désertion sont différents. Pour Kévin, 22 ans, natif d’Épinay- sur-Seine et attaché au 19ème régi- ment du génie de Besançon, la rai- son de son départ est simple : “J’en avais marre de balayer, dit l’ancien première classe. Je veux bien balayer, ce n’est pas le souci, mais balayer pour le plaisir de balayer, je ne vois pas l’intérêt” avoue-t-il. Ce dernier aurait demandé une mutation, non acceptée. Las, il a déserté durant un mois en juillet 2012, “fait que

vous reconnaissez ?” lui demande le vice-procureur de la République Margaret Parietti. “Oui” répond-il. Il écopera d’un mois de prison avec sursis. Même si l’armée est devenue pro- fessionnelle, les déserteurs sont bien présents : accidents de parcours, manque de motivation, hiérarchie zélée ou idées préconçues sont quelques-unes des explications qui les ont fait basculer dans “l’illégalité”. Si Kévin possède un argument caduc, celui de Guillaume est recevable. Âgé de 21 ans, il ne s’est pas pré- senté dans son régiment de Besan- çon du 8 mars à mai 2012 après 15 jours de permission. “Je suis rentré d’une opération en Guyane où j’ai contracté une maladie, raconte-t-il. J’ai eu un an d’arrêt de travail. Je suis retourné au régiment du génie et je voulais rompre mon contrat.

choix que son camarade : après avoir trouvé un “travail dans le bâtiment en Suisse payé 3 500 euros par mois” dit-il, il ne s’est pas présenté à son chef de corps, entre le 9 mai et 3 juillet 2012. Conséquence immé- diate : une convocation au tribunal. Si la plupart des convoqués ne sont pas accompagnés d’avocat, ils ris- quent à vrai dire peu de poursuites (lire par ailleurs). Du sursis (entre un et deux mois) est le plus souvent prononcé. “Engagez-vous qu’ils disaient ! Vous verrez du pays.” Ou pas. Parce que l’armée ne correspond pas aux images que se sont projetées des jeunes souvent sans repères, elle déçoit. En 1917, aux Chemins des Dames, les Poilus qui fuyaient étaient fusillés pour désertion. La comparaison s’arrête là. E.Ch. Ce militaire bisontin a déserté car il trouvé un job en Suisse, mieux payé. Le tribunal de Besançon prononcera un mois avec sursis.

SANCTIONS Quand et comment devient-on déserteur ? L’armée la joue muette Un militaire est déclaré déserteur après 15 jours d’absence. Le phénomène touche surtout les premières classes. La vice- procureur de la République de Besançon, en charge des affaires militaires, explique les sanctions encourues.

L e 19 ème régiment du génie de Besançon et celui de Valdahon nʼont pas souhai- té répondre à nos questions concernant les conséquences de la désertion. Domma- ge, car il met, comme dʼautres en France, des systèmes pour lʼéviter dans ses rangs. Sur les 1 200 militaires, une infime partie “sʼévade de la caserne.” Le rapprochement familial ou le changement dʼaffectation sont des exemples de solutions pour permettre au militaire de mieux se sentir. La désertion touche surtout les premières classes et qua- siment jamais les officiers. Les sanctions encourues par les militaires sont à la fois pénales, disciplinaires et finan-

cières. Elles sont systématiquement dénon- cées au procureur de la République, indé- pendamment de la situation individuelle du déserteur, en lʼoccurrence Margaret Pariet- ti, au tribunal de Besançon. Cʼest elle qui depuis le 1 er janvier 2012 a redynamisé les audiences militaires en orga- nisant une séance par trimestre à Besan- çon. Auparavant, les militaires étaient cités par voie dʼhuissier, un principe assez coû- teux. “Quand lʼautorité militaire mʼenvoie un dossier, je poursuis. La désertion est punie de trois ans dʼemprisonnement par le code de la justice militaire (article L 321-3). Si une désertion est commise par un officier, cʼest la destitution” explique le magistrat. Lors- quʼun militaire a plus de trois mois dʼancienneté, il faut quʼil ait regagné dans les 15 jours son affectation (après une absen- ce autorisée) et dans les 6 jours en cas dʼabsence non autorisée. Pour un militaire de moins de trois ans dʼancienneté, il a le droit à un mois. “En général, je préconise des jours amendes” , confie Margaret Pariet- ti qui connaît bien la vie militaire pour avoir passé trois jours en immersion au camp du Valdahon. Plus généralement, les militaires sont condam- nés à du sursis avec une inscription sur le casier judiciaire. “Donner des jours amendes, cela donne lʼexemple, car cela est porté à connaissance des futurs engagés” dit Mar- garet Parietti. Les absences irrégulières représentaient à peine 0,3 % des effectifs de lʼarmée de terre en 2009. Les circons- tances peuvent être aggravantes, notam- ment en temps de guerre. À Besançon, le tribunal militaire a déjà jugé des affaires de détournement ou de dissi- pation dʼobjets ou des violations de consignes comme lʼintroduction de stupéfiants en caser- ne. En revanche, selon le vice-procureur, il nʼa jamais jugé une automutilation pour se rendre impropre au service, coupable de 5 ans dʼemprisonnement.

J’ai fait 4 demandes et contacté un avocat spécialisé pour connaître la procé- dure car j’avais trou- vé un emploi en Suis- se.” L’armée ne lui aurait jamais répon- du. Il a donc déserté et a trouvé un job en Suisse faute de n’avoir pu casser son engagement. Le pro- cureur réclame 60 jours d’amende à 3 euros. Alexis, 25 ans, origi- naire de Vitry-le- François incorporé au régiment de Val- dahon a fait le même

60 jours d’amende à 3 euros.

“Mon client n’a pas peur” Cʼ est en partie parce que son frère dʼarme est tombé en Afgha- nistan que Naïm, militaire au 35 ème régiment dʼinfanterie de Belfort, nʼa plus souhaité rentrer dans le rang alors que son contrat de 5 ans était quasiment honoré. Lʼhistoire est peu banale. Envoyé en opération extérieure, le jeune militaire rentre en urgence après que sa petite amie ait perdu son enfant en 2009 suite à une fausse couche. Rentré en France aux côtés de sa compagne, il va ensuite sʼentraîner spécifiquement pour partir en Afghanistan. Au cours de ces six mois en stage spécifique, il fait la connaissance dʼun autre militaire qui devien- dra son ami. À quelques jours de son départ en juin 2012, Naïm apprend quʼil nʼest pas retenu pour la mission. Son camarade lʼest. Direction lʼAfghanistan. Le caporal Lionel Chevalier ne reviendra jamais après sʼêtre blessé avec sa propre arme. “À partir de là, mon client ne voyait plus sa raison dʼêtre dans lʼarmée” témoigne Maître Carpi, avocate au barreau de Besançon qui lʼa défendu à la barre du tribunal. Malgré les appels de son chef de section, Naïm fait la sourde oreille et ne revient pas. “Il nʼavait pas peur dʼaller au front mais se questionne sur son avenir” témoigne lʼavocate. Au final, il écope dʼun mois de pri- son avec sursis. Drôle de destin.

Margaret Parietti est vice- procureur au tribunal de Besançon, en charge des affaires militaires.

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