La Presse Bisontine 140 - Février 2013

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 140 - Février 2013

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SOCIÉTÉ

La gestation pour autrui Les “pour” et les “contre” affûtent leurs arguments Le projet d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels sera discuté d’ici la fin du mois au Parlement. Dans le Grand Besan- çon, il y aussi les pour et les contre. Quels sont leurs arguments ?

La discussion autour du mariage gay doit avoir lieu à la fin du mois de

L a mobilisation contre le projet de loi autori- sant à deux personnes du même sexe de se marier ne faiblit pas. Du Grand Besançon, des bus

partiront en direction de Paris le 13 décembre pour gonfler les rangs de la manifestation des- tinée à marquer les esprits et pourquoi pas, faire plier le gou- vernement sur cette question. lusieurs élus locaux ont confir- mé leur intention de se joindre au défilé parisien. L’Église catho- lique, les diocèses et notamment celui de Besançon par la voix de son archevêque Monseigneur Lacrampe, ainsi que l’enseignement catholique, ont été les premiers à se prononcer contre le projet de loi, avant même que les citoyens com- mencent à prendre la mesure de ce texte qui changera en pro- fondeur le code civil. Pour l’Église et l’enseignement catholique, “toutes les options individuelles n’ont pas à être instituées, au risque d’ébranler des références sociales aussi fondamentales que le mariage, union d’un hom- me et d’une femme, et la famil- le, cellule de base où la respon- sabilité éducative est exercée par un père et une mère.” Une pre- mière manifestation, le 17 novembre dernier, avait atti- ré 100 000 personnes à Paris. ls devraient être trois fois plus nombreux le 13 janvier selon les prévisions des organisateurs. Les pro et les anti-mariage gay se renvoient dos à dos leurs arguments. es anti-réforme cher- chent déjà à “sortir de la cari- cature des opposants au maria- ge pour tous, catalogués comme intégristes, homophobes ou de droite” commente une des oppo- santes. Les premiers arguments de ceux qui critiquent ce projet de loi s’appuient sur le fait que le mariage homosexuel mène- ra forcément à l’adoption. Deuxième souci aux yeux des opposants, la présomption de paternité qui pourrait dispa- raître, ce qui obligerait les pères hétérosexuels mariés à faire une reconnaissance précoce de paternité. ls estiment aussi que le fait de normaliser l’homoparentalité pourrait per- turber les enfants psychologi- quement, quelle que soit d’ailleurs la sexualité de leur parent. “On diluerait les repères “pères” et “mères” au profit de “parent”. La loi viendrait dire aux enfants, deux parents, que ce soit du même sexe ou de sexes opposés, c’est pareil. La loi men- tirait aux enfants” note un pédo- psychiatre. Les craintes des opposants vont plus loin encore en estimant que la procréation médicale- ment assistée (P.M.A.) risque d’ouvrir la voie à la gestation pour autrui (G.P.A.), via les mères porteuses, pour les couples d’hommes. “Va-t-on laisser des filles de 18 ans fauchées porter un enfant pendant neuf mois pour un couple homosexuel ?” se demande une élue pourtant cataloguée à gauche. La plupart des opposants au mariage pour

tous prônent, pour trancher le débat, l’instauration d’une union civi- le qui prévoirait les mêmes droits patrimoniaux que le mariage. Tous ces argu- ments se confron- tent à la position des pro-mariage gay qui soutien- nent tout simple- ment le respect du principe d’égalité. Selon eux, les argu- ments avancés contre le maria- ge homosexuel véhiculent les mêmes peurs et les mêmes préju- gés que ceux uti- lisés aux États- Unis pour interdire le mariage interra- cial avant que la

janvier au Parlement.

RÉACTION

Barbara Romagnan “Un enfant adopté par un couple d’homosexuels sera désiré” La jeune députée socialiste de Besançon fait partie de ceux qui soutiennent pleinement le projet. Au nom de l’égalité totale.

“Aucun argument juridique pour interdire.”

L Presse Bisontine :Êtes-vous pour ou contre ce projet,et pour quelles raisons précises ? Barbara Romagnan : Je suis pour. Je sou- tiens ce projet pour deux raisons essen- tielles. Concernant le mariage pour tous, il me semble que vouloir institutionna- liser son amour, son lien d’attachement doit être accessible à tous, indépen- damment de ses préférences amoureuses et de son orientation sexuelle. Les couples homosexuels doivent, comme les autres couples, pouvoir faire le choix de se marier ou non. C’est l’égalité que doit garantir notre République. Ce projet est également des plus néces- saires au regard de la possibilité pour les couples homoparentaux d’adopter. En effet, on estime aujourd’hui que plus de 100 000 enfants vivent dans un cadre homoparental, mais seul l’un de leurs deux parents exerce l’autorité parenta- le sans qu’aucun droit ni devoir ne soit reconnu au deuxième parent. Il est impor- tant que ces familles soient reconnues par la société, d’abord pour ces enfants. L.P.B. : Que répondez-vous à ceux qui s’érigent contre cette réforme (et qui réfutent qu’on les taxe d’homophobie) ? B.R. : Être contre ne signifie pas pour autant être homophobe, même si on peut regretter et condamner les propos outran- ciers parfois tenus. Quelle que soit la position que l’on défend, il me paraît essentiel de respecter celle des autres

et de se garder de tout anathème. Ces questions interrogent chacun sur sa conception personnelle de la famille et de la vie en société. L.P.B. : Comme l’affirment nombre de pédo- psychiatres, n’y a-t-il pas un vrai risque de per- te de repères des futurs enfants si la P.M.A. voi- re la G.P.A. découlent ensuite de cette réforme ? B.R. : Il serait inexact de dire que les pédopsychiatres sont contre l’homoparentalité. Au contraire, ils sont partagés à ce sujet, et de nombreux sont pour. De même, il est essentiel de bien distinguer la P.M.A. de la G.P.A., cette dernière nécessitant l’utilisation voire l’exploitation du corps d’autrui, et en l’occurrence le corps de femmes. Le couple parental homosexuel, la P.M.A. (tech- nique déjà utilisée pour les couples hété-

L’essentiel, selon moi, est effectivement d’expliquer sereinement les choses aux enfants. Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de penser qu’un enfant adopté par un couple d’homosexuels sera véritablement dési- ré par ses deux parents, qui auront depuis le début construit à deux ce pro- jet d’avoir un enfant. L.P.B. : N’est-ce pas une réforme précipitée qui méritait un vrai et large débat de société ? B.R. : Cette réforme justifie en effet un grand débat, il a d’ailleurs lieu depuis plusieurs semaines à l’Assemblée natio- nale et dans la société. Je tiens tout de même à rappeler que cette proposition est portée depuis de nombreuses années par les parlementaires socialistes et les associations défendant les droits L.G.B.T., et que par conséquent le débat n’est pas nouveau en France et se tient depuis longtemps. J’ajoute que la France n’est pas précurseur en la matière, puisque de nombreux pays en Europe et dans le monde ont déjà légiféré en ce sens. L.P.B. : Au sein même du P.S., certaines voix s’élèvent contre le projet. Y a-t-il des consignes de vote unanime au sein du groupe P.S. ? B.R. : Sur ce projet comme sur d’autres, les avis peuvent être nuancés. Étant donné la complexité de la question, je trouve cela rassurant et justifié.

Cour suprême ne déclare en 1967 cette interdiction contrai- re à la Constitution américai- ne. Ils pensent aussi que l’interdiction du mariage aux couples de même sexe se fonde sur une idée étriquée du maria- ge, plus proche du sacrement que du contrat civil en estimant “qu’il n’existe aucun argument juridique pour interdire lemaria- ge homosexuel.” Depuis la Révo- lution, le mariage est avant tout un acte civil, juridique, sanc- tionné par la seule autorité de l’État. Les pro-mariage gay dénoncent enfin comme non fon- dée l’association faite par les “anti” entre mariage et filiation. “Faire de la filiation une carac- téristique essentielle du maria- ge revient à assigner une fina- lité reproductive à la sexualité” affirme ce partisan du projet. Qui ajoute : “Toutefois, ce n’est pas parce que les couples du même sexe ne peuvent pas se reproduire par les voies biolo- giques qu’ils doivent renoncer à la filiation. L’adoption et les techniques de procréation médi- calement assistée devraient aus- si pallier la stérilité de tous les couples.” La recevabilité de tous ces argu- ments, qu’ils soient pour ou contre le mariage gay, aurait sans doute mérité une plus lar- ge consultation de la popula- tion. Car à quelques jours seu- lement d’un vote à l’Assemblée, les citoyens commencent à pei- ne à s’apercevoir que contrai- rement à d’autres grandes réformes qui ont pourtant mar- qué les dernières décennies en France, celle-ci touche au cœur des rapports sociaux entre citoyens eux-mêmes, et entre parents et enfants. J.-F.H.

rosexuels) constituent des changements essentiels qui ne sont évidemment pas sans incidence sur les repères et il faut prendre cela au sérieux. Cependant, il y a bien longtemps que les modèles sur le couple, la parentalité et la famille évoluent. Ces repères dif- férents sont aussi une réa- lité dans les familles où les parents sont séparés, dans les familles homoparentales, dans les familles où les cul- tures se mélangent…

“Cette réforme justifie en effet un grand débat.”

Propos recueillis par J.-F.H.

Le maire de Besançon “Je marierai les couples homosexuels”

Pascal Routhier, maire de Saint-Vit “J’appliquerai la loi, tout simplement”

“Le projet de loi sera débattu au Parlement, je respecte- rai le vote qui en découlera” , indique Jean-Louis Fousse- ret. En tant que maire de Besançon, il affirme donc vou- loir “appliquer la loi. Je marierai donc les couples homosexuels si la loi l’autorise. Ce genre de loi correspond à une évolution de la société et même si cette question concerne la sphère personnelle, c’est une évolution que je constate. Et la France n’est pas le seul pays à évoluer ain- si. Il ne faut pas être plus hypocrite que les autres et la loi s’adapte simplement à l’évolution d’une société qu’on ne doit pas nier.”

“Je n’ai pas pris position sur le sujet. J’appliquerai la loi tout simplement. Si demain je suis amené à marier des couples homosexuels, alors je les marierai. Cela ne me pose aucune difficulté. Le mariage pour tous est le signe que la société évolue et qu’elle est prête à avancer dans le sens d’une loi. Je remarque d’ailleurs que quand je discute avec des jeunes de cette question, ils n’y voient aucune objec- tion. L’homosexualité n’est plus le sujet tabou qu’il a pu être. Tout cela est lié aussi à une question d’éducation et d’ouverture. Une fois encore, je marierai des couples homo- sexuels, mais je pense en revanche que tous les maires ne seront pas disposés à le faire.”

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