Journal C'est à dire 321 - Novembre 2025
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LA PAGE DU FRONTALIER
Travail frontalier, l’envers du décor Valdahon
je ne pouvais plus travailler à plein temps. Ils m’ont fait signer un papier et à partir de ce moment précis, vous n’avez plus rien à voir avec la Suisse, pas de pension d’invalidité, pas d’in demnités. Je suis donc allé m’inscrire à Pôle Emploi.” Jérôme Vivot touchera des indemnités chômage dégressives pendant deux ans, mais dans l’incapa cité physique de reprendre un emploi à temps, il fera juste quelques missions de travail temporaires en France, avant de devoir renoncer définitivement à travailler. L’ancien frontalier a dû se résoudre à vendre sa maison, il n’est pour l’instant pas éligible aux A.P.L. pour son petit appartement de Valdahon et à 57 ans, il devra attendre encore huit ans avant de pouvoir prétendre bénéficier de sa retraite suisse. “En attendant, je vis de quoi ?” s’interroge t-il, contraint de puiser dans les quelques réserves qu’il s’était consti tuées au temps où il gagnait correcte ment sa vie. Opéré du dos, puis plus récemment des intestins, il passe encore beaucoup de temps à l’hôpital. “Certaines personnes pourraient penser que je ne fais pas d’effort pour retravailler, mais j’en suis bien incapable !” déplore M. Vivot qui dit faire à grand-peine les 500 mètres à pied qui séparent son domicile de la grande surface voisine. S’il a souhaité témoigner, c’est pour illustrer les difficultés que pourraient rencontrer des travailleurs frontaliers souvent enviés, mais dont le statut ne les protège pas toujours des accidents de la vie. “Quand tu as 30 ans et que tu es en bonne santé, la Suisse, c’est très bien. Mais si tu as un pépin de santé, le cercle infernal peut s’enclencher très vite…” n J.-F.H.
S i on voulait faire un mauvais jeu de mots, on dirait que Jérôme vivote depuis plus de trois ans. Cet ancien travail leur frontalier touché par une grave maladie se retrouve bien démuni. Jérôme Vivot a en effet été remercié de manière expéditive par son employeur alors qu’il se remettait d’un cancer. “L’entretien s’est passé en visio avec mon employeur et le service res sources humaines de la Coop. Le patron a juste fait un signe les bras en croix devant lui pour signifier, sans dire un Eldorado pour certains, le travail en Suisse peut vite se transformer en cauchemar quand il se termine comme l’a vécu Jérôme Vivot, ori ginaire d’Orchamps-Vennes.
mot, qu’il mettait fin à mon contrat. J’ai quitté la Suisse aus sitôt” raconte-t-il sans cacher son émotion. Couvert par l’assu rance-maladie, il per çoit actuellement un
“Les bras en croix, sans dire un mot,
il mettait fin à mon contrat.”
peu plus de 1 000 euros par mois, bien loin évidemment de son ancien salaire. Jérôme Vivot a démarré sa carrière en Suisse dès 1988, il n’avait même pas 20 ans. Titulaire d’un diplôme en hor ticulture, il travaille d’abord dans ce secteur d’activité pour un paysagiste vaudois, avant de devenir chauffeur, puis de bifurquer dans la construction de routes et de terminer sa carrière
Jérôme Vivot, 57 ans, se retrouve démuni après plus de trente ans à travailler en Suisse.
dans une grande surface de La Chaux de-Fonds. Des métiers manuels, souvent pénibles, qui lui provoqueront les maux dont il souffre depuis quelques années. “Tout le monde parle de l’eldorado suisse mais personne ne parle des accidents de la vie durant sa carrière profession nelle. Le travailleur frontalier vit bien
C’est en 2019 que sa vie professionnelle bascule après la découverte d’un lym phome de Hodgkin qui vaut à Jérôme Vivot de longs mois d’hospitalisation et de chimiothérapie. En rémission, il tente de reprendre le travail un an plus tard, mais à temps très partiel. “Mon chef n’a plus voulu de moi dès lors que
tant que la santé va ! Si sa santé se dégrade, ça devient très compliqué” témoigne le quinquagénaire installé à Valdahon. Depuis son licenciement sec, il a donc perdu plus de 40 000 de reve nus, et “la Suisse m’a bien laissé tomber après tant de bons et loyaux services” déplore-t-il.
Ces Suisses qui cherchent à s’installer en France Immobilier
Ils sont de plus en plus nombreux ces citoyens suisses qui choisissent de s’installer sur la bande frontalière, mais côté français. Les professionnels de l’immobilier confirment la tendance.
acceptés. Pour Sylvain De Oliveira, fon dateur et responsable du Cour tier Pontissalien et du Courtier Mortuacien, ce phénomène de migration résidentiel est toute fois limité géographiquement. “Quand des Suisses veulent venir s’installer en France, ils recher chent la proximité immédiate. Ils vont chercher des maisons du côté de Villers-le-Lac ou de Mor teau au plus loin s’ils travaillent dans le canton de Neuchâtel, ou du côté de Jougne voire des Hôpi taux-Neufs ou de Métabief s’ils travaillent dans le canton de Vaud. On a comme l’impression que la Suisse étale son territoire jusque chez nous sourit-il. En revanche, jamais ils ne cherche ront à s’installer à Ochamps Vennes ou à Frasne” analyse le professionnel. Résultat : cette tendance ne fait que contribuer à gonfler les prix et, même avec la crise immobi lière qui sévit depuis deux ans, à les maintenir à un haut niveau dans ces communes adossées à la frontière suisse. Et en cascade,
C e phénomène, les com munes les plus proches de la frontière comme Villers-le-Lac côté Mor teau, ou Jougne dans le secteur pontissalien confirment la ten dance, même s’il est impossible
nationalité suisse. “Je pense que ça représente près de 15 % de nos dossiers. Ces citoyens suisses, assez souvent d’origine portu gaise, espagnole ou italienne, recherchent des maisons car du côté suisse, devenir propriétaire
de disposer de statis tiques précises dans la mesure où l’inscription en mairie n’est pas obli gatoire pour eux. À Vil lers-le-Lac, la maire de
de sa maison est très compliqué” confirme le professionnel. L’attrait des Suisses pour une installation en France s’explique
Des T2 affichés à 1100 euros par mois.
La dynamique démographique des communes collées à la frontière s’explique en partie aussi par ce phénomène récent des Suisses qui viennent s’y installer (photo archive Càd).
les prix des locations restent eux aussi très élevés. C’est ainsi qu’on peut régulièrement trouver des T2 à 1 100 euros par mois dans ces quelques communes direc tement frontalières. À titre de comparaison, un logement de type T2 bis ou T3 peut se louer l’équivalent de 2000 euros par mois en Suisse. À ce tarif men suel, certains Suisses ont fait leur compte et n’hésitent plus à viser l’acquisition d’une maison
côté français. “On peut prendre l’exemple sur nous avons eu récemment d’une maison vendue 600 000 euros. Avec 150 000 euros d’apport, ces acquéreurs suisses accèdent à la propriété pour un loyer équivalent à 2200 euros par mois. Et tout le reste pour eux est moins cher qu’en Suisse : connexion Internet, courses ali mentaires et même l’assurance de la voiture qui est trois fois inférieure en France qu’en
Suisse.” Après un petit temps d’accalmie, liée à la crise et à l’inflation, les Suisses font donc leur grand retour en France. Elles s’étaient faites plus discrètes ces der nières années, mais depuis quelques mois, les plaques d’im matriculation suisses ont éga lement fait leur grand retour sur les parkings des supermar chés français. n J.-F.H.
la commune, Dominique Mollier, estime leur nombre “entre 200 et 300 foyers suisses” dit-elle. Soit pas loin de 10 % de la popu lation de la commune. Les professionnels de l’immobi lier confirment cette tendance. Courtier à Morteau au sein de l’agence Le Courtier Mortuacien, Laurent Billod monte réguliè rement des dossiers de demande de prêts pour des acquéreurs de
avant tout par le coût de la vie quotidienne côté Suisse où les forfaits Internet y sont trois à quatre fois plus élevés qu’en France, celui de la téléphonie mobile, des abonnements télé, des assurances habitation, etc. Et même si les banques fran çaises y regardent à deux fois avant d’accorder un prêt à un candidat à l’acquisition suisse, les dossiers sont en général
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