La Presse Bisontine 128 - Janvier 2012

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La Presse Bisontine n° 128 - Janvier 2012

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RENCONTRE - JOSEPH PINARD

“C’est en décryptant le passé que l’on comprend le présent” Ancien député socialiste, agrégé d’histoire, Joseph Pinard publie un livre remarquable sur Lucien Febvre qui était à la fois militant socialiste, écrivain attaché à la Franche-Comté, et surtout historien. Un homme à qui l’Histoire doit beaucoup.

L a Presse Bisontine : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à Lucien Febvre ? Joseph Pinard : C’est le plus grand historien du XX ème siècle ! Il était un professeur remarquable et remarqué. On l’a surnommé le Diderot franc-comtois lorsqu’il devint patron de la Nouvelle Encyclopédie. Cet homme écri- vait par ailleurs superbement bien. Il a écrit sur la Franche- Comté, ses habitants, ses pay- sages. Il parle avec beaucoup de chaleur des ouvriers horlogers. Il avait une affection particuliè- re pour cette région. Lucien Febvre était aussi très attaché à Besançon. Il est l’auteur des plus belles pages sur cette ville qu’il a magnifiée. À l’heure du S.M.S., c’est devenu rare ! L.P.B. : Né à Nancy en 1878, mort à Saint-Amour dans le Jura en 1956, Lucien Febvre a enseigné à Besançon au lycée Victor-Hugo de 1907 à 1912. Il devient à l’époque militant socialis- te. Dans votre livre vous vous intéres- sez à cette période de la vie du per- sonnage. Pourquoi ? J.P. : Lorsqu’il est à Besançon, ce jeune intellectuel est révolté. Il s’insurge contre les injustices de son temps. Deux événements l’exaspèrent. Le premier est l’affaire du soldat Navilly, condam- né à mort à Besançon pour avoir bousculé un caporal. Finalement, ce soldat ne sera pas exécuté, mais il n’échappera pas au bagne. La seconde affaire concerne Gabrielle Petit, une militante, citoyenne, qui était venue de Paris à Besançon pour soutenir les femmes des usines de soierie qui étaient en grève. Il y a eu une répression féroce et cette femme a été condamnée à trois mois de prison ferme. Lucien Febvre glis-

Lucien Febvre, un parcours brillant L ucien Febvre naît le 22 juillet 1878 à Nancy et meurt le 26 septembre 1956 dans le Jura à Saint-Amour. Il est un des plus importants historiens modernistes du XX ème siècle.

Professeur, intellectuel, issu de lʼÉcole Norma- le Supérieure, il a sou- tenu une thèse en 1911 sur le thème “Philippe II et la Franche-Comté”. Sa manière dʼaborder lʼhistoire est novatrice. Il insiste sur les interac- tions qui existeraient entre lʼéconomie et la société par exemple. Les méthodes dʼenseignement qui lui sont propres sont saluées par ses pairs. Après avoir enseigné à Besançon, il devient pro- fesseur à lʼUniversité de Strasbourg en 1919, et enfin professeur au Col- lège de France. Il parti- cipe à lʼencyclopédie française. Tout au long de son parcours, son attachement à la Franche-Comté ne lʼa jamais quitté. Il laisse derrière lui une œuvre considérable.

se à l’extrême-gauche du parti socialiste. Il voue une hostilité presque viscérale à Georges Cle- menceau. À ce moment-là, il croit à l’imminence de la révolution. Mais il sera obligé de se rendre compte que les radicaux au pou- voir qu’il croyait à bout de souffle n’étaient pas aussi usés qu’il le pensait. L.P.B. : Non seulement on suit le par- cours de l’homme, mais on apprend beaucoup de choses dans ces pages sur le Besançon d’avant la première guerre mondiale ? J.P. : Dans ce livre, j’ai en effet travaillé sur le contexte du Besan- çon d’avant 1914. J’évoque le rôle de la franc-maçonnerie à l’époque, l’industrie, le courant de libre- pensée, ou l’université populai- re. Lucien Febvre a apporté son concours à cette université qui était une sorte d’entreprise de cours du soir où l’on parlait de l’art, de la philosophie. Lui fai- sait des conférences sur Charles Fourier. L.P.B. : Qu’a apporté Lucien Febvre à la façon d’appréhender l’Histoire ? J.P. : Il a élargi le champ de

Pour l’anecdote, lorsqu’Edgar Faure, qui était une “encyclopé- die” à lui seul, rencontrait quel- qu’un pour la première fois, il le questionnait jusqu’à trouver un terrain de discussion avec lui, quelles que soient ses origines. L’exercice avait quelque chose d’assez fascinant. L.P.B. : Qu’est-ce que Lucien Febvre a apporté aux historiens des générations suivantes ? J.P. : Il a donné l’ouverture sur les autres et lemonde. C’est essen- tiel. aujourd’hui, l’enseignement de l’histoire est mena- cé au lycée. Qu’en pensez-vous ? J.P. : L’histoire donne l’habitude de comprendre le pourquoi des réactions, des positions, de tel ou tel groupe humain. En suppri- mant l’histoire ou en tout cas en diminuant les heures d’enseignement, on se prive de cette capacité de recul et de dia- logue. C’est en décryptant le pas- sé que l’on comprend le présent. L.P.B. : Quel est le risque selon vous de tourner le dos à l’histoire ? L.P.B. : Pourtant,

l’Histoire l’ouvrant l’économie, au social, et très important, à l’histoire des men- talités. Il était le meilleur historien duXVI ème siècle. Son ami Léon Werth disait de lui “je l’ai vu des vieilles pierres extraire la en à

“Ce jeune intellectuel est révolté.”

vie.” Lucien Febvre a finalement été le premier à avoir cette approche pluridisciplinaire. Le but de ce livre est de tirer d’un certain oubli celui qui a été un grand historien des mentalités. L.P.B. : Il s’intéresse donc, au-delà des faits, au contexte historique dans les- quels ils se déroulent ? J.P. : Par exemple, pour lui, l’histoire des mentalités est un moyen pour se comprendre, en cherchant, dans le passé, les rai- sons qui peuvent expliquer qu’une personne pense de telle ou telle manière. Cette approche doit per- mettre aux hommes de mieux se connaître, en comprenant la per- sonne que l’on a en face de soi.

“Lucien Febvre, militant socialiste à Besançon 1907-1912”, de Joseph Pinard Éditions Cêtre - 325 pages, 23 euros

MICHÈLE BERNIER

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