Journal C'est à dire 317 - Juin 2025
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LE PORTRAIT
Tahitien de Morteau et Mortuacien de Tahiti Installé aujourd’hui à Tahiti, le Mortuacien Emmanuel - Manu - Faaitoa a su marier pour le meilleur de sa double culture tahitienne et haut-doubiste. Jusqu’à créer sa propre marque de montres polynésiennes rehaussées de nacre et de perles noires. Morteau
O n pourrait l’appeler le “Mor tahitien”, tellement il a su conserver le meilleur de ses deux cultures : mortuacienne de par sa mère, et polynésienne de par
séparés mais ont toujours gardé de bonnes relations. Ils disaient qu’ils n’étaient pas divorcés, mais juste séparés par l’océan…” sourit le quinquagénaire qui a donc su faire de sa double culture une force.
son père. Manu Faaitoa a grandi à Morteau, il y a passé toute sa jeunesse: le foot, l’école, la musique, les amis, les souvenirs… Il est un pur produit du Haut-Doubs. Mais il a rapidement acquis les codes polynésiens en allant chaque
Il se considère d’abord comme un enfant du Haut-Doubs. Logique, puisqu’il est issu d’une grande famille mortua cienne par sa mère - une fra trie Droz-Vincent de 12 enfants. “J’ai 42 cousins ger
Père de trois enfants, grand-père de quatre petits-enfants.
Manu Faaitoa revendique plus que jamais sa double appartenance culturelle.
été retrouver son père à Tahiti. “Mon père était militaire, il était venu dans le Haut-Doubs pour soigner ses pou mons. C’est à l’hôpital militaire de Mor teau qu’il a rencontré ma mère en 1966, je suis né en 1968. Plus tard, ils se sont
mains, je suis le plus jeune.” Les Cattin, Faivre-Dutec et autres Lascaugiraud, anciennes familles horlogères du Val de Morteau comptent parmi ces cousins directs. C’est dire si l’horlogerie fait partie depuis longtemps de l’A.D.N. de
cet homme qui créera quelques décennies plus tard sa propre marque de montre. C’est également auprès de sa mère Élisabeth que le jeune Manu soignera son goût des autres et sens du relationnel. “Ma mère tenait l’Hôtel des Montagnards. Tout gamin, j’accueillais déjà les clients, j’allais chercher le pain chez Gaume pour les petits-déjeu ners. C’est sans doute de là que je tiens ma gouaille !” dit il. Dès son enfance, il s’est éga lement trempé dans la culture polynésienne que lui a trans mise son père. “Tous les étés, j’allais retrouver mon père à Tahiti. L’hiver je faisais du ski dans le Haut-Doubs, l’été du surf à Tahiti. C’était un vrai privilège pour un gamin de mon âge.” Le reste de l’an née, c’est Morteau, les copains, son groupe de musique avec lequel il a écumé les bals de la région et de Suisse voisine pendant près de vingt ans, et le foot dont il rêvait de faire son métier, jusqu’à ce qu’un malheureux accident mette fin à ses rêves de gosse. “En nettoyant les abords du stade de Morteau, j’ai reçu une plaque qui s’est détachée des barrières, elle m’a sectionné le gros orteil. La semaine sui vante, je recevais la lettre qui m’annonçait que j’étais pris au centre de formation de Sochaux…” Suite au décès de son père il y a vingt ans, Manu Faaitoa décide de se rapprocher un peu plus de l’archipel paternel. Il quitte alors son emploi en Suisse, vend sa maison des Combes et part s’installer à Tahiti. C’est là qu’il peaufine le projet qui lui trotte dans la tête depuis un certain temps: la création d’une marque de montre. Soutenue par son épouse Emmanuelle (Manue), il crée la marque “Temanus” (“Les Manus” en
polynésien). De quoi étonner la profession horlogère cam pée sur ses certitudes, et ren dre sans doute un peu jaloux les Polynésiens “de souche” qui voient innover ce nouveau venu avec un brin de circons pection. “Les Tahitiens m’ont toujours un peu considéré comme un “demi”, ils ont été surpris de voir que quelqu’un qui n’était pas né dans l’ar chipel pouvait créer quelque chose, avec les perles et la nacre de Tahiti.” À force de persévérance et soutenu par sa femme Emma nuelle dans les moments de doute, Manu a poursuivi son travail de création pour impo ser sa marque “Temanus” et la faire connaître à travers les différents salons auxquels il participe quand il revient chaque printemps passer quelques mois en métropole. Son heure de gloire, il l’a enfin connue il y a deux ans quand ses modèles ont été choisis pour représenter la Polynésie française au grand salon du “Fabriqué en France” organisé chaque année à l’Élysée par la présidence de la Répu blique. “Les puristes de l’hor logerie trouveront toujours à redire sur mes montres, mais
je sais qu’au moins, j’ai un produit unique au monde et que je mets tout mon cœur dans ce que je fais. J’ai créé la première et seule marque de montres polynésiennes et j’en suis fier !” observe le créa teur qui travaille avec un gra veur de nacre sur son île du Pacifique. Récemment, les 20 et 21 juin, Manu Faaitoa a exposé au salon des “24 Heures du temps” à Besançon où il a pu nouer de nouvelles discus sions avec les amateurs d’hor logerie. “À chaque fois que je reviens en métropole, je ren contre un maximum de monde. J’adore le contact, j’aime partager des choses avec les gens” dit-il. Père de trois enfants, grand père de quatre petits-enfants, Manu Faaitoa continue à cul tiver le meilleur des cultures qui l’ont nourri depuis gamin. Un pied à Tahiti où il pense s’installer définitivement - “Je n’ai toujours pas reçu de note de chauffage là-bas !” rit il. Et une grande partie de son cœur toujours ancré dans le Haut-Doubs où il met un point d’honneur à revenir tous les ans. n J.-F.H.
Le Mortuacien a récemment exposé ses modèles de montres aux “24 Heures du temps à Besançon” (photo Éric Marin).
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