La Presse Bisontine 125 - Octobre 2011

22 DOSSIER

La Presse Bisontine n° 125 - Octobre 2011

PLANOISE

La prise d’otages en maternelle Lundi 13 décembre 2010, 8 h 30… Un jeune homme de 17 ans pénètre dans la classe de maternelle de Nathalie Roffet. À l’issue d’une matinée interminable, la prise d’otages prend fin sans victime. L’institutrice a su éviter le pire.

Le rappel des faits Il est 8 h 30 ce lundi matin. Comme toutes les autres maternelles de Besan- çon, l’école Charles-Fourier fait sa ren- trée. Pour les 21 élèves de petite sec- tion, ce ne sera pas un jour comme les autres. Enmême temps que les enfants, un jeune homme de 17 ans entre dans la classe,ordonne la fermeture des portes et l’obturation des fenêtres. Armé de deux sabres, un sac au dos, il séquestre toute la classe. Après plus de quatre heures d’angoisse, au moment de ser- vir des repas aux bambins, les hommes du G.I.P.N. maîtrisent le forcené. Il n’y aura ni victime ni blessé, mais ce jour- là restera gravé à jamais dans l’esprit des familles, du personnel enseignant et technique de l’école, et en premier lieu de la maîtresse qui par son sang- froid, a certainement contribué à évi- ter le pire.Nathalie Roffet, toujours dis- crète, a accepté de répondre aux questions de La Presse Bisontine.

INTERVIEW L’institutrice accepte de témoigner “Ce sont des choses qu’on ne peut pas oublier”

L a Presse Bisontine : Comment avez- vous géré cette matinée interminable ? On vous avait senti vraiment calme. Nathalie Roffet : Dans l’urgence, il est clair qu’il fallait avoir les épaules solides mais on est dans l’improvisation totale, on ne pense qu’aux gamins de la classe. À tel point qu’à aucun moment de la matinée je n’ai pensé à ma famille et à mes propres enfants. La priorité, c’étaient les gamins de la classe. En fin de mati- née, quand j’ai vu les hommes du G.I.P.N. sur le toit de l’école, je me suis dit que ça prenait des propor- tions énormes alors que jusqu’ici, nous étions complètement coupés de l’extérieur. J’ai alors beaucoup pen- sé aux familles de ces gamins. Une fois que tout a été fini, paradoxale- ment, c’est là que ça a été le plus com- pliqué à gérer. L.P.B. : Pour vous ? N.R. : Oui parce que j’ai eu instanta- nément une image de super-maîtresse, presque d’héroïne, mais je ne me recon- naissais pas du tout dans les super- latifs que les gens employaient à mon sujet.

Nathalie Roffet n’a rien évi- demment rien oublié de ce jour pas comme les autres. Elle attend désormais le dénouement de l’action judi- ciaire intentée par l’Éducation Nationale et les familles à l’encontre du jeune déséquili- bré pour tourner la page, une fois pour toutes espère-t-elle.

Nathalie Roffet est en poste depuis début septembre à l’école maternelle des Vieilles-Perrières.

dans ce scénario qui m’était imposé. À un moment donné, il fallait me lais- ser tranquille. L.P.B. : Qu’attendez-vous aujourd’hui ? N.R. : J’attends surtout que les familles, celles qui ont porté plainte notam- ment, voient que la justice va passer. Il faut que les familles entendent que ce gamin a dérapé, qu’elles puissent aussi passer à autre chose. Mais être témoin dans une telle affaire, je ne m’y suis pas préparée non plus, je redoute cet instant forcément. J’ai hâte que tout cela soit classé. L.P.B. : Quand la ville ou le préfet vous ont décorées, vous et Samia qui était également présente dans la classe, vous avez joué pro- fil bas. Pourquoi ? N.R. : Parce que nous remettre une médaille c’était encore une fois nous mettre “en tête de gondole” et on ne le voulait pas. Des paroles auraient suffi mais des médailles, pourquoi ? J’avais aussi peur de la récupération politique. L.P.B. : Et la pression des médias, comment l’avez-vous subie ? N.R. : C’était l’horreur. Certains m’ont pistée jusqu’en bas de chez moi alors que je n’avais pas encore revu mes proches. Cette affaire a pris une tour- nure disproportionnée.Toute ma famil- le savait que c’était moi à l’intérieur de la classe alors que pendant ce temps-là j’étais juste l’instit qui essayait de gérer ce truc bizarre. La pression était déjà énorme, alors heu- reusement que ça s’est bien fini cet- te histoire. L.P.B. : Quelles réactions ont eu les gens à votre égard ? N.R. : J’ai reçu plus de 200 courriers et mails de toute la France, on appelait sans arrêt à la maison, j’étais assaillie de toutes parts. Tout cela m’a beau- coup touché mais à un moment don- né, j’ai eu envie de quitter le pays. C’était beaucoup trop. Après tout cela, on est sur le qui-vive en permanen- ce. Cette mise en lumière sur moi, j’étais gênée par rapport au jeune homme et à sa famille. Je pense et j’espère que ça va enfin se tasser. L.P.B. : Votre vocation d’enseignante n’a pas été ébranlée par cet épisode ? N.R. : Pas du tout. On est toujours ame- né à bouger dans notre métier. À Pla- noise depuis six ans, j’étais arrivée en bout de course et je suis cette année aux Vieilles-Perrières, ça me convient. L.P.B. : Vous tournerez un jour la page ? N.R. : Ce sont des choses qu’on ne peut pas oublier. Ce n’est pas possible… C’est une matinée qui restera à jamais incroyable.

L.P.B. : Quel regard portez-vous sur le jeune auteur de la prise d’otage qui devrait être jugé l’an prochain ? N.R. : Il s’est mis lui-même dans un truc de fou et il a été tout de suite dépassé par les événements. Je le voyais s’enfoncer au fil des minutes. J’ai presque de l’empathie pour ce jeune qui a commis quelque chose de grave. C’était très difficile de gérer ce gamin qui n’allait pas bien du tout. Il portait sur lui une telle détresse ! Je pensais aussi beaucoup à sa famil- le. En même temps, il ne fallait pas que j’engage une conversation avec lui. On a très peu parlé, mais il y a eu beaucoup de regards. Apparem- ment, ça l’a calmé. L.P.B. : Quelle a été votre attitude avec les 21 élèves âgés de trois et quatre ans ? N.R. : Avec eux, je parlais tout le temps, je les obligeais toujours à me regar- der pour ne pas qu’ils voient ce qui se passait à côté. C’est bien simple : j’ai fait le “clown” pendant quatre heures et demie, je jouais un jeu. Il suffisait qu’il y en ait un qui pleure et c’était la catastrophe. C’est pour cela que j’ai fait sortir les plus inquiets en premier. L.P.B. : En voulez-vous aujourd’hui à ce jeu- ne forcené ? N.R. : Ce n’est pas forcément à lui que j’en veux le plus. Plutôt à tous ceux autour de lui qui l’ont laissé faire ça, que ses problèmes n’aient pas été détectés avant. Je sais qu’aux yeux des parents des élèves, je l’excuse trop. Certaines familles avaient des mots très violents à son encontre et je ne pouvais pas entendre ça. Tout cela a fait que je n’ai pas pu rester longtemps à l’école après cet événe- ment. L.P.B. : Les choses ne se sont donc pas apai- sées après le départ des caméras et des micros ? N.R. : Pas du tout. Je pensais naïve- ment qu’au retour des fêtes de fin d’année, on serait passé à autre cho- se. Mais c’était encore pire : l’inquiétude des parents était enco- re plus vive à la rentrée de janvier. Bien vite, je ne me suis plus du tout sentie à ma place, j’avais l’impression que le regard des gens sur moi avait changé. Et aujourd’hui encore je sens parfois que les gens ne me regardent plus pareil. Je suis encore à dire aux gens : “Oui, c’est moi l’instit de la pri- se d’otages.”Au bout de trois semaines, j’ai donc quitté Planoise et j’ai été remplaçante pour le reste de l’année. Je ne pouvais plus gérer ma classe, les parents étaient devenus trop enva- hissants. Je n’étais plus une ensei- gnante, il fallait que je sois avocate, psychologue, traductrice… ça ne pou- vait plus durer. Même si j’adore ces familles, je ne me reconnaissais plus

La prise d’otages s’était terminée sans effusion de sang peu avant 13 heures (photo macom- mune.info).

POINT DE VUE Comment un journaliste traite les faits-divers “Ne pas tomber dans l’affectif” Le journaliste est souvent aux premières loges d’un crime ou d’un délit. Auteur du livre “Incroyables faits-divers en Franche- Comté”, Céline Trossat parle de ce métier si particulier.

L a Presse Bisontine :Vous couvrez les faits-divers et assistez à de nombreux procès. Vous est-il arri- vé de nouer une amitié avec une victime ou un prévenu ? CélineTrossat (journaliste à l’hebdomadaire La Voix du Jura et auteur du livre “Incroyables faits-divers en Franche-Com- té”) : Je traite les faits-divers depuis un an. Une affaire m’a touché et posé un souci sur le plan émo- tionnel : c’est celle de Jonathan Vantillard, jeune garçon assassi- né dont le ou les meurtriers cou- rent toujours. J’ai rencontré sa

nombreuses réflexions,comme“jour- naliste fouille-merde” (sic). On peut dire que les faits-divers plaisent à une population, pas à une autre. Pour celui qui lit, c’est en effet un peu du voyeurismemais cela concer- ne et peut toucher n’importe qui. C’est pour cette raison que cela se vend bien. L.P.B. : Une fois votre plume posée, vous broyez du noir… C.T. : Ce genre journalistique est un apprentissage. L.P.B. : Pourquoi les noms de personnes condamnées sont parfois inscrits dans le journal, d’autres fois non ? C.T. : Pour protéger l’identité de la personne. À partir de six mois fer- me, j’écris toujours le nom et pré- nom du coupable. L.P.B. : Avez-vous facilement accès aux dossiers ? C.T. : C’est une question de confian- ce et souvent de personne et non pas une question d’uniforme. On travaille aussi bien avec la police que la gendarmerie.

maman et sa sœur. Le témoignage a été très fort.Mais il faut faire abstraction de tout cela car nous sommes là pour rap- porter des faits. Il faut éviter de tom- ber dans l’affectif. L.P.B. : Votre métier de “faits-diversière” est-il une forme de voyeuris- me ? C.T. : J’ai déjà eu de

L.P.B. : Dans votre livre, quels délits sont évoqués ? C.T. : Dans le Doubs, je ne pouvais pas passer à côté de la tuerie de Luxiol (14 morts), l’affaire du bar- bare de Besançon ou encore deux mères de famille sauvagement tuées dans le Pays deMontbéliard. Propos recueillis par E.Ch. La journaliste Céline Trossat auteur du “Incroyable faits- divers en Franche-Comté”.

“Le genre fait vendre.”

Propos recueillis par J.-F.H.

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