La Presse Bisontine 132 - Mai 2012

DOSSIER

La Presse Bisontine n° 132 - Mai 2012

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ALGÉRIE : DES BISONTINS DANS LA GUERRE

Plus d’1,3 million de jeunes soldats français ont été appelés à combattre pour “maintenir l’ordre” en Algérie entre 1954 et 1962. Parmi eux, des centaines de jeunes gens originaires du Grand Besançon qui ont servi la France dans un conflit qui les dépassait et dont ils n’avaient, pour la plupart d’entre eux, pas saisi les enjeux. Dans le Doubs, ils sont encore aux environs de 10 000 ces anciens combattants marqués à jamais par ce conflit sans nom que le Parlement français n’a reconnu comme guerre qu’en 1999 ! Nous sommes allés à la rencontre de ces anciens soldats aujourd’hui septuagénaires. Tous ont accepté de se plier à un exercice que certains n’avaient jamais fait ou si rarement : raconter leur guerre. Les accords d’Évian ont été signés en mars 1962 et l’indépendance de l’Algérie obtenue en juillet de la même année. Cinquante ans après la fin de la guerre, entre ces deux dates, La Presse Bisontine a souhaité faire œuvre de mémoire. Pour un conflit toujours entouré d’interrogations à ce jour, et surtout pour ceux qui y ont participer juste pour “servir leur pays”.

HISTOIRE

Association d’anciens combattants Ils entretiennent le devoir de mémoire

Ils ne sont pas si nombreux à porter la voix de tous ces combattants silencieux pris dans le tourment de la guerre à 20 ans. Les associations poursuivent aujourd’hui un autre combat, la lutte contre l’oubli.

La guerre d’Algérie a fait 30 000 victimes côté fran- çais. Les Algériens, et les Harkis, ont payé un tribut beaucoup plus lourd.

1 er novembre 1954-19 mars 1962 : la guerre d’Algérie aura duré près de huit ans. Durant cette période, tout une génération de Français, soit 1,340 million au total, aura été envoyée sur ces terres africaines colonisées par la France un siècle plus tôt. Dans le département du Doubs, il en reste environ 10 000 de ces anciens d’Algérie,

âgés pour les plus jeunes de 72 ans, de plus de 80 ans pour les plus anciens. Tous ne sont pas revenus vivants d’Algérie, d’autres ont été mutilés et tous, marqués à jamais par ce qu’ils ont vécu là-bas. D’où le mutisme de certains qui n’ont jamais raconté,même à leurs proches, leur expérience de soldat en guerre. Bernard Clavel le disait : “La guerre ne tue pas que ceux

qui reçoivent une balle. Elle détruit aussi les hommes à l’intérieur. Des choses qui vous brûlent, vous taraudent le cerveau, jour et nuit, des choses qu’on ne peut pas porter.” Cinquante ans après la fin de ce conflit dont toutes les ambiguïtés n’ont pas été levées ici en France, c’est l’heure des commémorations. Et même sur ce point, l’unanimité n’est pas de mise (voir ci-dessous). Chacun pourtant porte à sa manière le souvenir de cette guerre. Et les associations d’anciens combattants, qu’elles soient “généralistes” comme l’U.N.C. (180 000 adhérents en France pour le conflit algérien) ou spécialement dédiées à ce conflit comme la F.N.A.C.A. (360 000 adhérents), entretiennent le devoir de mémoire. Même si cette guerre les a tous dépassés. Cinquante ans après, Christian Nottet le président de la F.N.A.C.A. pour le Doubs ne dit pas autre chose : “L’Algérie, c’était la France à l’époque. On s’est battu entre nous, c’était une guerre interne, il faut bien dire la vérité. La guerre d’Algérie reste aussi un tabou tout simplement parce qu’elle s’est mal terminée” estime celui qui aura passé 15 mois de l’autre côté de la Méditerranée. Président départemental de l’U.N.C. (3 900 membres dans le Doubs, tous conflits confondus), Gérard Mangin est tout aussi à cheval sur l’importance du devoir de mémoire, quelle que soit d’ailleurs la différence d’appréciation entre l’U.N.C. et la F.N.A.C.A. en ce

Anciens d’Algérie, deux visions du souvenir Dans le Doubs, deux associations principales défendent le souvenir des anciens d’Algérie. La F.N.A.C.A. (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie). Cette fédération créée en 1958 s’est donnée pour objectif de défendre les droits matériels et moraux de tous ceux ayant pris part à la guerre d’Algérie et aux combats du Maroc et de Tunisie (1952-1962) et d’agir en faveur de la Paix en commémorant la date du 19 mars 1962, le cessez-le-feu ayant mis fin officiellement à la guerre d’Algérie. L’autre association est l’U.N.C. (union nationale des combattants), poursuit sensiblement les mêmes objectifs (rassembler les hommes et les femmes qui ont porté l’uniforme pour la défense de la France pendant les conflits ou au titre du service national, les veuves d’anciens combattants et les veuves et orphelins de guerre, maintenir et développer les liens de camaraderie, d’amitié et de solidarité qui existent entre tous ceux qui ont participé à la défense de la patrie, perpétuer le souvenir des combattants morts pour la France, contri- buer au devoir de mémoire…). Mais contrairement à la F.N.A.C.A., elle plaide pour une autre date de commémoration du conflit, estimant que le 19 mars 1962 n’a pas mis fin aux massacres. Les anciens combattants de l’U.N.C. ont obtenu de Jacques Chirac une nouvelle date de commémoration, le 5 décembre, devenue journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie. La F.N.A.C.A. maintient sa position en faveur du 19 mars. Date qui pourrait, selon certaines informations, être officialisée.

qui concerne la date de commémoration du conflit algérien (voir ci-contre). Pour lui, toutes les occasions sont bonnes pour rappeler la signification des choses : “Nous sommes favorables au 5 décembre, la date qui a été officiellement retenue. Ceci dit, le 11 novembre va être

versée par l’État, équivalente pour ceux qui n’ont pas en plus été mutilés, à environ 580 euros par an. Le prix de la réparation. Peu d’autres reconnaissances, sinon à Besançon par exemple quelques entrées gratuites au musée avec la carte d’ancien combattant, et des décorations (parfois la légion d’honneur) pour certains. Le devoir de mémoire, ils le manifestent en participant aux différents congrès de leurs associations respectives et aux commémorations officielles. Au- delà de ces rassemblements publics, les anciens d’Algérie sont des citoyens comme les autres. Et ces autres-là ont peut-être trop vite oublié que cette génération de septuagénaires a connu la guerre. Perpétuer la mémoire d’un conflit, c’est certainement aussi une façon d’éviter autant que possible que l’Histoire se répète. J.-F.H.

institué comme un jour de mémoire pour tous les conflits, c’est une bonne chose, mais cela n’enlèvera rien aux autres dates existantes qui sont à chaque fois une occasion de rappeler les guerres et leurs conséquences à l’esprit de tous.” Les soldats d’Algérie sont considérés comme des anciens combattants et à ce titre ont droit à une pension

Une pension de 580 euros par an.

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