La Presse Bisontine 132 - Mai 2012

DOSSIER SSIE

La Presse Bisontine n° 132 - Mai 2012 20

Les appelés français en partance pour l'Algérie.

GRAND ANGLE Le rappel historique Conquête et guerre d’Algérie en dates

Les combats dans le djebel auront duré huit longues années

- En 1827 , sous le Directoire, la Régen- ce d’Alger a fourni du blé et des che- vaux à la France. Le 29 avril 1827, le dey Hussein exige du consul de Fran- ce àAlger Deval le règlement de la det- te. Le ton s’envenime, le dey aurait frap- pé le consul. - Le 31 janvier 1830 , une expédition punitive est décidée. Officiellement, Charles X souhaite redorer le blason de la France enMéditerranée. L’armée française entre victorieuse dans la vil- le d’Alger le 5 juillet 1830. Le pays est pourtant loin d’être conquis.Trente ans d’une “pacification” inachevée seront nécessaires, ponctués notamment avec les combats contre les troupes de l’émir Abd et Kader. - En 1848, la République française déclare l’Algérie territoire français divi- sé en trois départements. Les colons français commencent à s’y installer. Après 1945, près d’1million d’immigrés

européens deviendront ainsi des Fran- çais d’Algérie. - En 1871, c’est la révolte d’El Mokra- ni. À Palestro, tous les Français sont massacrés. La répression française est terrible. - En 1936, le projet Blum-Viollette pré- voit de donner à 21 000 indigènes les droits politiques de citoyens français. FerhatAbbas soutient sans réserve cet- te initiative. Mais cette mesure ren- contre l’opposition ferme des élus et des colons. - Le 12 décembre 1943, le général De Gaulle alors chef du gouvernement pro- visoire promet des réformes. - Le 8 mai 1945, alors que la France fête la victoire de la liberté, à Sétif, du cortège d’environ 8 000 personnes, aux “you-you”stridents des femmes semêlent les mots d’ordre indépendantistes. Bra- vant l’interdit, un jeune arbore le dra- peau algérien. La police ouvre le feu, il

(photo André Guillocheau).

est tué.Divers groupes s’attaquent alors auxEuropéens.Au total,103Européens sont tués.Une fois de plus, la répression française est féroce. Il y aurait eu plus de 10 000 victimes côté algérien. Cette révolte de Sétif préfigure la guerre qui allait se déclencher à laToussaint 1954. - Le 1 er novembre 1954, c’est l’embrasement. C’est laToussaint san- glante avec des attentats simultanés sur l’ensemble du territoire algérien. PierreMendès-France et François Mit- terrand déclarent : “L’Algérie, c’est la France.” En décembre, une colonne de blindés français descend dans lesAurès : c’est la guerre. - En 1955, c’est la répression et la ten- tative de pacification.Offensive duF.L.N. dans le Constantinois. Terrible mas- sacre et violente répression. L’état d’urgence est décrété le 30 août sur tout le territoire algérien. - En 1956, rappel massif sous les dra- peaux de 70 000 soldats français. Le 22 octobre, 5 chefs du F.L.N. dont Ben Bella sont arrêtés et transférés en Fran- ce. - L’année 1957 est marquée par la bataille d’Alger, avec notamment l’opération “nettoyage de la Casbah d’Alger” menée par le général Massu.

- En 1958, c’est l’insurrection à Alger et l’appel à De Gaulle. Le 4 juin il pro- nonce à Alger son fameux “Je vous ai compris” et deux jours plus tard àMos- taganem son “Vive l’Algérie française.” Sur le terrain, la guerre se poursuit. - En 1959, la guerre s’intensifie. Le 16 septembre, De Gaulle promet l’autodétermination au peuple algérien. - En 1960, pour la première fois, le sang français coule sous les balles françaises avec des insurgés qui ouvrent le feu sur des gendarmes. État de siège décrété à Alger. - En 1961, échec du putsch des géné-

raux. Naissance de l’O.A.S. (organisa- tionArmée Secrète) composée de Fran- çais extrémistes, qui commence à com- mettre une série d’attentats. La violence prend définitivement la place de la rai- son. - En 1962, c’est le dénouement. Les accords d’Évian sont conclus le 18mars, c’est le cessez-le-feu : il seramis fin aux opérations militaires et à la lutte armée sur l’ensemble du territoire algérien, le 19mars 1962 à 12 heures. Le 3 juillet, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie. Environ 30 000 Français sont morts, plus de 300 000 Algériens.

Retour des soldats sur le sol fran- çais (photo Universal).

FONTAIN

Trois fellaghas égorgés Bernard Douillon, porte-drapeau fidèle

Cet habitant de Fontain a été très marqué par la guerre. Depuis son retour en France, il met un point d’honneur à célébrer toutes les commémorations liées au conflit d’Algérie.

C’ est en décembre 1958 que je jeune Bernard Douillon, alors âgé de 21 ans est appelé enAlgérie. Il avait déjà passé douze mois au 35ème R.I. de Belfort. Le “maintien de l’ordre”, on leur a dit de l’exercer au Sud de la région d’Oran, à l’Ouest de l’Algérie. Lui et huit hommes qui l’accompagnaient ont été envoyés à Abadla, une petite ville située plus au Sud encore, à 100 km de Colomb- Béchart, à la frontière marocaine. “On est arrivée par le train de Colomb- Béchart, deux jours pour faire 100 km. En allant là-bas, j’ai dit “advienne que pourra.” Je n’étais pas du genre à res- ter en planque.” La guerre commençait pour le jeune caporal Douillon. Comme tous les autres, il ignorait ce qui l’attendait, il ne savait rien des enjeux du conflit. Une des premières missions de ce plom- bier de formation a été de construire des douches dans la forteresse qui leur servait de casernement. Première coïn- cidence, heureuse pour lui : “Le lieu- tenant de gendarmerie avait marié une fille de mon patelin, Marnay en Hau- te-Saône. Il avait joué au foot avec mon père. Il m’a dit : “à partir de ce moment,

tu sauras que tu fais partie de ma famille.” Tous les vendredis, il m’invitait pour manger une fondue, avec de la cancoillotte qufil faisait venir de Fran- ce.” Rares moments de détente pour le jeune Bernard qui aura vécu lui aus- si les angoisses des embuscades, des mines et des pièges pendant 16 mois et demi. Il ne remettra définitivement les pieds en France que le 5 mai 1960. Là-bas, il aura connu quelques accro- chages sérieux dont un qui restera gra- vé à jamais dans sa mémoire. “Je fai- sais partie des commandos de chasse

Bernard Douillon porte le drapeau des anciens d’Algérie dans toutes les célébra-

tions. Ici à l’église de Saint-Vit.

à pied. Nous étions dans l’oued Béchart, une ving- taine d’Européens et une quinzaine de Harkis. Nous avions eu l’ordre de monter au sommet d’un piton. Dans l’oued, une soixantaine d’hommes avec une cara- vane de chameaux nous avaient été signalés. Nous sommes arrivés après 50 km de marche à pied au sommet du piton, à 3 heures du matin. Un quart d’heure plus tard, la sentinelle

“On a commencé à tirailler comme on pouvait…”

laghas par trois Harkis… Ces “aléas de la guerre” , il n’en a quasiment jamais parlé depuis. C’est sans doute aussi pour cela que Bernard Douillon a choisi autrement de s’exprimer, en acceptant et en res- pectant avec application la mission qui lui a été confiée d’entretenir le souve- nir à travers sa fonction de porte-dra- peau départemental de la F.N.A.C.A., son association d’anciens combattants. “Pour moi, c’est un honneur. Non seu- lement un honneur, mais un privilège” dit celui qui a perdu son père, mort à

la Citadelle lors du précédent conflit de 39-45. Alors à chaque cérémonie, le 8 mai, le 11 novembre, le 19 mars, le 8 septembre pour la libération de Besan- çon, à chaque commémoration de la communauté juive ou des Harkis, à chaque enterrement d’un des anciens d’Algérie, il est là, fier, altier et res- pectueux de la mémoire de ces 30 000 soldats français, et combien de l’autre camp, “morts pour rien. On s’est battu pour quoi ? Même pas pour un idéal” souffle Bernard Douillon. J.-F.H.

nous réveillait. Le P.C. nous a donné l’ordre de feu à 4 heures. On a com- mencé à tirailler comme on pouvait… Dans ces coups-là, on ne peut pas fai- re l’autruche” se remémore Bernard Douillon les yeux humides. Tous les fellaghas ont été “négociés” lors de l’opération, “jusqu’à l’arme blanche dans les failles des rochers.” Sa gorge se noue à nouveau quand l’habitant de Fontain évoque les deux jours où lui et ses camarades se sont perdus dans le désert, ou quand il a assisté impuissant à l’égorgement de trois fel-

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