La Presse Bisontine 139 - Janvier 2013

ÉCONOMIE 42

La Presse Bisontine n° 139 - Janvier 2013

obsolète dans trente ans. C’est comme si un particulier faisait un emprunt de vingt ans pour financer sa voiture. L.P.B. : Combien de collectivités qui ne votent pas leur budget en équilibre sont examinées par la Chambre des comptes ? R.S. : Entre 30 et 40 par an pour nos deux régions sont concernés par une saisine de la Chambre par le préfet et la Chambre doit rétablir l’équilibre des comptes. Un exemple connu a été celui de Luxeuil-les-Bains dans les années quatre-vingt-dix et qui a traîné ce boulet sur vingt ans. Luxeuil a été un “petit Angou- lême”. C’est pourquoi il faut encourager les élus à être plus rigoureux dans la gestion cou- rante de leur budget. L.P.B. : Pour autant, les Chambres des comptes n’ont pas le pouvoir de sanc- tionner les élus locaux ? R.S. : Ce sont les citoyens qui peuvent les sanctionner dans les urnes. Les Chambres jugent les comptes publics et peuvent engager la responsabilité des comptables publics, des inspec- teurs du Trésor. Il y a une ving- taine de cas par an. Quand par exemple on paie une prime à fonctionnaire au-delà de ce qui avait été prévu dans la délibé- ration d’un conseil municipal, c’est au comptable public d’y répondre. C’est toujours l’État qui tient les caisses des collec- tivités locales. Cela montre aus- si que la décentralisation n’est pas encore allée jusqu’au bout. L.P.B. : Votre avis sur le millefeuille administratif qui caractérise notre pays ? R.S. : Il faut bien sûr le simpli- fier et ça viendra quand les gens seront mûrs et y seront prêts. La priorité actuelle est de dire aux élus qu’ils peuvent déjà amé- liorer leur gestion, maîtriser leurs dépenses et encadrer leurs emprunts. Il y a encore des éco- nomies à faire dans les collec- tivités locales. La maîtrise de la dépense publique sera le grand combat des trois années qui vien- nent. Car la fiscalité ne pourra pas toujours augmenter : il faut que l’augmentation de la fisca- lité soit en rapport avec la capa- cité contributive du citoyen. Quand un salaire augmente de 2 %, il ne faut pas que les impôts augmentent plus que 2. C’est juste une question de bon sens et le bon sens, on n’en a jamais assez. Propos recueillis par J.-F.H.

les collectivités ont pris l’habi- tude d’avancer tout le monde à la cadence accélérée si bien que les fonctionnaires arrivent au top de leur carrière beaucoup plus vite. C’est une pratique quasi-généralisée qui finit par coûter très cher. Pour retenir son fonctionnaire, le maire pra- tique donc ainsi parce que dans la ville voisine on fait pareil. C’est l’effet tâche d’huile et la conséquence indirecte de l’émiet- tement des collectivités. C’est ce qu’on appelle l’échelle de per- roquet. Il faut aussi que les collectivi- tés réfléchissent à tous les ser- vices qu’elles mettent en place, ou encore à ne pas systémati- quement répondre favorable- ment à toutes les demandes. Enfin bien évaluer leurs frais de fonctionnement. L.P.B. : Vous pensez notamment à de grands chantiers comme le tramway ? R.S. : Pas forcément. Je pense d’abord à des immobilisations du genre salle des fêtes ou gym- nase. Quand ces équipements ne sont pas utilisés, ils coûtent quand même. Pour la question des tramways, Dijon et Besan- çon n’ont pas eu la même démarche. Dijon a un tram de 440 millions, financé en partie par du partenariat public-pri- vé (P.P.P.), tandis que Besançon a surtout misé sur la taxe ver- sement transport. Ce genre de sujet fera certainement l’objet d’une évaluation par la Chambre des comptes un jour. L.P.B. : Les collectivités sont-elles menacées de ruine ? R.S. : La plupart d’entre elles sont dans une situation finan- cière globalement équilibrée car il existe une notion fondamen- tale : l’équilibre réel du budget qui interdit de financer des dépenses de fonctionnement en ayant recours à l’emprunt, qui ne doit servir qu’aux dépenses d’investissement. C’est vraiment une règle à protéger coûte que coûte. C’est en quelque sorte la règle d’or des collectivités locales. L.P.B. :Il est plutôt sain d’investir quand on est une collectivité, non ? R.S. : L’investissement peut aus- si se révéler sournois car il gèle une part de la capacité d’action d’une collectivité. Et il peut être sournois car lui-même engen- drer des dépenses de fonction- nement. C’est pourquoi il est à manier avec précaution. On n’emprunte pas sur cinquante ans un équipement qui sera

“Il faut encourager les élus à être plus rigoureux dans la gestion” Le président de la Chambre régionale des comptes (C.R.C.) désormais regroupée entre la Bourgogne et la Franche-Comté explique les orientations de la juridiction qu’il préside et livre son analyse sur la bon- ne gestion des deniers publics. FINANCES PUBLIQUES Le président de la Chambre régionale des comptes

Roberto Schmidt est à la tête des 64 salariés de la Chambre régionale des comptes de Bourgogne-Franche-Comté. Il est aussi conseiller référendaire à la Cour des comptes.

L a Presse Bisontine : La fusion des Chambres régionales des comptes de Bourgogne et de Franche-Comté et leur regrou- pement à Dijon avait suscité une vague d’émoi il y a un an à Besançon. Qu’en est-il aujourd’hui ? Roberto Schmidt : La plupart des magistrats qui étaient à Besan- çon ont rejoint Dijon. Certains d’entre eux ont préféré partir dans d’autres Chambres plus grosses et assurer leur carrière. À l’exception d’une dizaine de personnes, l’effectif de Besançon a rejoint celui de Dijon. On est en train de fermer les locaux de la rue Sarrail à Besançon et nous les laisserons à l’État qui saura certainement les réaffecter. L.P.B. : Ce rapprochement a été vou- lu pour des raisons d’économie. Y a- t-il eu aussi des suppressions de postes ? R.S. : La Chambre de Dijon employait 38 personnes, celle de Besançon 25, soit 63 au total. Les deux Chambres réunies, nous serons 59, c’est donc 4 postes en moins et nous écono- misons surtout des frais de fonc- tionnement. Mais l’objectif de la fusion n’était pas que de fai- re des économies. L.P.B. : Quel est-il alors ? R.S. : La Cour des comptes a reçu de nouvelles missions, notam- ment d’évaluation des politiques publiques, via des commandes passées par le gouvernement, le Sénat ou l’Assemblée Natio- nale. Les regroupements de

critère plus mécanique à un caractère plus sélectif des col- lectivités ou organismes contrô- lés. Je m’efforce d’améliorer la programmation pour compen- ser l’éloignement géographique. La Franche-Comté ne sera pas oubliée dans nos missions, c’est certain. Et grâce à la fusion, les équipes de contrôle seront plus performantes qu’un magistrat seul dans son coin avec sa peti- te sacoche. L.P.B. : Que comprendra le program- me de la Chambre en 2013 ? R.S. : Il est en préparation. Je peux dire qu’il comprendra néces- sairement le contrôle des grandes collectivités qui n’ont pas été contrôlées depuis de nombreuses années, tant en Bourgogne qu’en Franche-Comté. Nous contrôle- rons aussi des plus petites col- lectivités sur lesquelles des risques de dérive dans la ges- tion ont été détectés. L’idée géné- rale est aussi de veiller à une surveillance générale sur la pro- gression de l’endettement des collectivités locales. L.P.B. : L’endettement est-il donc le grand risque que courent nos collec- tivités, à l’instar de l’État ? R.S. : Nous évaluons l’endette- ment mais surtout la qualité de cet endettement. Il faut que les collectivités comprennent qu’elles s’engagent à rembourser non seu- lement un capital mais aussi des intérêts,ce n’est pas toujours évi- dent. Certaines se sont engagées dans des emprunts complexes, il

faut désormais que les communes par exemple comprennent que les formules complexes ne sont pas du tout adaptées.Quand sur un emprunt structuré, comme ceux basés sur le franc suisse, on a des facteursmultiplicateurs de 5 à 10, ça peut vite faire explo- ser les taux. Il y a désormais une charte des bonnes conduites signée par les banques qui s’en- gagent à ne plus distribuer ce genre de produits. En France, plus de 12milliards d’euros sont composés de ces emprunts ris- qués. Un maire peut se retrou- ver avec des intérêts qui doublent quand un taux passe de 3 à 7 %. C’est très dangereux. L.P.B. : Vous enjoignez donc les col- lectivités locales à maîtriser leurs dépenses. Comment le peuvent-elles alors que les besoins vont croissants ? R.S. : Il s’agit d’abord de maîtri- ser les dépenses de personnel. Certes il y a eu des transferts de l’État qui ont nécessité des embauches de personnel, mais il faut arriver à faire comprendre aux collectivités locales qu’elles maîtrisent mieux leurs effectifs propres. Comment maîtriser les dépenses de personnel ? C’est par exemple en n’augmentant pas tout le monde avec le maxi- mum d’ancienneté. L.P.B. : C’est-à-dire ? R.S. : La carrière d’un fonction- naire territorial est ponctuée d’avancements, avec une durée d’échelon plus ou moins longue. Mais pour ne froisser personne,

Chambres vont justement per- mettre de mettre à disposition de ces travaux d’évaluation du personnel qui vient des Chambres régionales des comptes. Il y a désormais une plus grande porosité entre la Cour et les Chambre régionales. Exemple récent de ces nouveaux travaux demandés aux Chambres : l’évaluation des poli- tiques d’aide à la création d’en- treprise. On a mis en place des formations inter-juridictions pour délibérer sur ces sujets-là. Je participe à cette commande de l’Assemblée Nationale, ce premier rapport d’évaluation est sur le point d’être publié. L.P.B. : Le fait que la Chambre régio- nale ait désormais son siège à Dijon met-il“à l’abri”des contrôles les petites communes éloignées de ce centre, dans le Haut-Doubs par exemple ? R.S. : Il est clair qu’avec le regrou- pement, le programme des Chambres régionales sera modi- fié. On peut dire qu’il y aura une moins grande régularité dans les contrôles et on sera obligé de privilégier des critères sur des analyses de risques préa- lables. Mais le recours à ce “juge de paix” que sont les Chambres des comptes aura toujours lieu. Le nombre des observations sera en baisse mais le président de la C.R.C. est bien décidé de fai- re le travail partout quand un travail de repérage ou de détec- tion est bien fait et ce, autant en Bourgogne qu’en Franche- Comté. On passera juste d’un

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