La Presse Bisontine 123 - Juillet-Août 2011

ÉCONOMIE

La Presse Bisontine n° 123 - Juillet-août 2011

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BÂTIMENT Le nouveau président de la fédération “Le phénomène des prix bas a atteint une limite”

L La Presse Bisontine : Le bâtiment et les travaux publics sont-ils sortis de la cri- se ? Pierre Genzi : Je ne pense pas qu’on ait encore sorti la tête de l’eau. Les trois dernières années n’ont pas été bonnes. La reprise semble plus marquée dans l’industrie qui est en train de se redon- ner un outil de travail, un pont de tré- sorerie mais l’investissement du clos couvert n’est pas encore à l’ordre du jour pour les entreprises industrielles. Si bien que notre secteur d’activité n’a pas encore redémarré. L.P.B. : L’inquiétude demeure ? P.G. : J’annonce que 2011 sera encore difficile, c’est clair. Avec d’autres fac- teurs comme l’évolution des taux d’intérêt, la croissance limitée de la France, des dispositifs fiscaux en bais- se et l’O.C.D.E. qui se met à contester le principe de la T.V.A. à 5,5 %, les signes ne sont pas positifs.Nous n’avons pas encore sorti la tête de l’eau mal- gré une légère amélioration du sec- teur du logement. Ce qui nous inquiè- te surtout, c’est la situation financière des entreprises. Plusieurs entreprises du Doubs ont mis la clé sous la porte depuis le début de l’année. L.P.B. :Vous évoquez le logement,qui a été pous- sé par certains dispositifs comme Scellier : ce secteur d’activité a-t-il vraiment redémarré ? P.G. : Entre le 31 mars 2010 et le 31 mars 2011, 3 450 logements ont été autorisés dans le Doubs (permis de construire) et 3 628 ont commencé. C’est une augmentation de 27,6 %. Concernant les locaux industriels, com- merciaux et de bureaux, 216 000 m 2 ont été autorisés, soit + 12,5 %, et 164 500 ont démarré, soit + 7,2 %. L’activité a certes redémarré mais on sent bien que les investisseurs sont frileux.Malgré des permis de construi- re autorisés, tous les chantiers n’ont pas démarré. Autre élément : nous sommes dans une année préélectora- le. Dans ces périodes-là, les investis- seurs sont dans l’attentisme, ils atten- Doubs. L’année 2011 ne serait pas encore celle de la reprise dans les métiers du bâtiment. Pierre Genzi, entrepre- neur à Serre-les-Sapins, vient de prendre ses fonctions à la tête de la Fédération Française du Bâtiment et des T.P. du

Pierre Genzi

succède au Pontissalien Alain Boissière à la tête de la F.F.B. du Doubs.

dent de voir ce qui est susceptible de se passer, à quelle sauce ils vont être mangés. La F.F.B. prépare un livre blanc de propositions que l’on trans- mettra à tous les candidats. L.P.B. : À part les soucis de conjoncture, quels sont vos autres sujets de préoccupation à la F.F.B. ? P.G. : Un des gros soucis actuels reste les vols sur chantier, un phénomène qui s’aggrave.Avec des prix desmatières premières à plusieurs milliers d’euros la tonne, c’est de pire en pire. Et non seulement nos entreprises sont confron- tées à des vols de matériaux, mais désormais, on assiste à des vols d’appareillages. On voit des chantiers où on démonte par exemple les salles de bains ! Le vol de matériaux repré- senterait selon nos calculs, 1 % du chiffre d’affaires des entreprises du bâtiment, c’est énorme. Nos parle-

mentaires commencent à se pencher sur cette question. L’idée est d’obtenir un amendement qui interdise les règle- ments en espèces en cas de transac- tion avec les acheteurs de métaux et ces transactions seraient désormais soumises à déclarations fiscales. Un exemple récent : mon entreprise a réa- lisé le chantier de gros œuvre du nou- veau musée Courbet à Ornans. On a été obligés de mettre un gardien jour et nuit et samedi dimanche pour sur- veiller le chantier. Et bien sûr, toutes ces dépenses n’ont pas été répercutées dans nos prix. C’est un vrai sujet de réflexion actuellement au sein de notre fédération. L.P.B. : D’autres sujets de préoccupation ? P.G. : Le sujet majeur lié à la crise que le bâtiment traverse depuis deux ans, c’est le phénomène des prix bas. Avec la conjoncture qui s’est dégradée, les choses empirent et ont atteint une limite. En gros œuvre par exemple, on était habitués à avoir 12 ou 13 mois de carnet de commandes.Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La préoccupation des chefs d’entreprise est légitime- ment de préserver l’outil et le per- sonnel. Conséquence : on arrive à des prix tellement aberrants que la situa- tion financière des entreprises se dégra- de gravement.Alors qu’enmême temps le prix des matériaux ne baisse pas, les prix de l’énergie non plus, les salaires non plus et que les délais de paiement ont baissé du fait de la loi L.M.E. Ce cercle vicieux est très dangereux. Un autre sujet sur lequel nous allons travailler aussi cette année, c’est la sécurité au travail. Il faut savoir que les accidents de la route restent la pre- mière cause d’accidents du travail dans nos métiers. Nous réfléchissons à des

mais là, on n’est vrai- ment pas sûr du coup. Dire qu’aujourd’hui le bâtiment recrute de manière forte serait mentir. De plus, les entrées en apprentis- sage ont du mal à se concrétiser. Nous avons passé des années à redo- rer le blason des métiers du bâtiment pour atti-

campagnes de sensibilisation et à un programme de formation à destina- tion de nos salariés. L.P.B. : Qui est responsable de cette chute incontrôlée des prix ? P.G. : Nous, en tant que chefs d’entreprises, sommes responsables car au final, c’est bien le chef d’entreprise qui tient son stylo et qui signe les bons de commande. Certains font croire à leurs clients qu’on peut faire moins cher et tout aussi bien alors que c’est faux. Mais c’est aussi une responsabilité collective et notamment des collectivités publiques qui tirent les prix toujours plus bas. Au final, je ne sais pas si c’est une gestion intel- ligente des deniers publics car à ce rythme-là, on risque de conduire des entreprises à la faillite. On a rencontré le préfet récemment à ce sujet-là. Il a adressé à l’ensemble des collectivités publiques et des bailleurs sociaux une circulaire qui enjoint les maîtres d’ouvrage à don- ner suite à l’offre économique la plus avantageuse, qui n’est pas forcément le prix le plus bas car il est trop sou- vent aberrant. Cette démarche du

“Les vols sur chantier s’aggravent.”

rer des jeunes et maintenant que les jeunes sont là, ils ont dû mal à trou- ver un maître d’apprentissage. L.P.B. : Les créations d’entreprises sont-elles nombreuses dans votre secteur d’activité ? P.G. : Il y a toujours des entreprises qui se créent mais nous avons un gros pro- blème avec le système des auto-entre- preneurs qui est, n’ayons pas peur des mots, une vraie légalisation déguisée du travail au noir. Ce statut est ouvert à tous, y compris aux salariés. Un sala- rié peut très bien faire ses 8 heures de travail et 4 autres heures en tant qu’auto-entrepreneur. En plus, les gens n’ont quasiment aucun recours contre les auto-entrepreneurs qui n’ont pas d’assurances. Il ne faut pas oublier non plus que plus de 50 % des auto- entrepreneurs font zéro de chiffre d’affaires. L.P.B. : Un point positif tout de même : le plan de relance ? P.G. : Le plan de relance, ajouté au paie- ment anticipé du fonds de compensa- tion de la T.V.A. par les communes, a été il faut le reconnaître, un vrai bal- lon d’oxygène pour la profession, qui a permis d’éviter une grande catas- trophe. Propos recueillis par J.-F.H.

La F.F.B. en bref L a Fédération Française du Bâtiment et des Travaux Publics du Doubs est une organisation professionnelle qui poursuit deux missions essen- tielles. Une collective dʼabord puisque la F.F.B. est la représentante des intérêts de la profession auprès des pouvoirs publics. Elle exerce un vrai travail de lobbying auprès des instances dirigeantes. Exemple concret : lʼobtention de la T.V.A. à 5,5 % il y a quelques années. La F.F.B. gère aussi certains organismes comme le C.F.A. du bâtiment à Besançon. Lʼautre mission de la fédération est lʼassistance et le conseil à ses adhé- rents en matière juridique et administrative notamment. Pierre Genzi remplace le Pontissalien Alain Boissière qui avait effectué deux mandats de trois ans à la tête de la F.F.B. du Doubs. Il a été élu pour trois ans. La F.F.B. du Doubs compte 220 entreprises adhérentes qui emploient au total 4 000 salariés. Sur le plan national, le bâtiment compte 350 000 entreprises et 1,3 million de salariés.

représentant de l’État va dans le bon sens,mais si elle ne pas tout régler. L.P.B. : Le bâtiment et les tra- vaux publics recrutent-ils à nouveau ? P.G. : Non. On a perdu en effectif salarié perma- nent 2,6 % cette derniè- re année. Aujourd’hui, c’est l’intérim qui repart à la hausse. Cela préfi- gure en général une reprise de l’embauche

“Une vraie légalisation déguisée du travail au noir.”

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