La Presse Bisontine 125 - Octobre 2011

La Presse Bisontine n° 125 - Octobre 2011

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AIRE DE THISE

Ils viennent de toute la France

Rencontres sous les auvents des caravanes Il y a parfois de la méfiance de la part des gens de cette communauté à l’égard du visiteur. Mais quand le dialogue s’engage, les langues se délient.

A ire de grand passage à Thise, une fin d’après- midi. Les tables sont sor- ties. Les femmes s’affairent aux fourneaux. Elles préparent le repas sous les auvents des caravanes où sont aménagées des cuisines som- maires. Des enfants jouent dans le soleil couchant autour des machines à laver qui tournent à l’extérieur, bien calées sur des palettes de bois. Un jeune gar- çon bricole une arrivée électrique qui fonctionne mal, un autre rentre de la pêche dans le Doubs qui borde l’aire. Plus loin une jeune maman appuyée dans l’embrasure de la porte de sa

l’œil sa popote qui fume sur le réchaud à gaz. “Hier nous étions à Montbéliard. Nous resterons là une quinzaine de jours au maximum et puis nous reparti- rons. Nous sommes des gens du voyage dit-elle avec une certaine fierté. Notre vie, c’est la route.” Partir, mais pour aller où ? Elle ne le sait pas encore. Peut-être vers la vallée du Rhône. Avec l’augmentation des prix du carburant, beaucoup de ces familles de nomades se dépla- cent moins. Pour des raisons éco- nomiques, certaines abandon- nent petit à petit le voyage afin de se sédentariser, au grand dam des anciens qui redoutent que leur culture ne finisse par se dis- soudre dans le temps. Pascal vit désormais à Besan- çon presque huit mois de l’année. Le soir approche,comme d’autres hommes, il rentre du travail. “C’est dur en ce moment. La cri- se…” lâche le gaillard en des- cendant de sa camionnette.Alors que d’autres sont ferrailleurs, empailleurs de chaises, lui sillon- ne le Grand Besançon pour pro- poser aux particuliers des petits travaux d’élagage et de maçon- nerie. Il sonne aux portes pour

caravane raconte qu’elle a reçu la veille au soir la visite de S.O.S. Médecins pour son enfant mala- de. C’est un jour ordinaire dans un campement de gens du voya- ge avec ses va-et-vient. On y res- sent plus de laméfiance à l’égard du visiteur, le gadjo, que de l’agressivité. Mais les humeurs sont changeantes en fonction des situations. Paris, les Vosges, le Doubs, laDrôme et même la Cor- se, les occupants viennent de tou- te la France à lire les plaques d’immatriculation des maisons ambulantes aux jantes parfai- tement lustrées qui sont ici. “Nous sommes arrivés cematin” explique Maria en surveillant du coin de

vendre sa prestation de service avec plus ou moins de succès. Pascal paraît las de cette jour- née qui s’achève. L’avenir semble préoccuper cet homme qui sent bien qu’en se sédentarisant, il délaisse la grande famille des gens du voyage même s’il veut continuer à vivre en caravane. Il sait aussi que la sédentarisa- tion n’est pas un gage d’intégration et qu’il faudra plus que cela pour changer le regard des gens sur la communauté à laquelle il appartient.Une socié- té dans la société. “Pourtant, je suis Français. Je suis né en Fran- ce et je n’ai pas le droit de vote. Contrairement à vous,moi, je n’ai pas de papiers d’identité, mais un livret de circulation. Je ne suis rien” rappelle-t-il. Ce carnet, tous les gens du voyage sont censés en posséder un. Ils doivent le fai- re viser régulièrement par les autorités pour se déplacer libre- ment à travers l’Hexagone. Les associations qui luttent contre la stigmatisation de la commu- nauté des gens du voyage qui fonctionne pourtant avec ses propres codes, ses us et ses cou- tumes, qualifient ce livret com- me étant un fait de discrimina- tion. T.C.

Objectif du département du Doubs Mettre l’accent sur le volet social L e Conseil général du Doubs engage actuellement la révi- sion du schéma départemental d’accueil des gens du voyage qui a été mis en place en 2006. “Le but est de fai- re le bilan et d’identifier les points à renforcer” indique Éric Fai- vret, directeur de l’économie et des collectivités locales du Conseil général. Notre département compte 13 aires d’accueil (soit 296 places), 4 aires de grands passages (soit 300 places) et quelques terrains familiaux qui s’adressent à des familles en cours de sédentarisation. Côté équipement, le Doubs est dans les clous. 5,3 millions d’euros ont été investis par les collectivités locales et l’État pour aménager ces aires. “C’est pourquoi la révision du schéma se fait moins dans une logique d’équipement que d’accompagnement social” ajoute-il. L’accent devrait cependant être mis sur les terrains familiaux pour favoriser la sédentarisation des familles qui le souhaitent. Patrick Mila, le directeur de l’association Gadgé, y est favorable. “L’accueil sur les aires est totalement dépassé. Les voyageurs ne voyagent plus. Il ne faut plus raisonner en terme d’emplacement mais d’habitat. On se bat pour que dans les Plans Locaux d’Urbanisme des espaces soient réservés pour des terrains fami- liaux comme il y a des obligations pour les logements sociaux. Plutôt que de concentrer les gens sur des aires d’accueil au risque de créer des problèmes il serait préférable d’avoir deux terrains familiaux dans chaque commune.”

Les caravanes de Thise vont bientôt rejoindre la Malcombe.

COMMENTAIRE

Sédentaires et nomades

“L’enjeu est de trouver le moyen de vivre ensemble” Directeur de l’association franc-comtoise des gens du voyage-gadjé, Patrick Mila explique les enjeux à venir pour cette communauté qui est en pleine mutation.

toire. D’un côté leurs parents savent qu’ils doivent apprendre à lire et à écri- re, mais a minima pour préserver la cultureTzigane qui se transmet à l’oral. Par ailleurs, chez les gens du voyage, jusqu’alors il n’y avait pas d’adolescence. On passait de l’enfance à l’âge adulte auquel il faut gagner sa vie.Cette concep- tion des choses qui est en train de chan- ger ne laissait pas de place au collège. L.P.B. : Où en est-on dans le processus de sco- larisation de ces enfants en Franche-Comté sachant que différents dispositifs existent comme des camions-écoles qui sillonnent les départements ? P.M. : En Haute-Saône, en six ans, nous sommes passés de 20 % des enfants des gens du voyage scolarisés, à 100 % ! Il y a désormais quelques scolarisa- tion en collège et un début en lycée. Nous essayons de faire le même tra- vail dans le Doubs et dans le Jura. Depuis deux ans, un camion-école se déplace sur ces deux départements pour prendre en charge ces enfants. L.P.B. : Quel visage aura selon vous cette com- munauté dans dix ans ? P.M. : La communauté des gens du voya- ge est à la croisée des chemins. Jamais elle n’a été confrontée à un risque aus- si fort de disparition. Dans dix ans, la culture Tzigane ne sera pas la même. Elle ne doit pas nager à contre-cou- rant, mais dans le courant tout en essayant de rejoindre la berge. Cette communauté peut s’adapter au contex-

te actuel, comme elle a eu à le faire par le passé. Les gens du voyage ont été contraints parfois de se sédenta- riser à travers les siècles, comme ils le font aujourd’hui. Mais cela ne veut pas dire que dans quelques années ils ne reprendront pas la route. L.P.B. : Les gens du voyage sont rarement les bienvenus dans les communes. La cohabita- tion est difficile avec les autochtones qui les assimilent parfois à des délinquants. De quels outils disposez-vous pour créer des espaces de dialogue ? P.M. : Il y a des délinquants dans ces peuples comme dans les peuples de sédentaires. Lorsqu’un peuple est en difficulté, alors oui il y a plus de délin- quance. Des voyageurs se sentent per- sécutés par le monde actuel, ils n’y voient pas d’espoir, ce qui génère de la violence. Le fait de les regrouper dans des aires d’accueil comparables à de nouvelles Z.U.P. ne facilite pas les choses. Il y a toujours cette crainte du séden- taire vis-à-vis du voyageur, la crainte du “voleur de poules”. Toute la diffi- culté est d’essayer d’apporter des solu- tions à ces gens dont on ne connaît pas le mode de vie. On fait fausse route en considérant qu’il y a d’un côté une société bonne et de l’autre des sau- vages qui méritent d’être éduqués. Il faut parvenir à ce que chacun regar- de chez l’autre ce qu’il y a de bien et l’accepte. Le but est de trouver le moyen de vivre ensemble. Propos recueillis par T.C.

L.P.B. : De quoi vivent les gens du voyage ? P.M. : Ceux qui font de la vannerie ou de l’empaillage de chaises sont désor- mais à la marge car ces activités néces- sitent de beaucoup voyager. Compte tenu des difficultés économiques, ils voyagent moins. Beaucoup se sont tour- nés vers d’autres métiers de service comme l’élagage, le jardinage, le ramo- nage ou l’entretien de toitures. À quelques exceptions près, tous ces gens sont déclarés, et sont installés en auto- entrepreneurs pour exercer légalement leur activité. Ils sont entrés majori- tairement dans le droit commun. Nous travaillons actuellement avec le Conseil régional sur une formation qualifian- te pour les gens du voyage afin qu’ils puissent créer leur micro-entreprise. L.P.B. : Pourquoi dans cette communauté les enfants quittent l’école à la fin du primaire ? P.M. : Le peuple Tzigane a une culture orale. Ces gens sont dans un monde où ils sentent une pression pour les assi-

L a Presse Bisontine : Qui sont les gens du voyage ? Patrick Mila : Par définition, ce sont des gens dont l’activité dépend du voyage. Ce terme générique englobe les Tzi- ganes, les bateliers autant que les Cir- cassiens. Ceux dont vous parlez sont les Tziganes qui se répartissent en quatre ethnies : les Gitans, les Manouches, les Roms et les Yéniches. Mais je rappelle que les Roms Tziganes n’ont rien à voir avec ceux désignés comme étant des Roms par la com- mission européenne, et qui sont des réfugiés économiques originaires de Bulgarie ou de Roumanie, arrivés en France au début des années 2000. L.P.B. : Les gens du voyage ont-ils ou non la nationalité française ? P.M. : Les Tziganes sont arrivés en Fran- ce en 1430. Certaines familles ont donc des racines françaises beaucoup plus anciennes que la plupart d’entre nous. Oui, ces gens ont la nationalité fran- çaise. Mais ils “jouissent” d’une légis- lation qui leur est propre. Par exemple, ils n’ont pas de carte d’identité mais un carnet ou un livret de circulation qu’ils doivent faire viser régulièrement par les services de gendarmerie.Actuel- lement, ce système est remis en cau-

se au niveau national, car le livret est considéré comme étant discriminatoi- re. Le problème, et c’est toute l’ambiguïté du propos, c’est que ce livret est aus- si le moyen pour les gens du voyage de marquer administrativement leur appartenance à cette communauté. Ces populations ont également le droit de vote. En revanche, pour le faire valoir, une personne doit être déclarée comme résidant dans une commune depuis plus de trois ans. L.P.B. : Ces communautés semblent aussi pro- fondément attachées à la religion. Pouvez- vous l’expliquer ? P.M. : Chez les gens du voyage, la reli- gion est très importante, mais elle génère des modes de vie différents. D’un côté, il y a les catholiques qui se déplacent par petits groupes de cinq ou dix caravanes et qui participent à de grands rassemblements comme celui des Saintes-Marie-de-la-Mer. Ils s’installent dans les aires d’accueil. Puis il y a les évangélistes protestants, qui se déplacent par grands groupes d’une centaine de caravanes. Ce sont les grandes missions auxquelles on assiste pendant la période estivale. Les aires de grand passage sont faites pour eux.

miler et les rendre sédentaires.Cela pas- se par l’école. Or, quand les enfants vont en classe, ils apprennent une cul- ture écrite qui est la nôtre, et ils sortent ainsi de la cultureTzi- gane. L’enjeu identi- taire est là. Ces enfants reçoivent un discours contradic-

“La communauté est à la croisée des chemins.”

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