La Presse Bisontine 114 - Octobre 2010

LE DOSSIER

La Presse Bisontine n° 114 - Octobre 2010

19

Ils agissent seuls et considèrent leur action comme de légitimes revendications citoyennes, ou alors ils sont membres d’une association, d’un collectif ou d’un mouvement et veulent faire passer des idées ou défendre un quartier, un projet, voire dénoncer des pratiques qu’ils jugent contraires au bien public. Leur dénominateur commun : ils sont les empêcheurs de tourner en rond des décideurs locaux. Car la plupart du temps, c’est pour s’opposer à un dossier soutenu par des élus locaux, une administration ou une collectivité qu’ils se mobilisent et font entendre leur voix. Toujours convaincus, parfois farfelus, la plupart du temps convaincants, ils constituent une sorte de contre-pouvoir irritant pour ceux qui sont aux manettes. Ils sont aussi le sang de la démocratie. La Presse Bisontine les a rencontrés, elle leur donne ouvertement la parole. Mesdames Messieurs les emmerdeurs du pouvoir, exprimez-vous. NANCRAY Le poil à gratter des institutions Serge Grass, le justicier du contribuable LES EMMERDEURS DU POUVOIR Contre la mairie de Nancray, la ville de Besançon, le Conseil régional, l’État et son employeur : en 40 années, Serge Grass a dénoncé de nom- breux abus notamment dans le milieu politique. Il a toujours frappé haut.

Tramway, gare T.G.V. d’Auxon, lion de Franche-Comté… Jean-Philippe Allenbach fait feu de tout bois contre l’ordre établi. Son dernier combat : le rattachement de la Franche-Comté… à la Suisse. Finies les élections Allenbach l’anti-conformiste POLITIQUE

La nouvelle utopie de Jean-Philippe Allenbach : rattacher la

Franche- Comté à la Suisse.

C haque jour en ce moment, inlassable- ment, un membre du Mouvement Franche-Comté dépose quelques dizaines de pétitions de Bisontins dans la boîte aux lettres dumaire de Besançon, réclamant un référendum sur le projet de tramway. Outre le fait qu’il est contraint de répondre per- sonnellement à chaque pétitionnaire, lemai- re commence à être plus qu’agacé par ce petit manège. Jean-Philippe Allenbach, le souri- re aux lèvres, est bien dans son rôle d’emmerdeur, oumieux, d’agitateur d’idées. En cemoment, c’est donc le tramqui l’occupe. Selon lui, c’est maintenant que le projet est ficelé que “le maire se doit d’organiser une large consultation de la population. Je suis persuadé que les 2/3 de la population sont contre ce projet” pense Jean-Philippe Allen- bach. Le leader du Mouvement Franche-Comté est une sorte d’ovni politique. Candidat mal- heureux à de nombreux scrutins - il fera tout demême presque 5%auxmunicipales bison- tines de 2001 -, il a même tenté le coup de poker d’une candidature à l’élection prési- dentielle. Évidemment sans succès. “C’était juste un coup de pub pour le parti fédéralis- te” se défend aujourd’hui l’intéressé, conscient que sa démarche l’a “un peu décrédibilisé” sur la scène politique. Jean-PhilippeAllenbach a tiré un trait défi- nitif sur les scrutins électoraux, ce qui ne l’empêche pas de se présenter toujours com- me “un leader politique. Un leader politique, c’est celui qui a une vision concrète de ce que devrait être la situation idéale, qui se deman- de comment faire pour changer les choses et qui est capable de mobiliser les gens pour leurmontrer ce qu’ils vont y gagner” explique- t-il. “À côté des leaders , il y a les managers,

c’est-à-dire ceux qui gèrent du mieux qu’ils peuvent les choses qu’ils ont en leur posses- sion. Marie-Guite Dufay à la Région, Jean- Louis Fousseret à laVille sont des managers, ce ne sont pas des leaders . Pas un instant ils pensent changer les choses” assène M. Allenbach. Lui, si. Son Mouvement Franche-Comté, riche d’unmillier d’adhérents, vamême plus loin. Son actuel combat est de persuader le plus grand nombre de personnes que l’intérêt de la Franche-Comté n’est autre que de deve- nir un nouveau canton suisse. Ses idées lui ont valu sarcasmes, quolibets voire insultes, qu’importe. Elles sont reprises actuellement par plusieurs élus suisses, eux aussi “ratta- chistes”, si bien que le sujet est remonté jus- qu’au conseil fédéral suisse. L’organe hel- vétique suprême devrait se prononcer bientôt sur une éventuellemodification de la Consti- tution afin que la Suisse puisse intégrer de nouveaux territoires. “Si le conseil fédéral suisse en vient à se réunir sur ce sujet, c’est que deux “clampins”, Martial Cote-Colisson et moi-même, ont lancé cette idée depuis notre petit bureau de la place Saint-Pierre. Il ne faut surtout pas mésestimer la capacité d’un petit mouvement à changer les choses. Quand on a une bonne idée, qu’on la défend et qu’on y croit, ça peut aller très loin” ajoute Jean- PhilippeAllenbach, qui jouit d’ailleurs de la double nationalité française et suisse. LeMouvement Franche-Comté dit travailler pour la défense des intérêts de la Région et de ses habitants. “Comment expliquer que d’un côté de la frontière il y ait 3 % de chô- mage et que de l’autre, ce soit près du triple et que les salaires soient près de deux fois supérieurs là-bas qu’ici ? Il faut bien se rendre à l’évidence que le système centraliste fran- çais ne marche pas. La mort économique de la Franche-Comté est programmée, alors pourquoi refuser d’intégrer un système qui marche ?” interroge simplement le fédéra- liste. Dans ses actions de lobbying , Jean-Philip- pe Allenbach applique une devise : “On n’a peur de rien, car on n’a rien à perdre.” Alors quand il s’empare d’un sujet, il ne le lâche plus. “C’est un peu la politique du boule- dogue : on ne lâche pas l’os tant qu’il y a de la viande dessus.” L’objectif des actions menées par le Mouve- ment Franche-Comté, “c’est de faire bouger l’État pour qu’il se rende compte de la situa- tion de nos régions frontalières dit-il. Si on va jusqu’au bout de la démarche, peut-être alors que Paris daignera bouger. Genève a quitté la France en 1815, alors pourquoi pas nous aujourd’hui ?” Bien sûr, ce trader en retraite est conscient que la plupart de ses idées confinent à l’utopie. Mais il est lucide. Plutôt qu’être élu et oublier ses utopies, il préfère rester libre et parler. “À la fin de ma vie, j’aurai au moins eu la consolation de penser : j’ai dit ce que j’avais à dire…” termine cet agitateur d’idées. J.-F.H.

S i la Ville de Besançon paye aujourd’hui l’eau qu’elle consomme, c’est un peu grâce ou à cause (c’est selon) de cet homme pour qui l’abus de pouvoir est une puis- sante urticaire. Seul contre tous, voilà en trois mots le résumé de la vie de Serge Grass, sympa- thique sexagénaire à la retraite. En 2000, le maire de Besançon avait donné l’ordre à ses conseillers de ne plus lui transmettre les comptes administratifs tant il dépoussière avec minutie les feuilles de calcul. Preuve s’il en est que Serge Grass dérange. Lorsqu’il a attaqué l’État pour défaut de contrôle des entrées de viandes bovines lors de la période de la vache folle, huit longues années de procédure ponctuées “de nombreuses pres- sions” ont accompagné sa vie familiale et professionnelle. Il

fut invité à de nombreux débats. Lorsqu’il a poursuivi le Conseil régional pour faux en écriture publique sur les comptes, il a créé un tremblement de terre politique. C’était en 1994 et “tout le monde s’est mis contre moi. Je me suis senti menacé” se sou- vient-il. La justice aurait même tenté de le convaincre à ne pas engager de procédure. “Le pro- blème, c’est que je n’ai besoin de rien, seulement de savoir la véri- té” affirme cet ancien mécani- cien de formation, autodidacte sur les bords. Puis, vint ce com- bat contre son employeur (il était fonctionnaire) qu’il remporte après 13 années de procédure. “ a me permet d’avoir 150 euros en plus de ma retraite aujour- d’hui.” Vint ensuite cette bataille contre le Trésor Public coupable d’une augmentation de 50 % de sa taxe foncière (on lui a rem-

boursé l’augmentation !) ou enco- re cette lutte contre un géomètre qui tenta de lui subtiliser des mètres de carré de terrain. L’affaire a débuté en 2001 pour se terminer en 2006. Procédurier, Serge Grass l’est sans aucun doute. Guerrier, il ne l’est pas du tout : “Moi je suis un militant idéaliste. Quand le citoyen se comporte comme un sujet, alors le politique se com- porte comme unmonarque.Voilà pourquoi je me bats” affirme-t- il. À 66 ans, cet habitant de Nan- cray dit “être moins kamikaze” dans ses combats mais concède qu’il a encore de dossiers sur le feu… “C’est notamment le cas de la gestion des déchets et de l’incinérateur de Besançon. Le contribuable a payé trois fois cet équipement. LaVille a réussi son équilibre financier mais elle devrait rembourser 28 millions d’euros.” De nombreuses fois, il a inter- pellé la Chambre régionale des comptes pour qu’elle mette fin aux abus. Le résultat de ses luttes est mitigé : “Tout cela a un prix, admet Serge Grass. Je me suis créé pas mal d’inimitiés mais en même temps, j’ai appris beau- coup de choses. Aujourd’hui, je sais lire un compte administra- tif (rires).” Il a également for- mulé un pourvoi en annulation du décret “en ce qu’il déclare d’utilité publique la construc- tion de la branche Est du T.G.V. Rhin-Rhône.” C’était le 22 mars 2002. Selon lui, utiliser des fonds publics alors que le chantier conduit “à des dégradations envi- ronnementales, des préjudices économiques liés à un projet défi- citaire…est une grossière erreur.” L’avenir dira s’il a tort ou rai- son. L’homme a des principes et s’il paraît borné pour certains, il

s’en moque fichtrement. Mili- tant écologiste, il s’est engagé dans la voie de la lutte en 1976 lorsque Nancray voulut utili- ser les insecticides pour com- battre les hannetons. Sa lutte a payé. Aujourd’hui, il a créé “Agro-bio”, association qui pro- meut la vente de produits bio- logiques dans le Grand Besan- çon en tentant de limiter les intermédiaires. En marge, son association “Union civique des contri- buables citoyens” fonctionne. En retraite, Serge Grass a pris du recul mais garde intact son désir de dénoncer les abus notamment en matière d’utilisation frauduleuse de l’argent du contribuable. E.Ch.

Serge Grass passe à la

loupe les comptes

publics à la recherche, pourquoi pas, de mal- versations.

Made with FlippingBook flipbook maker