La Presse Bisontine 140 - Février 2013

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 140 - Février 2013

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DÉBAT La position de la députée du Haut-Doubs “L’adoption est là pour donner une famille à un enfant, pas l’inverse”

La députée du Haut-Doubs Annie Gene- vard a une autre lecture du projet de loi. Elle a souhaité lancer le débat avec une réunion organisée à Pontarlier avant Noël. L’élue U.M.P. donne ses arguments contre le projet. Elle ne sait pas encore si elle mariera les couples homosexuels.

Annie Genevard, opposée au projet de loi, ira mani- fester à Paris le 13 janvier.

L aPresseBisontine:Êtes-vouspourou contreceprojetdeloi? Annie Genevard : Je respecte pro- fondément les homosexuelsmais je suis clairement opposée à ce projet de loi. D’ailleurs, le gou- vernement n’emploie plus le ter- me de “mariage pour tous” car il s’est aperçu que c’était une aberration sémantique. Ce qui est en cause dans ce projet de loi n’est pas la question de l’homosexualité qui est une réa- lité humaine que je n’ai pas à juger. Ce projet de loi est une vraie réforme de société et de civilisation. C’est de ce change- ment en profondeur de la socié- té et de la civilisation que je ne veux pas. L.P.B. : Pour quelle raison ? A.G. : Parce que déjà ce projet est bâti sur une dissimulation de la vérité.On parle dumariagemais ce projet comporte deux volets, l’autre étant l’adoption. L’un ne va pas sans l’autre.Car lemaria- ge ouvre, de fait, le droit à

l’adoption. C’est pourquoi il est infondé de dire qu’on est pour le mariage gay et contre l’adoption. Les deux sont indissociables.Ma position résulte des longues semaines de réflexion et d’auditions qui ont eu lieu à l’Assemblée Nationale où on a entendu des pédopsychiatres,des philosophes,des juristes,des reli- gieux… Ce qui a fini de me convaincre, c’est la position de l’enfant. Quand un enfant est adopté, quelle que soit la situa- tion, ce n’est pas toujours vécu dans la facilité. À cette difficul- té-là s’ajoute une autre : l’enfant est forcément le fruit d’un hom- me et d’une femme et avec l’adoption on substitue à une famille génétique une autre famil- le de nature à troubler la repré- sentation psychique que l’enfant peut se faire de la famille. Bien sûr que deux homosexuels peu- vent aimer un enfant autant voi- re plus que deux parents de sexe différent, mais du point de vue de l’enfant, les choses sont loin d’être aussi simples. La repré-

mer en profondeur le code civil enmodifiant 176 occurrences de ce code,pour un tout petit nombre de personnes. Et derrière l’adoption, il y a la procréation médicalement assistée, puis la gestation pour autrui que les hommes pourront ensuite légi- timement revendiquer.Un couple d’homosexuels français a désiré avoir un enfant. Ils se sont tour- nés vers un pays qui leur offrait la gestationpour autrui.Les deux hommes ont choisi une porteu- se d’ovule sur catalogue et une mère porteuse différente. Cha- cun d’eux a ainsi pu avoir un enfant. Ces deux enfants auront un père biologique,un père social et deux mères biologiques, soit quatre personnes qui sont inter- venues dans leur filiation. On aboutira à des scénarios tout sim- plement effrayants, c’est pour- quoi il faut vraiment mesurer les conséquences d’une telle loi pour l’enfant. Comment va-t-on expli- quer cela à un enfant qui cher- chera sa filiation ? On n’a pas encore mesuré toutes les consé-

la vie sociale.Une loi qui va bou- leverser en profondeur la socié- té. Ce n’est pas du même ordre. L.P.B. : Si la loi passe, marierez-vous les couples homosexuels en tant que maire de Morteau ? A.G. : Je ne sais pas encore. Je prends les questions les unes après les autres. En tant qu’élu local, on n’est pas là pour être des hors-la-loi,mais j’ai toujours l’espoir de faire échec à cette loi. Jem’aperçois à l’AssembléeNatio- nale du grand pouvoir du légis- lateur. Mais ce n’est pas parce qu’on peut légiférer sur tout que l’on doit légiférer sur tout.Le pro- blème est aussi politique. Dans sa campagne, François Hollande a cherché à rallier tous les com- munautarismes : pour les étran- gers, il a promis le droit de vote, pour les homosexuels le maria- ge et aujourd’hui il se doit d’appliquer un programme élec- toral dont les gens n’ont pas enco- re mesuré toute la portée.

sentation psy- chique de la famille sera très compli- quée. Le droit à l’enfant n’est pas le droit de l’enfant, il ne faut pas confondre. L’adoption est là pour donner une famille à un enfant, pas l’inverse.Dans cette affaire,on fait de l’enfant un objet alors qu’il doit être un sujet.

quences juridiques du mariage homosexuel, notamment sur la présomption de paternité. Avec cette loi, la notion de père et de mère va disparaître du code civil. L.P.B. : Pourtant, aucun argument juri- dique n’existe pour refuser le mariage homosexuel ! A.G. : Le P.A.C.S. offre déjà un certain nombre de garanties et sur les 60 000 P.A.C.S. signés en France chaqueannée,ons’aperçoit qu’ils sont le fait de personnes de sexes différents. L.P.B.:Encontestantceprojet,n’engagez- vous pas un combat d’arrière-garde à l’image dumariage interracial qui était interdit aux États-Unis jusqu’en 1967 ? A.G. : Ce n’est pas lemême débat. Le présupposé de l’interdiction dumariage entre les races repo- sait sur le fait qu’une race était soi-disant supérieure à une autre. Là,on ne part pas du tout du pré- supposé qu’un homosexuel serait inférieur à un autre, on interro- ge juste sur les conséquences d’une loi qui rejoint l’essentiel de

“Je ne sais pas encore si je marierai les couples homosexuels.”

L.P.B. : C’est donc l’adoption qui vous gêne ? A.G. : Il est clair que la plupart des pays du monde vont se fer- mer à l’adoption française. Au- delà de cela, faut-il faire une loi pour légaliser une pratique réel- le qui ne concerne que quelques enfants ? On s’apprête à réfor-

Propos recueillis par J.-F.H.

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