La Presse Bisontine 125 - Octobre 2011

La Presse Bisontine n° 125 - Octobre 2011

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CUSSEY-SUR-L’OGNON Kelly Maitrepierre “Aujourd’hui, je suis très heureuse” C’est une jeune femme de 24 ans, épanouie, souriante, mère de deux enfants qui s’est présentée à nous. Kelly Maitrepierre tente de tourner la page sur l’agression terrible dont elle a été victime à Saint-Vit en 2002. Elle vient d’écrire un livre dans lequel elle se raconte.

K.M. : En effet, j’ai perçu environ 100 000 euros de dommages et inté- rêts. À 18 ans, quand j’ai touché cette somme j’ai pété un plomb. J’étais naï- ve. J’ai beaucoup donné d’argent. J’ai déprimé dans l’alcool et la drogue, j’ai tout dépensé, j’ai fait des erreurs. Je voulais profiter. J’avais besoin d’exploser dans ma vie. Aujourd’hui, je regrette cela évidemment. J’en ai tiré les leçons. Quand je suis tombée enceinte, j’ai déci- dé de garder mon enfant, c’était pour moi le seul moyen de sortir de tout cela. Et je m’en suis sortie. Maintenant je sais où je vais. L.P.B. :Vous connaissez la véritable raison pour laquelle ces deux jeunes filles qui étaient vos amies vous ont agressée ? K.M. : Non je ne la connais pas. Nous n’avons rien appris au procès. Ce qui est certain, c’est qu’elles n’avaient aucu- ne pitié. C’était prémédité. L.P.B. : Ce fait-divers sordide a été très média- tisé. Des médias vous ont-ils contactée ensui- te pour que vous racontiez votre histoire ? K.M. : Oui, j’ai été contactée par deux émissions de télévision et en particu- lier par Jean-Luc Delarue. C’était il y a quelques années. J’ai refusé car je n’en voyais pas l’intérêt. Je voulais

de famille pour elles. Si je devais les croiser un jour, je passerais outre. Je fais tout aujourd’hui pour m’en sortir. Elles ont voulu me tuer, elles ont vou- lu m’achever, j’ai maintenant ma revanche à prendre sur la vie. J’ai des projets qui je l’espère se réaliseront comme ce livre que j’aimerais voir édi- ter. Je crois en ma petite étoile… L.P.B. : Pensez-vous que les gens se souvien- nent de votre histoire ? K.M. : Cela fait seulement neuf ans. Les gens n’ont pas oublié ce fait-divers qui a été très médiatisé. Beaucoup m’en parlent. Ils s’en souviennent comme si c’était hier. L.P.B. : Et vous ? K.M. : J’ai tout en tête, les 21 coups de couteau, l’étranglement. J’étais mécon- naissable. Ce qui est curieux, c’est que je ne me souviens pas de la douleur. Le pire moment, c’était quand j’étais dans cette cave noire allongée dans la boue. Je me vidais de mon sang. Je connais- sais cette maison abandonnée et je savais que personne allait me retrou- ver là. Alors je me suis recroquevillée sur le sol en me disant “Kelly tu vas mourir”. Je voulais m’endormir pour ne pas me voir mourir. Cette cave est mon pire souvenir. Si ces filles avaient eu de l’essence, elles m’auraient brû- lée vive. Quand je raconte cela aux gens, ils sont traumatisés. Je ne me rends pas compte à quel point ce que j’ai subi est grave. Je raconte mon histoire com- me si c’était celle de quelqu’un d’autre. L.P.B. : On imagine que le traumatisme est encore profond en vous ? K.M. : J’ai une perte de sensibilité dans la main gauche. Je n’ai confiance en personne. J’ai très peur du noir. Je m’endors avec la télévision. Franche- ment, j’ai la trouille de rester seule dans une maison. Parfois j’ai des pertes de mémoire, j’ai du mal à me concen- trer. L.P.B. : Allez-vous encore à Saint-Vit ? K.M. : Bien sûr, je vais souvent à Saint- Vit. Ma mère vit là-bas. Elle m’avait proposé que l’on déménage, car de ma fenêtre de chambre je voyais la mai- son où j’ai été torturée. Mais je n’ai pas voulu. L.P.B. : Lors de notre dernière rencontre il y a cinq ans,vous envisagiez de partir dans le Sud. Vous avez abandonné ce projet ? K.M. : Je voulais partir dans le Sud car j’étais enceinte. Je redoutais la réac- tion de mes parents. Finalement, m’a mère m’a beaucoup aidée et je suis res- tée. L.P.B. :Avez-vous raconté votre histoire à votre fille aînée ? K.M. : A l’aînée oui, je lui ai expliqué mais sans entrer dans les détails. Elle m’a bombardée de questions. Je lui raconterai plus tard ce qui m’est réel- lement arrivé. L.P.B. : Quel genre de maman êtes-vous ? K.M. : Je suis une mère très protectri- ce. Je me dis qu’il peut toujours arri- ver quelque chose à mes filles. Je ne les quitte jamais des yeux. L.P.B. :Vous évoquez des problèmes financiers. Pourtant vous avez été dédommagée. Qu’avez- vous fait de cet argent ?

L a Presse Bisontine : Vous avez 24 ans, vous êtes maman de deux enfants, quel chemin parcouru en neuf ans ! Kelly Maitrepierre : J’ai un B.E.P. sanitai- re et social. Pendant trois ans, j’ai tra- vaillé aux côtés des personnes âgées. Puis je me suis dit que j’avais la capa- cité de faire autre chose.Alors j’ai quit- té mon travail pour faire une forma- tion et trouver un emploi dans le tertiaire avec des horaires un peu plus compa- tibles avec ma vie de famille. Ma for- mation arrive à terme. Dans trois mois, j’aurai un stage en entreprise à la sui- te duquel j’espère être embauchée. L.P.B. : Êtes-vous heureuse maintenant ? K.M. : Oui je suis très heureuse avec mes deux petites filles de cinq ans et quinze mois, mon compagnon à qui je dois beaucoup. Cela fait quatre ans maintenant que j’ai trouvé mon équi- libre. Mon rêve est d’acheter une peti- te maison loin de la ville pour y vivre avec mes filles, d’avoir un travail. Je ne demande pas le luxe, mais de vivre normalement, modestement avec ma famille. L.P.B. : Vous venez de terminer l’écriture d’un livre dans lequel vous racontez ce qui vous est arrivé. Pourquoi ce livre maintenant ? Fait-il partir de votre processus de reconstruction ? K.M. : Il m’a fallu un an pour l’écrire. L’envie m’a pris comme ça, un soir, alors que j’étais devant la télévision. Je pen- se que je n’avais pas totalement tour- né la page sur mon histoire. Ce travail d’écriture m’a fait beaucoup de bien. Je l’ai fait sans doute pour me libérer mais aussi dans l’espoir qu’il soit édi- té. Je veux que mon histoire soit ren- due publique. Je veux pouvoir la valo- riser, qu’elle devienne un atout pour moi. Qui sait, ce livre pourra peut-être aussi m’aider à sortir de mes problèmes financiers. Pour l’instant, il n’a pas de titre. J’en discuterai le cas échéant avec un éditeur. L.P.B. : Les deux filles qui vous ont agressée sont libres aujourd’hui.Vous y pensez parfois ? K.M. : Je ne gâcherais pas toute ma vie Le rappel des faits. Saint-Vit, le 16 mars 2002. Kelly, 14 ans, est torturée par deux de ses copines âgées de 13 et 14 ans dans une vielle bâtisse rue de la Libéra- tion que les trois filles avaient l’habitude de fréquenter. Elles boi- vent quelques bières. La plus âgée assomme Kelly, lui taillade de visa- ge, la gorge et tente de l’étrangler. Ses poignets sont coupés avec un couteau de cuisine. Kelly est alors traînée dans la cave du bâtiment. À bout de force, elle réussira à s’extraire des lieux après qu’une de ses tor- tionnaires soit revenue sur place avec son petit ami, laissant la por- te de la cave ouverte. Elle et son aco- lyte seront mises en examen pour “tentative de meurtre avec actes de barbarie et de torture.” Dans un état grave, Kelly sera hospitalisée plu- sieurs jours. Elle a échappé de peu à la mort. La jalousie et le satanis- me sont deux raisons qui ont été avancées pour tenter d’expliquer ce déchaînement de violence. Ce fait- divers sordide est un des plus mar- quants de ces dernières années. x

Kelly Maitrepierre a retrouvé son équilibre à Cussey-sur-l’Ognon.

qu’on m’oublie. Je ne voulais plus entendre parler de cette histoire.Main- tenant j’ai pris du recul, je suis adul- te, je me sens prête à témoigner tout en sachant que j’aurais préféré qu’il ne m’arrive rien. Si cela peut m’apporter quelque chose de bénéfique et aider par la même occasion d’autres per- sonnes qui se sont fait agresser, alors

tant mieux.

L.P.B. : À la fin de votre livre vous vous adres- sez aux adolescents. Pourquoi ? K.M. : Je m’adresse aux jeunes. Je leur dis qu’il ne faut pas juger trop vite ses parents, car on ne sait pas toujours ce qu’ils ont vécu. Propos recueillis par T.C.

POLICE “Le barbare” de Besançon confondu au bout de 16 jours “Nous avons écarté un prédateur” Enquêteur à l’époque des faits, Fabrice Chaligny raconte comment la Police a appréhendé le jeune homme de 19 ans qui a torturé et violé une étudiante bisontine en 2004, la laissant pour morte au pied d’un escalier.

barbare” deux jours après l’acte de torture. “Nous avions procédé à une première vague d’interpellations en auditionnant 16 personnes de couleur noire (N.D.L.R. : la victime avait pu don- ner un descriptif). Il en faisait par- tie. 30 policiers étaient mobilisés. Certains se sont proposés sur la base du volontariat pour élucider

S ept ans après, Besançon garde en mémoire cette affaire rendue tristement célèbre par son degré d’horreur et de sauvagerie. Chef de la brigade des mœurs et des mineurs à l’époque en 2004, l’enquêteur Fabrice Charligny - aujour- d’hui commandant adjoint en chef de la sûreté départementale à la Police Nationale - revient sur le déroulé de l’enquête qui conduit son équi- pe à confondre l’agresseur. Le 22 octobre 2004, soit 17 jours après les faits, la Police Nationale arrête Kaled Z. Un laps de temps assez court mais suffisant pour que l’homme agresse entre-temps une autre dame dans le quartier de Planoise. “Ce délai serait aujourd’hui réduit car nous disposons d’un fichier A.D.N. net- tement plus performant” relate Fabrice Charli- gny, dont l’équipe avait resserré l’étau sur “le Le rappel des faits : Dans la nuit du 4 au 5 octobre 2004, vers 21 h 30, Kaled Z. croise la route d’une étudiante de 23 ans,non loin de la gareViotte.Il fait nuit,l’endroit est désert. L’homme d’origine Mahoraise âgé de 19 ans la pousse brutalement dans un esca- lier de pierre. La violence de la chute brise la colonne vertébrale de la jeune femme. Totale- ment hermétique aux cris de douleur de sa vic- time, il la traîne dans un bosquet avant de la bâillonner. Là, il la viole à plusieurs reprises alors qu’elle est devenue paraplégique. Il la lais- se pour morte, vole sa carte bancaire, et revient la violer. Ce n’est qu’à 8 heures qu’un passant découvrira la jeune femme,en état d’hypothermie. Aujourd’hui, la victime est paralysée et ne vit plus à Besançon.

“30 enquêteurs mobilisés.”

cette affaire” se remémore le policier. Selon lui, les Bisontins se sont montrés coopérants : “Cher- cher des hommes de couleur noire paraissait stig- matisant. Mais avec les circonstances, les per- sonnes que nous interrogions comprenaient” dit-il. Ville tranquille, Besançon prenait conscience que ce genre de drames ne se résumait pas aux grandes villes. “Un sentiment de paranoïa gagna même la ville alors que le quartier de la gare n’est pas un coupe-gorge” ajoute le commandant adjoint. Confondu grâce à l’utilisation de la carte bancai- re, du parfum qu’il portait, des témoignages, le Mahorais avouera plus tard. Il répondra devant la cour de viols avec tortures ou actes de barbarie ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. Il écopera de la prison à perpétuité assortie d’une peine de 22 ans et un suivi socio- judiciaire. La victime a dû affronter plusieurs fois son bourreau. Elle a réussi à témoigner. Quant aux policiers qui ont suivi l’affaire, la “satisfaction d’avoir éludé l’affaire a été un car- burant anti-stress” disent-ils tout en pensant à cette jeune femme détruite. Les policiers ont éga- lement le sentiment “d’avoir écarté un prédateur de la société.” E.Ch.

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