La Presse Bisontine 118 - Février 2011

20 DOSSIER

La Presse Bisontine n° 118 - Février 2011

INITIATIVE Une aide en faveur des étrangers L’écrivain public ne promet pas la lune Danielle Delaby offre sa plume aux personnes ne sachant pas écri- re. L’ancienne institutrice de Planoise rédige des papiers adminis- tratifs comme des demandes de naturalisation pour les étrangers.

P our Danielle Delaby, 72 ans, offrir bénévolement son temps et ses compé- tences à des personnes qu’elle ne connaît pas, “c’est presque normal” dit-elle. Aujourd’hui retraitée, l’alerte septuagénai- re qui a travaillé dans le quar- tier de Planoise depuis 1968 en tant qu’institutrice à l’école Picardie, Bourgogne, puis Boul- loche, n’a pas raccroché le sty- lo. Cette fois, plus de correction

D.D. : C’est vrai que je limite mes déplacements, comme je les limi- terais au centre- ville par exemple. Je prends sans crainte la liaison piétonne entre le centre Mandela et la place de l’Europe.Aujour- d’hui, la jeunes- se est plus exu- bérante, les gens à fleur de peau. Vu le monde que Planoise regrou- pe, les troubles pourraient être pires !

au stylo rouge, juste une aide en faveur des personnes ne maî- trisant pas la langue de Moliè- re. Rencontre avec l’écrivain public. Elle livre un regard cri- tique sur son quartier, regard mêlé d’optimisme et de craintes. La Presse Bisontine : Des habitants du quartier vous demandent une aide pour rédiger des papiers administra- tifs. La plupart sont étrangers. Quelles sont leurs attentes ? Danielle Delaby : Nous sommes tenus au secret à chaque fois que nous rédigeons des papiers. Disons que les demandes vont d’une naturalisation française à un papier administratif en passant par une lettre de rési- liation commerciale. On dit bien aux personnes que nous sommes là juste pour écrire et que nous n’avons aucun poids quant à l’obtention de papiers. Nous ne promettons pas la lune. L.P.B. : Parmi les personnes que vous rencontrez, arrivez-vous à distinguer celles qui souhaitent s’intégrer des autres ? D.D. : C’est difficile à dire, mais oui, on sent celui qui fait des efforts et celui qui est ici juste pour avoir des papiers et faire venir sa famille. Nous leur fai- sons comprendre que nous, écri- vains publics, ne sommes là que pour donner un coup de pouce. Nous n’avons pas de pouvoir. L.P.B. : Sont-ils reconnaissants ? D.D. : Oui ! J’ai le souvenir d’une personne m’ayant enlacé. Elle venait d’obtenir ses papiers. Ces anecdotes, on ne les oublie pas. L.P.B. : Après quarante-deux années passées à Planoise, quel regard por- tez-vous sur votre quartier ? Est-il à la dérive ? D.D. : On y vit bien, et non, il n’est pas à la dérive. Il y a tout sur place, des services, des asso- ciations, mes amis. L.P.B. : En revanche, on ne peut pas occulter l’insécurité. Sortez-vous sans crainte une fois la nuit tombée ?

Avec son stylo,

Danielle Delaby ne promet pas la lune. Juste une aide.

“Vu le monde, les troubles pourraient être pires.”

MICRO-TROTTOIR Les Planoisiens se sentent-ils en sécurité ? Parole aux habitants Les Planoisiens ont des choses à dire mais peu souhaitent témoigner par peur des représailles. L’appareil photo n’est pas le bienvenu, surtout aux Époisses. S e balader avec un appareil pho- to en bandoulière et un carnet de notes dans la main n’est pas le meilleur moyen pour enga-

L.P.B. : Néanmoins, il y a deux Planoise, un Planoise le jour, un Planoise la nuit… D.D. : Depuis que nous avons mis des caméras dans mon immeuble, nous sommes plus tranquilles. C’est vrai qu’on sent une agressivité de plus en plus pressante mais un jour, je suis tombée à terre et ce sont des jeunes qui m’ont relevée. Il faut relativiser, même si l’on sent qu’il y a de moins en moins de dialogue et de plus en plus de communautarisme. Les gens des pays de L’Est restent ensemble, pareil pour ceux des pays asiatiques. L.P.B. : Pourquoi les gens de Planoi- se, jeunes notamment, se sentent-ils exclus, stigmatisés ? D.D. : S’ils ne trouvent pas de travail, c’est parce qu’ils n’ont pas assez de qualifications. Quant à ceux qui ruminent disant que la mairie ne fait rien, ils devraient sortir de chez eux car il y a beaucoup d’animations dans le quartier. On ne va pas tout de même pas leur prendre la main pour les inciter à venir participer aux fêtes, que ce soit leTéléthon, les jeudis de la Bras- serie et aux nombreuses mani- festations organisées par les associations… Propos recueillis par E.Ch.

ger la conversation à Planoise. Nous en avons fait la triste expérience, le mardi de la deuxième semaine des vacances scolaires. Il est 10 heures Le quartier Île-de-France se réveille avec une douce odeur de pain chaud éma- nant de la boulangerie. Plus loin, un individu tire sur sa cigarette après avoir bu un café au bar. La discussion s’engage. L’homme est courtois mais ne souhaite pas répondre à la ques- tion que nous posons à tous les habi- tants : “Craignez-vous pour votre sécu- rité dans votre quartier ?” C’est son droit, et continuons notre chemin en direction des Époisses, devant le super- marché. Ici, l’accueil sera glacial, pour ne pas dire mouvementé. Deux jeunes gens, la vingtaine, nous interpellent : “T’es qui pour te balader avec un appa-

reil photo ? Une balan- ce !” Poliment, nous leur expliquons la raison de notre venue. Si je suis ici : c’est pour rencontrer les habitants afin qu’ils me parlent de leur quar- tier. Très vite, la discussion monte d’un cran : “Déga- ge avant qu’on te plan- te” nous lancent-ils. À quoi nous leur répondons que si nous voulons réa- liser une interview ici, nous la ferons ici. Ils s’enflamment. Soudain, un garçon plus âgé sort de la galerie commer- ciale et leur demande d’arrêter. Il vient vers nous comme pour s’excuser, nous expli- quant que leur réaction est légitime : “Ils en ont marre d’être montrés du doigt” nous dit-il. Pour éviter une surenchère, nous retournons à Ile-

“La police, on ne la voit jamais !”

honnête que de l’argent sale… J’ai un fils à m’occuper. La prison, pas pour moi ! Celui qui fait de la prison est reconnu dans le quartier comme un caïd, c’est dommage.” Jacky Gay (67 ans, retraité, habi- te depuis 35 ans Planoise) : “Je n’ai jamais eu de problème, seulement deux accrochages. Ce n’est pas parce qu’il y a eu une prise d’otages qu’on se sent moins en sécurité. J’aurais pu foutre le camp d’ici mais je me sens bien. J’ai mes amis. Il y a tout ce dont on a besoin, une boulangerie, les médecins, l’hôpital.” Michelle (retraitée, habite ici depuis 23 ans) : “J’ai déjà entendu des coups

de feu ici. J’ai écrit au préfet car à un certain âge vous voulez votre tranquillité et j’ai même appelé les îlotiers. Ils ne sont pas venus. Une fois la nuit, je ne sors plus.” Une mère de famille souhaitant garder l’anonymat (depuis 25 ans ici) : “Ma fille qui rentrait un soir chez elle avec ses enfants a été attaquée. Elle a été suivie et mise à terre par un hom- me. La police, on ne la voit jamais ! Et lorsque vous rentrez chez vous, vous devez encore demander pardon pour passer dans votre hall d’immeuble. Ce sont toujours les mêmes qui font le bor- del. On les connaît.” E.Ch.

Jean Poulet aime son quartier. Il y a quarante ans, ses parents tenaient une ferme ici.

de-France où quatorze personnes répon- dront. Le micro-tottoir durera 3 heures. Beaucoup répondent sous le couvert de l’anonymat par crainte des repré- sailles. Florilège. Jean Poulet (59 ans, retraité, habi- te le quartier depuis 32 ans) : “Je n’ai jamais été menacé et je n’ai pas peur de sortir le soir. À Planoise, mes parents tenaient une ferme avant que les immeubles ne se construisent. Si les anciens revenaient, ils ne reconnaî- traient plus rien. On faisait ici de

l’élevage, de la culture, de la route d’Avanne à Micropolis. C’est un quar- tier où je me sens bien grâce à tous les commerces.” Mickaël (19 ans, habite le quartier depuis 18 ans) : “Il ne faut pas dire que c’est horrible. Si tu restes à ta pla- ce, personne ne vient t’emmerder (sic). À Cassin ça va, mais ne va pas à Nor- ma… Je trouve que les jeunes généra- tions qui arrivent sont plus dures. Si tu veux du boulot, y’a moyen d’en trou- ver. Moi, je préfère avoir de l’argent

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