La Presse Bisontine 128 - Janvier 2012

DOSSIER

La Presse Bisontine n° 128 - Janvier 2012

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TÉMOIGNAGE

L’accusateur public revient sur les moyens de la justice Alain Saffar : “Le tribunal fera des choix” Restrictions

L a Presse Bisontine : Le pro- cureur de la République a le rôle d’accusateur public. Quel est votre rôle précis au sein de la juridiction ? Alain Saffar (procureur de la Répu- blique près le Tribunal de Besançon) : Ma mission principale est de recevoir les plaintes et procès- verbaux et d’apprécier la suite à leur donner. Lorsqu’on reçoit une plainte, le premier travail porte sur l’existence ou non d’une infraction pénale. Le procureur intervient aussi au civil comme le parquet civil, la rectification des actes civils, la surveillance des officiers d’état civil (maires), les adoptions. Le procureur est une force de sélection, d’orientation et de proposition. L.P.B. : Combien de plaintes et pro- cès-verbaux recevez-vous chaque année à votre bureau, rue Mégevand à Besançon ? A.S. : Les chiffres arrêtés à la fin octobre sont de 18 000. Elles étaient de 17 500 plaintes en 2009. L.P.B. : Une fois reçues, y a-t-il des suites pénales pour toutes les affaires pour lesquelles vous avez été saisi ? A.S. : Sur les 18 000 affaires, environ 5 000 sont poursuivables. Nous engageons 4 600 réponses pénales, ce qui représente une proportion de 90 %. Attention à ces chiffres, car une affaire est dite poursuivable lorsque nous avons suffisamment de charges. Il arrive souvent de classer des affaires. L.P.B. : Classer une affaire sans suite signifie-t-il dire que la justice s’en désintéresse ? A.S. : Non. Toutes les plaintes ne peuvent pas faire l’objet de pour- suites pénales car il n’y a pas d’auteur identifié : il faut une infraction constituée. Exemple : deux automobilistes ont un acci- dent, ils s’arrêtent, échangent leurs coordonnées mais le mis en cause ne répond jamais. Juri- diquement, ce ne sera pas un délit de fuite. L.P.B. :A l’heure où l’État parle de res- trictions budgétaires, les juges bison- tins et les justiciables doivent-ils oblige, le tribunal de Besançon va réduire en 2012 le nombre de ses audiences pénales. Quid des délais et de l’application des peines ? Alain Saffar, procureur de la République de Besançon, répond.

Le procureur de la République de Besançon Alain Saffar.

est déjà allé en détention et qui se présente à nouveau, est plus désinvolte. Mais cela n’empêchera pas qu’il y retour- nera. Le tribunal répond fer- mement, surtout s’il est saisi de faits graves et imputables à une personne. L.P.B. :Vous pensez à l’affaire du cafe- tier bisontin frappé de 99 coups de couteau en novembre dernier… A.S. : Pas spécialement,mais c’est une illustration. Là, c’est plu- tôt l’action de la Police qui est à mettre en avant car en moins de dix jours un suspect était arrêté. L.P.B. : Depuis votre arrivée à Besan- çon, est-ce cette affaire qui vous a le plus marquée par son caractère atro- ce ? A.S. : Disons qu’elle est extraor- dinaire par le nombre de coups de couteau. Il y a également eu l’agression du contrôleur de la S.N.C.F., ou l’agression sexuel- le au Parc Micaud.

tent car nous voulons juger tout de suite les affaires les plus graves pour ne pas perdre de temps. Le tribunal comptabili- se cette année 93 comparutions immédiates contre 68 en 2010 à la même date. L.P.B. : Comment le personnel judi- ciaire va-t-il anticiper ce surplus de travail d’autant que la réforme de la garde à vue alourdit encore la justi- ce ? A.S. : Ce sera assumé avec cette variable d’ajustement qui est le temps.On prendra plus de temps pour traiter. Mais certaines affaires passeront en priorité comme le civil et les demandes de divorce. C’est sensible. Pour ce qui est des gardes à vue, elles ont diminué de 20 % à Besan- çon. Sur les 10 premiers mois de l’année, nous sommes à 1 100, contre 1 400 l’année dernière. Pour les affaires les plus simples, il n’y a plus de garde à vue. L.P.B. : Juger est une chose mais appli- quer les peines en est une autre. Des personnes condamnées arrivent à se soustraire à l’incarcération et s’envolent dans la nature. Que faire face à cette faille ? A.S. : Nous venons de lancer une procédure pour retrouver les personnes qui nous paraissent les plus dange- reuses.

peine est instantanée : il y a un mandat de dépôt. L.P.B. : Combien de personnes sont sous le coup d’un transfert vers la maison d’arrêt après décision de jus- tice ? A.S. : Il y a 300 peines en cours de prison ferme. Elles se décom- posent ainsi : 150 personnes sont recherchées, 50 sont en cours de traitement et une cen- taine de peines sont transmises au juge dfapplication des peines en vue de leur aménagement. L.P.B. : Face à la surpopulation car- cérale, la justice peut-elle devenir plus clémente dans ses rendus ? A.S. : La réponse judiciaire est extrêmement forte si je prends l’exemple d’un vol àmain armée. Hier, quelqu’un a pris 6 mois fermes alors qu’il n’avait jamais été condamné : la violence quoti- dienne peut entraîner des procé- dures qui mènent à la détention. L.P.B. : Le sentiment d’insécurité n’a jamais été aussi élevé dans la capi- tale comtoise. Vous qui avez fait de la lutte contre les délinquances une de vos priorités,quel bilan tirez-vous alors qu’un nouveau braquage à main armé vient de se produire à Planoise ? A.S. : On peut être inquiet de ces augmentations de vols à main armée. Ce sont souvent des jeunes gens qui prennent des risques, pour les victimes, pour eux. Ces jeunes gens n’ont pas de barrières internes pour s’arrêter. Pour ce type d’agression, les réponses les plus fermes doivent être là ! L.P.B. : La jeunesse ne semble plus craindre la justice. Est-ce votre constat ? A.S. : Ceux qui ne connaissent pas la justice ont une appré- hension. En revanche, celui qui

L.P.B. : Selon vous, il n’y a pas de zone de non-droit à Besançon, mais seriez- vous favorable à l’installation de camé- ras de vidéo-surveillance alors même que la Ville de Besançon n’a pas vrai- ment tranché sur ce sujet ? A.S. : Oui, car cela permet de solutionner des affaires et faci- lite les investigations. Je n’ignore pas les débats que cela impose. L.P.B. : Avez-vous d’autres solutions pour rendre la justice plus ouverte envers le justiciable ? A.S. : Le témoignage sous X… que j’ai mis en place depuis que je suis ici. L.P.B. : Pour conclure, vaut-il mieux punir ou prévenir les délits ? A.S. : Une chose est claire : si vous enlevez toutes les affaires où la cause à un lien avec des stupéfiants, de l’alcool ou d’un état mental défaillant, vous aurez résolu bon nombre d’infractions ! Propos recueillis par E.Ch.

craindre des consé- quences ? Les effec- tifs vont-ils baisser ? A.S. : Au siège (magistrats et juges), au moins un poste a été per- du avec la ferme- ture du Tribunal d’instance de Bau- me-les-Dames.

“300 peines de prison ferme.”

Nous avons six vacances de pos- te de fonctionnai- re, dont un poste de greffière. L.P.B. : Que faut-il en conclure ? D’une justice à deux vitesses où les “petites affaires” ne seront jamais jugées ? A.S. : Cela veut dire que nous devrons faire des choix. Par exemple, nous avons décidé de réduire le nombre d’audiences pénales pour l’année 2012. Elles passeront de 16 à 13 par mois. L.P.B. : La justice réduit donc la voilu- re avec ce risque de laisser des fau- teurs de trouble dans la nature. A.S. : En matière pénale, la jus- tice va relativement vite. La moyenne des délais de traite- ment est de six mois. Nous cher- chons d’autres moyens de réponses pénales en utilisant le rappel à l’ordre, le classement sous condition, la composition pénale (l’intéressé accepte de payer une amende mettant fin aux poursuites), l’ordonnance pénale ou le plaidé coupable. Il y aura moins de transfert en audience. L.P.B. : Pouvez-vous évaluer l’impact de ces restrictions sur le délai de convocation devant un juge ? A.S. : Le délai d’audience qui était de 3 à 4 mois va passer à 6 mois. Du coup, des affaires en com- parution immédiate augmen-

Zoom Alain Saffar, son

parcours professionnel Alain Saffar est procureur de la République près le tribunal de Besançon depuis juin 2008 au terme dʼun parcours judiciaire qui a commencé en 1990, comme substitut du procureur de la Répu- blique de Nice (1990-1995). Il fut ensuite détaché dans le corps préfectoral à Mont-de-Marsan puis Strasbourg avant de revenir dans la sphère judiciaire comme substitut du procureur à Saint- Denis de la Réunion (1999-2003). Son premier poste de procureur de la République lui a été attri- bué à Beley (Ain), tribunal qui a fermé avec la réforme de la car- te judiciaire. De 2005 à 2008, il fut nommé à la direction des affaires criminelles comme sous-directeur de la justice pénale.

“Ces jeunes gens n’ont pas de barrières internes.”

L.P.B. : Vous avez pu les appréhender ? A.S. : Nous en avons retrouvé 35. Ce sont des infrac- tions soit de vio- lence ou de natu- re sexuelle. Pour les infractions les plus graves, l’exécution de la

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