La Presse Bisontine 108 - Mars 2010

AGENDA

La Presse Bisontine n° 108 - Mars 2010

49

La langue “verte” de chez nous L’ÉVOLUTION SUR 500 ANS Larousse vient de rééditer le savoureux “Dictionnaire de l’argot et du français populaire” dirigé par l’universitaire linguiste bisontin Jean-Paul Colin. 15 000 mots et expressions puisés dans la langue verte. Commentaires de l’auteur.

Le linguiste franc- comtois Jean-Paul Colin a terminé sa carrière universitaire à Besançon.

taines ballades de François Villon pour le découvrir. Le premier argot était le code secret des filous qui montaient leurs coups dans les tripots. Petit à petit, cet argot s’est diffusé, est entré en contact avec le parler populaire. À une époque où beaucoup de gens étaient illet- trés, ils inventaient des mots. Puis cet argot s’est mélangé avec la langue populaire, voire avec les langues régionales. C’est comme ça qu’il s’est enrichi. L.P.B. :L’argot n’est plus un langage réservé aux“voyous” ? Comment s’est-il diffusé largement ? J.-P.C. : L’argot nous habite tous. Les mots “cul”, “couilles”, “con”… dans les médias, on les évi- te. Beaucoup de gens affirment ne pas dire de mots d’argot alors que pratiquement tout le monde emploiera ces expressions. Le “Casse- toi pauvre con” , ce n’est pas très distingué, il a pourtant été lâché. Au XIX ème siècle, les récits des flics ou des for- çats ont plu à beaucoup de monde. Vidocq a servi à Vautrin puis inspiré le Javert à Victor Hugo. L’argot est un moyen d’expression qu’on trouve aujourd’hui largement dans les polars.

DICTIONNAIRE La Presse Bisontine : D’où viennent les mots d’argot ? Jean-Paul Colin : Au départ, c’est un argot de la délinquance, utilisé par les voleurs de grand chemin, dès le XV ème siècle. Il suffit de lire cer-

ne sait plus si c’est du patois ou de l’argot. Il y a des mots du parler franc-comtois qui sont plutôt savoureux. Dans les années vingt, vers Gray, pour parler du pénis, on employait l’expression “bâton de ménage”… L.P.B. : Le dictionnaire s’adresse-t-il à tout le monde ? J.-P.C. : Oui, mais je pense que ce n’est pas un livre qu’il faut laisser traîner à proximité de gamins qui apprennent à lire. Ce dictionnai- re est réservé aux gens avertis. Il ne faut pas oublier que l’argot est souvent une langue de la méchanceté, de la vulgarité, de l’exploitation ou de la misogynie. L’amour, la bonté, la cha- rité, en argot, ces mots-là n’existent pas. Ce dictionnaire n’est donc pas à mettre entre toutes les mains.

J.-P.C. : Bien sûr, il évolue sans cesse depuis 500 ans. De François Villon jusqu’aux jeunes des cités, c’est 500 ans de créativité. L’argot est aussi une façon de se rebeller contre l’éducation des parents, l’école ou la loi. Le verlan qui continue à être très vivace rend également la langue française très vivante. L.P.B. : Faut-il faire de l’argot un élément d’apprentissage de la langue française ? J.-P.C. : Il faut faire attention à bien distinguer quand on enseigne le français, entre le fran- çais standard et le fait de s’amuser avec ce langage vivant qu’est l’argot. Il ne faut pas faire de démagogie et dire à ses élèves “Par- lez comme vous le sentez.” Je ne suis pas pour la confusion. Il ne faut pas dire n’importe quoi avec n’importe qui. L.P.B. : Y a-t-il un argot franc-comtois ? J.-P.C. : Les différences entre le patois et l’argot ne sont pas faciles à établir. Le mot “ratiboi- ser” est typiquement franc-comtois mais on

Propos recueillis par J.-F.H.

Dictionnaire de l’argot et du français populaire - Éditions Larousse

Un ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains.

L.P.B. : Et il continue à évoluer ?

Made with FlippingBook Online newsletter