La Presse Bisontine 128 - Janvier 2012

26 DOSSIER

La Presse Bisontine n° 128 - Janvier 2012

TÉMOIGNAGE Les jurés d’assises Juger en son âme et conscience Tout citoyen peut être tiré au sort pour faire partie d’un jury d’assises. Louise et Isabelle ont vécu cette expérience particulière. Elles racontent.

A voir été juré d’assises est une expérience qui marque. Isabelle* l’a été il y a plus de dix ans. Elle n’a pas oublié. Une discussion, un film, passer devant le palais de justice de Besançon, et les souvenirs reviennent. Les accu- sés, les témoins, les experts, les récits monstrueux parfois, les plaidoiries, les débats et le ver- dict qui tombe.“ J’ai encore dans le nez l’odeur de la salle d’au- dience. Le fait d’en reparler me rend fébrile” confie-t-elle. Com- me les autres jurés, elle a été tirée au sort pour faire partie du jury d’assises du Doubs. Lors de cette session-là, sept affaires ont été jugées. “ J’ai été récusée pour l’une d’elle, et désignée sup- pléante pour une autre, heu- reusement d’ailleurs car je suis mère de famille et j’en voulais terriblement à l’homme qui allait être jugé pour viol sur mineur.” Isabelle a donc assisté à cinq procès. Agressions sexuelles, meurtre, braquage, elle a suivi

avec attention ces débats pour juger en “ son âme et conscien- ce. Le plus difficile est de rester neutre.” Comment contenir sa sensibilité, et ne pas se laisser influencer par ses sentiments ou être tenté d’alourdir une pei- ne, quand un huissier soumet au jury des photos du corps d’une personne couvert de coups de couteaux ? Le récit est peut-être sordide,“ mais nous devons nous

Les jurés sont acteurs

du procès d’assises.

en tenir aux faits. À la fin, on connaît l’histoi- re par cœur.” Puis vient le délibéré auquel les jurés parti- cipent, mais ils sont tenus au secret de ce qui se dit dans la chambre des délibérations. “ Quand je suis revenue dans la salle pour le ver- dict avec les

“Nous sommes la justice.”

La peur de commettre une erreur judiciaire, Louise y a souvent pensé tout au long des procès d’assises auquel elle a assisté en tant que jurée. “ Quand l’ac- cusé ne nie pas, c’est plus faci- le. Dans le cas contraire, on se demande si on fait bien. C’est une question de grande respon- sabilité et d’appréciation. On se fonde aussi sur son intime convic- tion pour penser de quelqu’un qu’il est coupable” confie-t-elle. Louise n’est pas sortie indem-

ne de cette expérience qu’elle qualifie toutefois d’inoubliable. “ Longtemps j’ai rêvé de cette affaire d’assassinat. Je repense souvent à ce que j’ai vécu. C’est quelque chose de très particu- lier et de très fort d’être juré d’as- sises, car nous ne sommes pas spectateurs mais acteurs d’un procès. Nous sommes la justice ! J’ai découvert un visage de cet- te institution que je ne connais- sais pas.” Louise admet être sor- tie du tribunal assez sereine,

avec “ le sentiment de ne pas avoir fait n’importe quoi.” Isabelle ne regrette pas non plus d’avoir vécu cette expérience unique. Les années se sont écou- lées, pourtant, à chaque fois qu’elle passe devant la prison elle se demande ce que sont deve- nus ceux que les assises ont condamnés. *Pour des raisons de confidentialité, les prénoms ont été changés.

autres jurés, je ne me sentais pas très bien.Quand un accusé recon- naît son crime, on a moins de scrupule à cautionner un juge- ment. En revanche, s’il n’avoue pas, on a longtemps cette idée en tête que l’on condamne peut- être un innocent.” Le sentiment est d’autant plus fort que les jurés n’ont, la plupart du temps, ni l’expérience, ni la culture juri- dique qui leur permettent peut- être de prendre davantage de recul sur un dossier.

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