La Presse Bisontine 114 - Octobre 2010

L’ÉVÉNEMENT

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La Presse Bisontine n° 114 - Octobre 2010

Zoom Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (C.A.D.A.) à Besançon Missions. Hébergement et accompa- gnement social, administratif et juri- dique des familles, soutien pour lʼélaboration des dossiers, relais avec dʼautres structures pour la scolarisa- tion, le suivi médical, les loisirs, la for- mation, les stages, accompagnement à lʼinsertion par le logement, le travail, lʼapprentissage dʼune langue une fois le statut de réfugié obtenu. Nombre. Il y a trois C.A.D.A. à Besançon (envi- ron 300 places au total), un à Bethon- court, lʼautre à Pontarlier pour le Doubs. Durée desséjours. Un demandeur res- te en moyenne 2 ans et demi. Souvent plus. Appartements. Ils vont du T1 au T6 pour accueillir une personne isolée ou une famille. Ils sont souvent loués à des bailleurs sociaux. Qui paye ? Chaque C.A.D.A. a une enveloppe budgétaire allouée notam- ment par la D.D.A.S.S. pour payer la location de lʼappartement, les frais dʼeau, dʼélectricité. Droits. Ne pouvant travailler faute de papier, le réfugié reçoit une allocation. Il est couvert par la couverture mala- die universelle (C.M.U.).

DEMANDEURS D’ASILE Comment vivent-ils? Déjà un an et demi d’attente en centre d’accueil Arrivé clandestinement à Besançon, une famille serbe habite Planoise dans un appartement prêté par l’État en attendant une éventuelle régularisation. Témoignage.

U ne histoire comme tant d’autres que celle de Doran (1), Albanais de Serbie qui a fui son pays pour trouver en France “une sécurité que mon pays ne peut garantir” dit-il. Son grand regret : avoir laissé au pays sa mère de 90 ans. Un crève-cœur. En mai 2009, Doran, accompagné de son épouse et de ses deux enfants alors

deux enfants sont scolarisés au collè- ge Diderot de Besançon : “Ils sont bons à l’école et attentifs” assure cet hom- me, assidu aux cours de Français dis- pensés par le centre d’accueil dépar- temental des demandeurs d’asile Lafayette (C.A.D.A.), structure de l’État permettant à ces personnes d’éviter l’isolement et le dénuement. Pour arriver jusqu’en Franche-Com- té, il a versé 5 000 euros à un passeur, “sans compter les frais lors du trajet” affirme ce ressortissant de 42 ans, élec- tricien de métier. À l’heure actuelle, il ne peut travailler, faute de papiers. Il a déposé une demande d’asile pour lui et sa famille mais celle-ci a été refu- sée. Un recours auprès de la commis- sion nationale des demandeurs d’asile (C.N.D.A.) vient d’être déposé. Bref, l’attente d’une éventuelle régu-

Directrice du Pôle C.A.D.A. Lafayette à Besançon, Catherine Gaboreau reçoit un demandeur d’asile. Elle fait le point sur sa situation.

âgés de 13 et 12 ans, quit- te le Sud de la Serbie. Direction la France où ils débarquent le 30 mai à Besançon. C’est le début d’une forme de clandes- tinité : “Nous avons fait environ trois jours de tra- jet dans une camionnet- te pour arriver ici” explique-t-il dans notre langue. Aujourd’hui, ses

larisation se poursuit. Elle se fait longue. Heureusement, l’aide du C.A.D.A. lui permet d’abriter sa famille : l’appartement qu’on lui prête est un T4 situé avenue de Bourgogne à Pla- noise. Quant à la location, elle est payée par l’État ainsi que les frais d’eau et d’électricité. Le centre d’accueil lui alloue 444 euros par mois afin qu’il nourrisse et habille ses proches. Il a à sa disposition des tickets de bus. Doran n’a pas l’argent pour acheter une voi-

ture. “Être en centre, ça ne ressemble pas à des vacances !” coupe Catherine Gaboreau, directrice du pôle C.A.D.A. La Fayette de Besançon (120 places). “Cette attente, c’est difficile à gérer” concède le père qui souhaite obtenir rapidement des papiers afin d’assumer son rôle de chef de famille.Voler de ses propres ailes en liberté : voilà le rêve de ces personnes qui aimeraient deve- nir bisontins. Pour l’heure, le rêve est loin d’être une réalité… E.Ch. (1) : L’homme a souhaité rester anony- me afin que son témoignage n’entrave pas sa demande de titre de séjour.

Près de 500 signatures sont recueillies.

TENSIONS

Les associations font face à des cas complexes Les “Ni-Ni” toujours plus nombreux À Besançon, les associations aidant les sans-papier sont inquiètes car le nombre de personnes ni expulsables, ni régularisables, explose. Elles font office de fusible. Jusqu’à quand ?

RÉGULARISATIONS Trois questions à Nacer Meddah, préfet du Doubs “J’examine une dizaine de dossiers” Le préfet du Doubs dit examiner “au cas par cas” la régu- larisation de familles dont certaines ne peuvent plus être reconduites à la frontière ou expulsées. Un casse-tête.

L a Presse Bisontine : Depuis peu, Réseau éducation sans frontières a ouvert une nou- velle permanence le mercredi pour recevoir les sans-papier à Besan- çon. Faut-il en déduire qu’il y a toujours plus de migrants à aider ? Jean-Jacques Boy (membre du Collectif de Défense des Droits et Libertés des Étran- gers (C.C.D.L.E.) et de Réseau éducation sans frontières) : Il y a une demande qui, mal- heureusement, est toujours plus forte. Nous avons chan- gé d’adresse il y a un mois à Besançon et le bouche-à- oreille a très vite fonctionné au point que l’on se garde bien de faire de la publicité car nous ne sommes qu’une dizaine de bénévoles à trai- ter des cas précis de deman- deurs d’asile ou clandestins. L.P.B. : Les structures de l’État font de plus en plus appel aux asso- ciations pour gérer certains cas. C’est inquiétant ? J.-J. B. : Oui c’est inquiétant car nous sommes le dernier fusible. Il arrive en effet que des structures officielles dépendantes de l’État com- me les C.A.D.A. fassent appel à nous car il y a de plus en plus de gens hors-cadres, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas demandeurs d’asile ou qui ne sont ni expul- sables ni régularisables. On les appelle les “Ni-Ni”. L.P.B. : Un exemple ? J.-J. B. : Des familles en centre d’accueil qui ont eu de la nais- sance sur le sol français alors

Jean-Jacques Boy, bénévole et militant actif au service des sans-papier, est en colère contre la poli- tique menée en matière d’immigration.

L a Presse Bisontine : Les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile sont au maximum de leur capacité d’accueil à Besançon et plus généralement dans le Doubs. Procé- derez-vous à des régularisations dans les prochains mois ? Nacer Meddah : Depuis septembre, je suis en train d’examiner les dossiers de familles qui sont à Besançon et dans le Doubs.

Le préfet Nacer Meddah ne donne pas de chiffres précis du nombre de régularisation de sans-papiers à venir. N.M. : Concrètement, j’examine au cas par cas. On regarde si la famille parle le Français par exemple, si la personne en ques- tion a des promesses d’embauche. On se rend compte que beaucoup de demandeurs d’asile ont vu naître leurs enfants sur le sol français alors que leurs parents n’ont pas de papiers : nous savons que nous ne pourrons pas les reconduire à la frontière. C’est complexe et c’est pour cela que je veux étudier chaque deman- de. En octobre, j’aurai encore des dossiers à examiner sur mon bureau. Recueilli par E.Ch. L.P.B. : Combien exactement ? N.M. : Je ne peux pas vous le dire précisément mais environ une dizaine de familles. L.P.B. : Certains demandeurs d’asile résident parfois plus de trois ans à Besançon dans les structures de l’État en attendant une éventuelle autorisa- tion de séjour. Cette longue durée conduit à des situations difficiles à résoudre. Quels critères retenez-vous pour l’obtention de papiers ?

que les parents n’ont pas de papiers. On a reçu dernière- ment une personne qui vit sur le territoire français depuis 22 ans dans l’illégalité la plus totale. L.P.B. : Comment fait-il ? J.-J. B. : Il survit ! Il est arri- vé de Tunisie, a fait beau- coup de petits boulots au noir, il est entré en errance tota- le pendant 6 ans en vivant sous un pont. On l’aide à se réinsérer pour qu’il obtien- ne au moins la légalité du séjour. Ces gens hors-cadres, il y en a de plus en plus ! L.P.B. : Pourquoi une telle aug- mentation ? J.-J. B. : Car il n’y a plus de politique nationale concer- nant l’immigration : c’est une politique du fait du prince. Le préfet peut, au gré de la politique locale, au gré du moment, expulser ou régu-

lariser qui il veut. C’est un tournant de la politique. L.P.B. : L’arrivée du nouveau pré- fet Nacer Meddah change-t-elle quelque chose ? J.-J. B. : Dans la mesure où ce n’est que le fait du prince, cela peut changer pour les gens mais pas pour nous les associations. Nos relations restent les mêmes avec la préfecture. Il y a peu de dia- logue. Le préfet peut être plus humain que son prédé-

de l’immigration (sic).” Ce sont ses mots. Nous avons été reçus par Nacer Meddah qui nous a expliqué ses opi- nions personnelles. Il nous a dit qu’il était “homme de conviction” , ce qu’on croit. La première chose qu’il nous a demandée, c’est d’éviter de parler de chiffres car dans le Doubs le problème du chiffre “est réglé par les passages à la frontière” dit-il. Il dit éga- lement “faire de l’humain.” On verra… L.P.B. : Pour résumé, quel est votre état d’esprit ? J.-J. B. : Très très en colère contre la politique globale car elle est liée à la person- nalité du préfet ! La France n’est pas un état de droit dans le domaine de l’immigration. C’est ce que nous nous tuons à répéter.

cesseur, être plus intéressé sur ce sujet que d’autres… Le précédent préfet (N.D. L .R . : Jacques Bar- thélemy) nous avait dit qu’il “n’en avait rien à foutre de la politique

“Une politique d

u fait du prince.”

Propos recueillis par E.Ch.

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