La Presse Bisontine 123 - Juillet-Août 2011

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 123 - Juillet-août 2011

5

François Marcot,

NOMINATION Musée de la Résistance Débat autour de la nouvelle conservatrice allemande Symbole de paix pour les autres, affront pour les autres, l’arrivée d’une jeune allemande à la tête du musée de la Résistance de Besançon suscite la controverse. Réactions et commentaires.

président de l’association des amis du musée et Pier- re Rolinet ancien déporté, se félicitent de l’arrivée d’une

Allemande à la tête du musée de la Résistance.

D epuis quelques semaines, ce qui ali- mente la controverse, ce n’est pas le fait que le nouveau conservateur du musée de la Résistance de Besançon soit une femme de quarante ans. Ce qui fait débat au sein de la famille des anciens résistants et des déportés, ce sont ses origines. Gaby Sonna- bend estAllemande, et elle pren- dra ses fonctions début octobre. “ Si ma mère était encore de ce monde, je suis sûr qu’elle serait ravie de cette idée. Elle a tou- jours pensé que les jeunes géné- rations n’étaient pas respon- sables des agissements de leurs pères” estime Jean-Paul Lora- ch, le fils de Denise Lorach, la fondatrice de ce musée. Sa nomination va dans le sens d’une Europe fédérée et unie qui se réveille en paix depuis soixante-cinq ans. Les frontières sont tombées,mais pour un cer- tain nombre de ceux qui ont souffert du nazisme, l’arrivée d’une Allemande à la tête du musée de la résistance est un

pense que cette question aurait mérité un débat, alors seulement je me serais plié à une décision collective.” PhilippeMathieu, le directeur de la Citadelle, com- prend que ce choix puisse cho- quer des gens. “ Mais ce n’était pas le but” dit-il. Lorsque laVil- le a lancé l’appel à candidatures, elle s’est interrogée sur l’opportunité d’ouvrir également le recrutement à desAllemands en sachant qu’une telle décision pourrait susciter des réactions.

affront. Qu’importe son âge et son passé. “ Je suis outrée. Ils auraient pu attendre cinq ans aumoins que l’on soit tousmorts. Cette femme a beau être jeune et n’avoir pas connu la guerre, par respect pour ce que nous avons pu vivre, ils auraient pu attendre. Car il y a unmur entre nous et les jeunes générations. Ce mur est celui de la déporta- tion” s’offusque une femme dont le mari été déporté. Depuis la guerre, elle n’a eu le courage de retourner qu’une seule fois en Allemagne, au nom du souve- nir, et n’a jamais pardonné les tortures infligées à son époux et aux autres. “ Nous sommes d’autant plus touchés que nous avons été mis devant le fait accompli” déplore BernardWeil, 93 ans, ancienmembre des ser- vices spéciaux de la France Libre. Il ajoute : “C e qui me trouble dans cette affaire, c’est d’avoir appris cela par la rumeur publique, comme s’il y avait quelque chose à cacher. Je déplo- re que personne n’ait pris un minimum de précautions. Je

qu’ils n’oublient pas. Même meurtri, il est toujours resté ouvert à l’Allemagne, décidé à ne pas faire l’amalgame entre la cruauté du nazisme et un pays voisin qui aurait lui aus- si à se reconstruire et à assu- mer ces heures sombres. “ Mes enfants faisaient allemand pre- mière langue au lycée” lance-t- il sur le ton de la boutade. Pier- re Rolinet n’a pas cultivé l’amertume après la guerre. “ Nous, l’Europe, nous l’avons construite dans les camps. Il y avait 37 nationalités au Stru- thof. Il faut avoir un but dans la vie et le but c’est de vivre en paix. Pour vivre en paix, il fal- lait se dire que les Allemands n’étaient pas tous des nazis.” L’ancien déporté ne tire pas un trait sur l’histoiremais en ayant gardé une main tendue vers l’Allemagne, il a œuvré pour le “ plus jamais ça.” T.C.

ne peut rien contre les passions. Du point de vue de la raison, nous sommes 70 ans après le début de la guerre. Trois géné- rations plus tard, penser que c’est une citoyenne allemande qui va participer à une entre- prise collective dans laquelle on dénonce le nazisme et on vante l’idéal humaniste de la Résis- tance, c’est justement une forme de victoire des résistants. Nous sommes tournés vers l’Europe et nous devons nous donner une histoire commue fondée su la mémoire.” Résistant et déporté à l’âge 20 ans au Struthof, Pierre Rolinet, 89 ans aujourd’hui, travaille lui aussi dans cet esprit d’ouverture. Il se félicite de l’arrivée de Gaby Sonnabend aumusée. Pourtant, il n’a pas oublié la souffrance des camps.Président des anciens du Struthof, il est le premier à témoigner et à faire partager son histoire aux jeunes pour

phie d’ici 2015.“ Nous avons reçu une quarantaine de dossiers. Quatre ou cinq candidats ont été convoqués pour un entretien. Il s’est avéré que c’est une Alle- mande qui était la plus compé- tente pour le poste. Avec elle, nous espérons intégrer des connaissances historiques sur plusieurs sujets et apporter un nouveau regard sur cette pério- de de souffrance. Ce regard vu par une Allemande dans tout le processus est très important. Il faut y voir une volonté de s’ouvrir au point de vue de l’autre.” C’est sans doute sous cet angle de la tolérance qu’est perçue cette nomination par les jeunes géné- rations. François Marcot, pro- fesseur d’histoire à l’Université et président de l’association des amis du musée de la Résistan- ce, comprend lui aussi les pas- sions qui s’expriment autour de ce sujet, mais il faut les dépas- ser pour construire l’avenir.“ On

“ Cela a été mûri, réfléchi, et pensé dans une volonté de construire la paix. Cet état d’esprit est aussi un objectif fonda- teur de l’Unesco” poursuit Philippe Mathieu. La Ville a sauté le pas pour le symbole et par- ce que cela corres- pondait aussi à un souhait de déve- lopper une nou- velle muséogra-

“Cela a été mûri, réfléchi.”

Made with FlippingBook Learn more on our blog