La Presse Bisontine 123 - Juillet-Août 2011

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 123 - Juillet-août 2011

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ÉDUCATION

Le cas d’un jeune bisontin

Intelligence supérieure ne rime pas avec réussite Avec un an d’avance et un Q.I. supérieur à 130, Pierre, un jeune Bisontin de 14 ans scolarisé en seconde est un enfant intellectuellement précoce. Malgré ses capacités bien supérieures à la moyenne, il est en échec scolaire.

En France, 400 000

enfants âgés de 6 à 16 ans seraient intel- lectuellement précoces.

P ierre a 14 ans. Il est sco- larisé en seconde dans un lycée bisontin.Aujour- d’hui, le jeune garçon n’est pas certain de passer en première. “ Je dois faire des tests pour cela” confie-t-il. Ses résul- tats scolaires ne sont pas au rendez-vous. Il faut dire que l’adolescent a passé une année plutôt agitée. Il a changé à trois reprises d’établissement. À chaque fois il s’est fait exclure. Après sa dernière mise à pied,

il n’est pas allé en classe pen- dant deux mois ! Un régime for- cé. Pourtant, Pierre n’est pas bagarreur, ni délinquant, ni inju- rieux, il est même plutôt sociable dit-on dans son entourage. C’est son “ insolence” comme il le recon- naît lui-même qui l’a poussé vers la sortie des lycées de Besan- çon dans lesquels il est passé. Dans le public comme dans le privé d’ailleurs. “ Je passais du temps à me marrer avec mes potes” raconte l’ado. Ses der-

niers bulletins scolaires sont calamiteux. “ Pierre perturbe le bon déroulement des devoirs” , “ Pierre n’est pas au niveau” , ou encore “ Pierre a toujours dumal à adopter l’attitude sérieuse et responsable que l’on attend d’un élève de seconde” disaient ses professeurs. Dans chaque matiè- re, les commentaires à son égard étaient négatifs. Pourtant, Pierre est un garçon à qui l’école devrait sourire.Avec un Q.I. supérieur à 130, il est

doté d’une “ intelligence très supérieure” écrit la psychologue qui lui a fait passer une batterie de tests alors qu’il n’avait que 7 ans.À l’époque, Pierre était un élève brillant, suffisamment en tout cas pour sauter le C.E.2 et prendre un an d’avance sur ses petits cama- rades. “ Je souhaite qu’il puisse toujours être positivé par le mon- de scolaire” ajoutait encore la psychologue dans son rapport.

Malheureusement, le système éducatif tel qu’il est conçu n’est visiblement pas adapté à ces enfants dits précoces qui deman- dent une attention particulière. “ Rapidement, il a été considéré comme un gamin qui en faisait trop, qui posait trop de ques- tions, qui avaient réponse à tout. Les enseignants lui ont deman- dé petit à petit de mettre la péda- le douce” explique Élisabeth sa maman. Pierre s’est de moins en moins investi, jusqu’à décro- cher totalement. “ L’école, je n’aime pas ça” dit-il tout net. À croire que les capacités intel- lectuelles dont il dispose sont devenues un handicap alors qu’elles devraient le servir au contraire. C’est le paradoxe de la précocité.“ C’est une souffrance et pas un titre de gloire” soupi- re Élisabeth qui assiste impuis- sante à la dérive de son enfant, même si depuis quelques semaines elle avoue que la situa- tion s’améliore.“ Pierre s’imagine passer son bac. C’est déjà un grand pas.” Ses reproches, elle les adresse au système scolaire qui ne lais- se pas suffisamment de place à ces enfants qui mériteraient finalement autant d’attention que les élèves en grande diffi- culté. “ Quand je vois l’énergie

dépensée pour les exclure du sys- tème, si on la mettait à les inté- grer, tout y irait beaucoupmieux. L’exclusion ne peut pas être la seule réponse. J’interprète cela comme une volonté de se débar- rasser de ces mômes. Ce qui est grave, c’est qu’on laisse en plus les parents se débrouiller eux- mêmes.” Pierre n’est pas un cas isolé. Ils seraient 400 000 enfants en France considérés comme intel- lectuellement précoces âgés de 6 à 16 ans. Un tiers de ces gamins à la fin de la troisième sont des élèves bons voire brillants. Un tiers est moyen ou médiocre, et un tiers est en échec scolaire total. Il existe quelques établissements spécialisés dans notre pays qui accueillent ces enfants rencontrant des diffi- cultés d’adaptation. Les parents de Pierre ont envisagé la pos- sibilité de l’envoyer dans ce gen- re d’école. De son côté, le gar- çon souhaite mettre à profit les vacances d’été pour réfléchir à son avenir. “ Je suis jeune, j’ai du temps, je peux aussi redou- bler” confie-t-il. Peut-être son- gera-t-il à la suite en jouant au basket, car paraît-il, dans le domaine, il est expert. T.C.

Le système scolaire doit s’adapter Si les enfants étaient détectés plus tôt et pris en charge par le système éducatif, il y aurait peut-être moins d’élèves intellectuellement précoces en situation d’échec. LʼÉducation nationale sʼintéresse depuis peu de temps à la ques- tion des enfants intellectuellement précoces. Ces élèves ne sont pas toujours détectés ou alors ils le sont tardivement suite à des troubles du comportement par exemple. “Rien que le fait dʼexpliquer ce quʼest la précocité et comment fonctionne un enfant précoce aux équipes éducatives, cʼest déjà beaucoup” estime Jean-Luc Robbe, médecin et conseiller technique à lʼInspection Académique de Besançon. En 2005, lʼInspection Académique a mis en place un groupe de travail pour réfléchir à cette question. “À la suite de cela, nous avons développé des outils de communication pour que, lorsquʼil y a un doute à propos dʼun enfant, il soit détecté” note le Recto- rat. Une plaquette de quatre pages a donc été diffusée dans les établissements scolaires en 2008. Lʼobjectif de la réflexion était également de casser lʼidée selon laquelle un enfant intellectuel- lement précoce devrait, par nature, nʼavoir aucun problème à lʼécole. Rappelons quʼun tiers dʼentre eux est en échec scolaire. Selon Jean-Luc Robbe, le système éducatif doit évoluer pour accompagner ces élèves qui sont orientés vers un des rares éta- blissements spécialisés, privé le plus souvent, enclin à les accueillir. “Il faudrait une adaptation du système scolaire plutôt que de créer des “ghettos” pour ces enfants. Quand un enfant est détecté assez tôt, nous devons parvenir à lʼintéresser. On peut lui faire sauter une classe, on peut aussi lʼalimenter plus en connaissances car ces élèves sont très demandeurs. Il est préférable à mon sens dʼessayer dʼintégrer ces enfants et que les enseignants et la péda- gogie sʼadaptent à leur problème” estime le médecin. Ce professionnel rappelle encore que si on sʼarrête à leurs capa- cités intellectuelles, on oublie parfois quʼelles sont souvent en décalage avec leur développement moteur et affectif. “Cela peut créer des problèmes relationnels. Si on arrive à prendre en comp- te tous ces éléments, on peut espérer éviter tant que possible les situations dʼéchec.”

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