La Presse Bisontine 120 - Avril 2011
L’INTERVIEW DU MOIS
La Presse Bisontine n° 120 - Avril 2011
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JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT Le sénateur du Territoire-de-Belfort “Non, Besançon n’est pas ringarde !”
L’ancien ministre, candidat “potentiel” à la présidentielle, se confie sur l’économie régionale, son avenir politique ou encore la place de Belfort par rapport à Besançon. Tête à tête avec le “Che”.
L a Presse Bisontine : Votre livre au titre évocateur, “La France est-elle finie ?” (1), est paru en janvier. Pourquoi ce livre maintenant ? Il y est beaucoup question d’histoire, mais vous parlez d’avenir. Serez- vous candidat à l’élection présidentielle de 2012 ? Jean-Pierre Chevènement : On ne peut pas se projeter vers l’avenir sans connaître son passé. Mon livre part d’une relec- ture non seulement des 40 dernières années de notre vie politique à laquel- le j’ai participé étroitement, mais aus- si du XX ème siècle où la France a failli mourir. C’est en comprenant le XX ème siècle que nous pourrons nous proje- ter dans le XXI ème siècle. L.P.B. : Cela ne nous dit pas si vous serez can- didat… J.-P.C. : L’élection présidentielle, je ne l’aborde pas dans ce livre. C’est dans nos actuelles institutions le seul moment où l’on peut peser sur l’équation poli- tique. Et le meilleur moyen de peser sur la vie politique, c’est évidemment de se présenter. En disant cela, j’ai dit beaucoup de choses… L.P.B. : Parlons de Belfort. Votre ville a su prendre le virage de la réindustrialisation. Comment a-t-elle procédé ? J.-P.C. : Notre ville, ses élus, ses syndi- cats, l’ensemble des responsables, ont défendu bec et ongles leur industrie. Nous n’y avons pas toujours réussi. La société Bull a disparu en ne laissant que deux petites filiales (Serrib et Nip- son aujourd’hui en difficulté). Par contre, celle qui a failli mettre la clé sous le paillasson (Alstom) reste la plus gran- de entreprise du Territoire avec 3 000 employés (contre 7 000 à 8 000 il y a 20 ans), avec à ses côtés General Elec- tric (2 000 employés). L.P.B. : Le terme réindustrialisation est donc mal adapté pour un Territoire qui panse enco- re ses plaies ? J.-P.C. : Non car Belfort reste une ville où l’on fabrique des turbines à vapeur, des alternateurs, des rotors (Alstom) et des turbines à gaz (General Elec- tric). Surtout, ces entreprises ont déve- loppé leur département d’ingénierie, c’est ainsi que “Plant”, filiale d’Alstom emploie 500 personnes dans le domai- ne de la recherche.
ments loués aux entreprises : tout ceci vise à une politique d’accueil de qua- lité des entreprises. L.P.B. : En revanche, le prix des loyers factu- ré aux sociétés ne cesse de croître. C’est un peu gênant, non ? J.-P.C. : L’état dumarché est tendu. C’est le signe du succès mais il faudra trou- ver un niveau raisonnable. L.P.B. : N’est-ce pas Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Économie qui a relevé Alstom en 2004 en accordant 7 millions d’euros de cau- tion ? J.-P.C. : Il faut rendre à Jacques Chirac ce qui lui revient, sans oublier le mai- re de Belfort (N.D.L.R. : M. Chevènement à l’époque)… et tous ceux qui se sont mobilisés pour sau- ver Alstom. C’est Jacques Chirac qui a accepté que l’État prenne 21 % dans le capital d’Alstom et, se portant cau- tion pour 11 milliards, Nicolas Sarko- zy n’est intervenu qu’un an plus tard pour régulariser les choses vis-à-vis de la Commission européenne. L.P.B. : Vous êtes donc pour l’intervention de l’État. Faut-il aider de la même manière les banques ? J.-P.C. : Les banques ont pris en otage l’État. Elles empruntent l’argent à 1 % à la B.C.E. et prêtent à 4 % sur les marchés de la dette. Il est facile de s’enrichir dans ces conditions. Dans le Territoire de Belfort, des petites com- munes voient leurs remboursements exploser. Je vais faire une proposition pour un rapport plus sain entre les col- lectivités et les banques. Que ces der- nières jouent leur rôle utile dans le financement et non dans la spécula- tion. Il faut des règles. Je trouve scan- daleux que l’État ait laissé Eurostar commander 10 rames à l’allemand Sie- mens, commande qui contrevient aux règles de sécurité dans le tunnel sous la Manche. La commande représente pour Alstom Transports la perte d’un an et demi de production. La crois- sance allemande a très peu d’effets à Belfort. Les salaires allemands ont été gelés. Un jour, il y aura un retour de bâton. L.P.B. : Belfort fait cavalier seul en matière de développement économique en se détournant de Besançon, la capitale régionale. Le Terri- toire a-t-il plus d’affinités avec l’Alsace ? Devrait-il intégrer cette région ? J.-P.C. : Ce que vous dites là est cho- quant (il coupe). Nous ne nous détour- nons pas de Besançon même si depuis Besançon, le sentiment paraît inver- se. Besançon reste et doit rester la capitale régionale. Seul un député du Territoire de Belfort, Michel Zumkel- ler (U.M.P.), inconnu au niveau natio- nal, milite pour un rattachement du Territoire de Belfort avec l’Alsace. Il n’est pas suivi. Nous sommes des Francs-Comtois qui entendons le res- ter, à condition d’être respectés par la capitale régionale. Belfort est la deuxiè- me ville de Franche-Comté. L.P.B. : Du haut de la crinière du lion de Bel- fort, Besançon est-elle devenue ringarde ?
Jean-Pierre Chevènement le “Terrible”.
Victor-Hugo, toute ma famille est du Haut-Doubs (Frambouhans, Le Rus- sey). Mes oncles et tantes ont travaillé dans l’horlogerie. L.P.B. : Avez-vous fréquemment des contacts avec Jean-Louis Fousseret, maire de Besan- çon ? J.-P.C. : Oui, mais insuffisants. Je déplo- re par exemple que Jean-Louis Fous- seret ait oublié Belfort lorsqu’il a sélec- tionné les villes fortifiées par Vauban potentiellement éligibles au patrimoine mondial de l’U.N.E.S.C.O… Comme Briançon et Mont-Dauphin, Belfort avait le potentiel pour intégrer cette liste. C’est dommage. Je le lui ai dit. L.P.B. : Que vous a-t-il répondu ? J.-P.C. : Qu’il travaillait à réparer cela… L.P.B. :Comment l’ancienministre de l’Éducation nationale juge le regroupement des universi- tés de Franche-Comté et de Bourgogne. Faut- il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? J.-P.C. : C’est une bonne chose dans le sens où elle permet une synergie dans un domaine comme celui de la recherche ou des pôles d’excellence. Dijon est en pointe dans l’agroalimentaire, Besan- çon dans les sciences de l’ingénieur, les langues vivantes et dans les micro- technologies. Besançon doit dévelop- per son pôle d’excellence en lettres et son centre des langues appliquées.
J.-P.C. : Non, elle n’est pas ringarde. Les Bison- tins ne doivent pas s’alarmer du dynamis- me des autres villes de Franche-Comté, que ce soit Belfort ou Mont- béliard. Les entreprises de l’automobile ou de l’énergie de l’Aire urbai- ne font appel à la tech- nologie des laboratoires bisontins, notamment pour la confection de pièces de taille réduites, technologie que nous ne possédons pas. L’intérêt est d’avoir une région active et dyna-
L.P.B. : À l’image de votre livre, peut-on se demander si “La Franche-Comté est finie” ? J.-P.C. : Non, la Franche-Comté n’est pas finie, pas plus que la France d’ailleurs. L.P.B. : L’arrivée du T.G.V. devrait “booster” notre territoire. Qu’en pense le père du T.G.V. ? J.-P.C. : Oui, je suis le papa du T.G.V., mais quoiqu’en terme de paternité, il faut se méfier. Il n’y a que la mater- nité qui fasse foi (rires). L.P.B. : Outre vous-même, quel candidat de gauche soutiendriez-vous ? D.S.K. est-il le meilleur candidat du P.S. ? J J.-P.C. : Je ne souhaite pas un candi- dat qui soit l’expression des marchés financiers. L.P.B. : Les habitants du Territoire de Belfort n’avaient pas de nom jusqu’à février où ils ont été baptisés “Terrifortains”. Votre sentiment ? J.-P.C. : C’est terrible ce nom (rires). Cela réduit notre château à un fortin. Je propose donc qu’on les appelle Les Terribles, tout simplement. Propos recueillis par E.Ch.
“Dommage que Jean-Louis Fousseret ait oublié Belfort.”
L.P.B. : Quelle est la recet- te, s’il y en a une,pour sédui- re des entreprises comme General Electric ? J.-P.C. : Nous avons déve- loppé des zones d’activités qui accueillent beaucoup d’entreprises nouvelles et anciennes que ce soit àTechn’hom, l’aéroparc de Fontaine, demain la Z.A.C.T.G.V. deMeroux- Moval et la Z.A.C. Plu- ton (bientôt 200 000 m 2 de bureaux à deux pas de la L.G.V.) ou encore à Delle et Morvillars. Nous avons financé la construction de bâti-
“Les Bisontins ne doivent pas s’alarmer.”
mique où chacun utilise les compé- tences de l’autre. N’oublions pas que l’industrie dans le Nord Franche-Com- té a perdu 7 000 emplois depuis 2008 et que notre taux de chômage - dans le Territoire de Belfort - demeure le plus important des départements de la région. Nous avons souffert et nous souffrons encore. L.P.B. :Vous semblez bien connaître les Bison- tins… J.-P.C. : J’ai beaucoup d’affection pour cette ville car mes parents, institu- teurs, ont enseigné à Battant et aux Chaprais. Moi-même, j’ai été lycéen à
(1) : “La France est-elle finie ?”, paru aux éditions Fayard, 320 pages. Prix : 19 euros
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