La Presse Bisontine 144 - Juin 2013

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 144 - Juin 2013

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POLITIQUE Barbara Romagnan “Je suis rétive à la discipline”

On ne bâillonne pas Barbara Romagnan. La députée socialiste du Doubs use de sa liberté de parole pour faire avancer des débats sur le non-cumul des mandats ou la transparence dans l’utilisation de l’argent public par les parlementaires. Selon elle, la reconquête de la confiance des Français passe aussi par là.

L a Presse Bisontine :Vous avez récem- ment déclaré à Médiapart vous sentir mal à l’aise au Parti Socialiste. D’où vient ce mal-être ? Barbara Romagnan : Lorsqu’on est nom- breux, la diversité des positions est plus probable. Il y a des moments de grande satisfaction sur la politique nationale comme la couverture mala- die universelle (C.M.U.) ou la parité. Il y en a d’autres, plus difficiles, quand on se dit qu’on appartient aussi au par- ti de Jean-Noël Guérini qui n’en n’a toujours pas été exclu. Le fait de pouvoir exprimer un malai- se ne dit rien de la loyauté que l’on peut exprimer vis-à-vis de membres du P.S. Le doute est à mon sens utile et nécessaire à une organisation poli- tique. Je me sens d’abord de gauche avant d’être socialiste. Ce qui m’intéresse, c’est l’union de la gauche. L.P.B. : Vous vous êtes abstenue sur le vote concernant le projet de loi relatif à la sécuri- sation de l’emploi. Vous avez voté contre le traité européen sur la stabilité, la coordina- tion et la gouvernance. Pourquoi ? B.R. : Concernant le texte sur la sécu- risation de l’emploi, j’ai rencontré les syndicats, j’ai fait mon travail de par- lementaire, j’ai participé aux débats avec sérieux. Si je me suis abstenue, c’est parce que je ne suis pas satisfai- te du résultat. La philosophie du tex- te est de dire qu’il faut plus de flexi- bilité sur le marché de l’emploi. Je n’y crois pas. Ceci étant, je ne retire pas de fierté particulière de m’être abste- nue. Pour ce qui est du débat sur le traité européen, il a eu lieu. Mais ce n’est pas parce qu’il a eu lieu que j’avais obligation de voter comme le groupe. L.P.B. : Comprenez-vous que le fait que vous ne respectiez pas toujours la discipline du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale dérange vos collègues et des militants ? B.R. : Ce n’est pas parce que la majori- té du groupe socialiste a une position que cela suffit à faire la mienne. Je suis rétive à la discipline, mais sou- cieuse en revanche de la solidarité du groupe. Nous sommes toujours tiraillés entre le parti auquel on appartient, les orientations du gouvernement, les engagements du président de la Répu- blique et ses convictions personnelles. Je comprends que ma façon d’agir dérange parfois des camarades, je ne suis moi-même pas certaine d’avoir raison dans cette façon de faire. Mais à l’inverse, il y a aussi nombre de mili- tants au P.S. qui se sentent blessés par l’attitude de leurs responsables et qui se reconnaissent dans ma démarche. L.P.B. : Que répondez-vous à ceux qui pré- tendent que votre seul objectif est de vous faire remarquer, de faire parler de vous ? B.R. : Je n’oublie pas ce qui fait que je suis élue ! Je ne suis pas ingrate, je ne crache pas dans la soupe. Je ne prends pas une position dissonante dans le but de me faire remarquer. Je cherche à faire admettre qu’on puisse avoir une part de doute et que les choses ne

sont pas blanches ou noires sur cer- tains sujets. Ce n’est parce qu’on vote différemment qu’on est en rupture avec son groupe. L.P.B. : Vous militez pour plus de transparen- ce dans l’utilisation des réserves parlemen- taires par les députés. Vous en agacez beau- coup à gauche avec ce sujet. Pourtant, la transparence ne devrait-elle pas relever du bon sens surtout dans le contexte actuel ? B.R. : Dans le groupe socialiste, 90 % des députés reçoivent 130 000 euros par an au titre de la réserve parle- mentaire. Cette égalité de traitement est nouvelle. C’est un premier point. En revanche, la transparence reste au bon vouloir de chaque député. C’est ce que je conteste, car il s’agit d’argent public. Quand j’ai été élue, j’ai dit que je réservais cette enveloppe aux pro- jets qui concernent l’enfance, la santé et le développement durable. J’ai publié cela. C’est le minimum que l’on puis- se faire sachant que dans la plus peti- te des mairies, chaque euro utilisé doit être justifié. Or, quelle légitimité a un député pour attribuer cet argent, seul, à des asso- ciations par exemple ou pour soutenir tel ou tel projet ? Cet argent public pourrait être mal utilisé. Selon moi, ces enveloppes devraient revenir aux collectivités. La logique serait plutôt celle-là. L.P.B. : Rien n’oblige non plus les parlemen- taires à rendre compte de l’utilisation de l’I.R.F.M. qu’ils perçoivent en plus de la réser- ve parlementaire. De votre côté, comment uti- lisez-vous votre indemnité de représentation de frais de mandat qui avoisine les 6 000 euros nets par mois ? B.R. : Je l’utilise pour couvrir les frais liés à ma permanence comme le loyer, le fonctionnement. Une partie sert éga- lement à des travaux d’impression comme un quatre pages que je prépa- re pour évoquer le bilan d’une pre- mière année d’exercice. J’ai acheté éga- lement 400 exemplaires du magazine Alternative Économique sur l’économie sociale et solidaire en Franche-Com- té. L’I.R.F.M. me sert aussi à organi- ser des conférences, et à compléter la rémunération de mes col- laborateurs.

La députée Barbara

Romagnan est parfois critiquée pour

ses prises de position au P.S.

à faire la preuve de leur honnêteté. L.P.B. : Le fait d’exiger des ministres qu’ils publient leur patrimoine était-elle une réponse adaptée selon vous à l’affaire Cahuzac ? B.R. : Le sujet n’est pas le patrimoine des élus, mais l’utilisation qui est faite de l’argent public ! Àmon sens,nous devons mettre en place une commission capable de contrôler qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts.Plu- tôt que de connaître le patrimoine de chacun, je préférerais savoir qu’on renforce l’inspection des impôts pour lutter contre la fraude fiscale.

L.P.B. : Avez-vous l’intention de jouer un rôle dans la campagne des municipales ? B.R. : Je prendrai une part active dans les prochainesmunicipales à Besançon. Je participerai au débat. Je tiens à ce que la gauche l’emporte. Je serais par- tie prenante. C’est ma responsabilité. L.P.B. : Vous soutiendrez Jean-Louis Fousse- ret ? B.R. : Je soutiendrai la liste choisie par les socialistes comme je le fais depuis vingt ans. L.P.B. : Que pensez-vous du traitement dont fait l’objet le conseiller municipal socialiste Jean-Sébastien Leuba qui a utilisé sa liberté de parole pour souligner des ambiguïtés dans les rapports entre la ville et l’association le “Pavé dans la mare”, ce qui lui a valu de se voir retirer sa délégation ? B.R. : Il était pleinement dans son rôle en posant des questions légitimes concernant l’utilisation de l’argent public. Les Bisontins avaient le droit d’obtenir des réponses à ce sujet et beaucoup lui sont reconnaissants de l’avoir fait. Je crois qu’il devrait au contraire en être remercié. Mais c’est le maire qui en est juge. L.P.B. : Comment vous sentez-vous dans cet- te fonction de parlementaire ? B.R. : C’est un mandat passionnant car on est libre de son organisation. C’est une situation qui est enviable finale- ment. Je mesure cela, j’essaie donc d’en être digne. Nous sommes dans des conditions de travail et de liberté inté- ressantes. Cette liberté a un prix : 5 000 euros par mois d’indemnités. Cela justifie que l’on explique à nos concitoyens ce que l’on fait. L.P.B. : Vous avez enseigné la philosophie. Le monde politique ne manque-t-il pas de sages- se selon vous ? B.R. : Je m’abstiendrai sur la question de la sagesse. Mais ce serait sans dou- te opportun d’enseigner plus tôt la phi- losophie. Propos recueillis par T.C.

L.P.B. : En revanche, est-ce la crédibilité des élus qui est en jeu dans le débat sur le non- cumul des mandats ? B.R. : Une majorité de députés socia- listes ont signé une lettre avant les élections législatives stipulant qu’ils démissionneraient de l’exécutif dans lequel ils siègent s’ils devaient être élus. Pas la moitié d’entre eux l’a fait ! Quand j’ai été élue, j’ai démissionné du Conseil général comme je l’avais dit. Comment voulez-vous que l’on soit crédible pour régler des problèmes aus- si importants que le chômage, lorsqu’on n’est pas capable de respecter un enga- gement comme celui du non-cumul ? De mon point de vue, ces différentes mesures sur le non-cumul, la trans- parence autour de l’argent des parle- mentaires, seraient sans doute insuf- fisantes, mais elles me paraissent nécessaires pour reconquérir la confian- ce des Français. Beaucoup d’élus pren- nent mes prises de position sur ce sujet comme une leçon. Je le regrette. L.P.B. : Vous dites que François Hollande a cédé aux lobbies sur la question du non-cumul. Qui sont ces lobbies ? B.R. : Il y a sans doute des élus locaux qui cumulent et qui n’ont pas l’intention d’arrêter.Ces gens-là sont aussi des sou- tiens de François Hollande, ils l’ont été durant la campagne présidentielle. L.P.B. : Vous associez le non-cumul des man- dats à la notion de partage du pouvoir. Faut- il comprendre que le non-cumul favoriserait la diversité en politique et le renouvellement de la classe politique ? B.R. : C’est important que le pouvoir puisse être partagé. Beaucoup de gens n’ont pas de mandat du fait aussi de la situation de cumul de certaines per- sonnes, alors qu’ils feraient probable- ment d’excellents élus. L.P.B. : Pourquoi, selon vous, une majorité d’élus traîne les pieds sur ces questions de transparence et de non-cumul ? B.R. : Je n’ai pas la réponse. C’est peut- être un problème de culture. Les élus considèrent peut-être qu’ils n’ont pas

“Je soutiendrai la liste choisie par les socialistes.”

L.P.B. : François Hollande continue à dévisser dans les sondages. Quelle importance accor- dez-vous aux enquêtes d’opinion ? B.R. : L’action publique a besoin de temps au regard des problèmes aux- quels nous sommes confrontés. Cela ne sert à rien de publier toutes les semaines des enquêtes d’opinion. Créer 60 000 postes dans l’Éducation natio- nale, tout en prenant en compte la for- mation des maîtres, ne se fait pas en un jour. Cela prend du temps. Il faut donc attendre pour que l’action porte ses fruits. L.P.B. : On entend dire au P.S. que vous pour- riez être secrétaire d’État d’ici la fin de ce mandat. Info ou intox ? B.R. : C’est peu vraisemblable. L.P.B. : Pourriez-vous être candidate aux élec- tions municipales de 2014 à Besançon ? B.R. : Ce mandat de parlementaire me tient suffisamment à cœur pour que je ne sois pas candidates aux prochaines élections municipales. Par ailleurs, je dois être cohérente avec ma position sur le non-cumul des mandats.

“L’action publique a besoin de temps.”

L.P.B. : Pourquoi plaidez-vous tant pour plus de transparen- ce sur l’argent des parle- mentaires ? B.R. : Le problème est qu’il puisse y avoir des dérives. Ce doute jette le discré- dit sur la classe politique. Or, les citoyens devraient pouvoir juger de l’utilisation de l’argent public. Tant qu’il n’y a pas de règles, on nourrit le fait que tout le monde puisse dire n’importe quoi sur le sujet. Ce n’est pas la crédibilité de tel ou tel élu qui est mise en cau- se dans cette histoire.

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