La Presse Bisontine 120 - Avril 2011

LE GRAND BESANÇON

La Presse Bisontine n° 120 - Avril 2011

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TALLENAY Portrait de campagne André Mollet écrit

des vers sans en avoir l’air À 73 ans, cet agriculteur à la retraite s’invente des poèmes qu’il garde en mémoire. Parfois, il en déclame quelques vers par plaisir.

C hacun a sa technique pour entretenir sa mémoire. André Mollet a la sienne. À 73 ans, cet agriculteur en retraite récite des poèmes de sa composition. “Je le fais souvent la nuit pour m’endormir. Com- me je les écris rarement sur papier, en les répétant, j’évite de les oublier” explique-t-il. D’un coup, avec malice, il se met à déclamer des vers inspirés de son vécu. Mais l’inspiration justement ne lui vient pas comme ça. Il faut que quelque chose le révolte pour que les mots se révèlent à lui comme ce fut le cas dans les années quatre-vingt lorsque le monde agricole s’insurgeait contre l’application par l’Europe des quotas laitiers. “J’étais furieux contre cette politique” se souvient-il. Suffisamment pour que cette fois-là il se mette à écrire des textes engagés pour servir la cause paysanne. Pas de longs discours,mais des rimes qui rendaient le message effi- cace à une époque où l’on redou- tait que cette mesure n’étrangle les petites exploitations agri- coles.

pas” ironise André Mollet qui s’est d’ailleurs permis de les remettre à Raymond Barre de passage à Besançon. Le premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing n’y a pas donné sui- te. Il aura eu moins de chance que son oncle chansonnier à ses heures, qui un jour a écrit à Charles De Gaulle à propos de son adversaire François Mit- terrand : “Ce siège est un siège d’altesse qui n’est pas fait pour vos fesses.” Le général s’est fen- du d’une lettre en réponse. Sans l’avouer franchement, il est flatté de cette reconnais- sance, même si depuis ce com- bat syndical, le monde agricole a bien changé, pas forcément dans le sens qu’il aurait sou- haité. Les exploitations en pla- ce se sont modernisées, elles sont beaucoup plus grandes aus- si. “Aujourd’hui, les nouvelles générations d’agriculteurs traient une demi-grosse de vaches à l’heure” , soit six douzaines de bêtes. André Mollet vit tranquillement à Tallenay avec son épouse Michèle. Le couple a conservé quelques bêtes à la ferme pour

Le 19 janvier 1989, lors du 43 ème congrès de la F.D.S.E.A. du Doubs, c’est devant un auditoi- re conquis qu’il récite “Route barrée”, un texte qui traduit le malaise ressentit par la pro- fession à ce moment-là. André Mollet écrit : “Tu étais beau, jeu- ne et plein d’ambition/ton désir c’était reprendre de tes parents la succession/[…], tu appré- hendes, tu as la hantise, que tra- vailler sur ta fermette/c’est conduire toi et ta famille à la disette.” Ses propos ont marqué les esprits. Beaucoup d’agriculteurs qui étaient présents ce jour-là

André Mollet a quitté l’école à 14 ans emportant avec lui son dictionnaire, qu’il conserve précieuse- ment, telle une bible.

s’en souviennent. Vingt ans après, il arrive même que certains d’entre eux lui demandent enco- re des copies de ses textes qu’il garde en archive à son domicile de Tallenay. “Ces articles valent bien le mérite agricole, mais je ne l’ai pas et je n’en voudrais

“J’ai la santé pour mon âge.”

le plaisir de garder un pied dans le métier. Elle comme lui ne sont pas du genre à pantoufler devant la télévision. Le dimanche, il n’est pas rare que le septuagénaire enfourche sa bicyclette pour une virée de 70 kilomètres autour de Talle- nay. Avec son épouse, il marche

aussi beaucoup. “Ce qui me sau- ve, c’est que j’ai la santé pour mon âge.” Peut-être qu’André Mollet trouvera enfin le temps de se rendre à Paris au salon de l’agriculture. En un demi-siècle, il avoue avoir mis les pieds deux fois seulement à la capitale. La première était le 14 juillet 1960.

Le jeune soldat qu’il était en partance pour l’Algérie (il y res- tera cinq mois) défila alors sur les Champs-Élysées. La secon- de est moins glorieuse. “Je suis allé chercher une 2 CV avec mon frère.” Une voiture mythique qui mériterait bien un poème. T.C.