Journal C'est à dire 306 - Juin 2024
LA PAGE DU FRONTALIER
Aloïs Huguenin, cloche de bronze aux J.O. La Chaux-de-Fonds
céder au coulage du bronze, chauffé à 1 200 °C, dans l’empreinte de la cloche. Viennent ensuite les opérations d’ébar bage, de sablage et de tournage pour adoucir les bords de l’objet, le ciseler, et le lustrer. Au terme de cette labo rieuse fabrication, on croirait presque que le bronze s’est mué en or. “C’estun boulot très éprouvant physiquement et dangereux : je porte une combinaison lors de la fonte et je dois faire attention lors du tournage de ne pas approcher mes mains trop près de la machine” , détaille le jeune artisan. L’attention et la minutie n’empêchent cependant pas les erreurs : “On loupe environ 10 % des cloches : c’est-à-dire que sur 30 cloches produites par mois, on en rate trois à cause d’un imprévu ou, tout bête ment, à cause de la présence d’air au moment fatidique de la coulée. Cela fait partie du métier. Je n’ai pas d’ap pareils de mesures, je fais tout à l’œil.” Aloïs Huguenin est l’un des dix derniers fondeurs de cloches en Suisse. De quoi affirmer qu’il nourrit pour son métier une passion d’airain. n R.G. L’histoire de la fonderie débute non pas dans les montagnes neuchâteloises, mais dans le Piémont italien, dans la première moitié du XIXème siècle. Les fondeurs de cloches étaient au départ des chaudronniers piémontais travaillant comme saisonniers dans le canton de Neuchâtel. Avec le cuivre dont ils se servaient pour confectionner leurs chau drons, ils leur arrivaient de fabriquer de petites clochettes avant de repartir pour l’Italie, à l’automne. Peu à peu, ces fondeurs italiens se sédentarisent. C’est ainsi que la famille Barinotto s’éta blit près de La Brévine, en 1834, avant de s’implanter et de créer une fonderie à La Chaux-de-Fonds, en 1926. Qua rante ans plus tard, Raymond Blondeau rachète l’entreprise. C’est son gendre, Serge Huguenin, puis son petit-fils, Aloïs, qui ont repris le flambeau. n La fonderie Blondeau, du Pô aux montagnes neuchâteloises
Petit-fils de Raymond Blondeau, ce jeune Suisse a repris les manettes de la fonderie familiale, à La Chaux-de-Fonds, en 2018. Il a fait du travail du bronze un art de la précision afin de proposer ses œuvres au grand public et pour les plus grands événements sportifs, à l’instar des Jeux olympiques dont il est le fondeur officiel.
vendues dans les boutiques souvenirs, mais c’est autre chose !” Depuis 1980, la fonderie Blondeau reçoit aussi les commandes de clients olympiques : “À l’occasion des J.O. de Moscou, l’entreprise Oméga, qui fait maintenant partie du Swatch Group, a proposé à mon grand-père de confec tionner des cloches pour certaines épreuves des Jeux.” Alors que sa pro duction était en déclin dans les années quatre-vingt, la fonderie retrouve un second souffle et une notoriété en par ticipant, même modestement, à ce grand événement quadriennal. “Cette année, R.T.S. et TF1 ont réalisé des reportages sur les cloches qui vont servir aux J.O. de Paris. Il y a aussi l’A.F.P. qui nous a rendu visite, donc je pense que des gens du monde entier ont pu voir notre travail” , souligne Aloïs en songeant à ses devanciers qui n’ont pas eu la chance de plastronner devant les caméras. Pour les J.O. 2024, il a dû réaliser 38 cloches d’une trentaine de centimètres, ornées de disques et de flammes olym piques, que l’on entendra résonner lors des épreuves d’athlétisme ou de cyclisme sur piste. Passionné de sport, Aloïs craint de ne pas pouvoir assister aux Jeux : “J’aimerais aller les voir, car c’est tout près. J’ai demandé des places à la direction d’Oméga, mais je n’ai toujours pas eu de réponse de leur part.” Bien qu’il ait sculpté des cloches pour des dizaines d’événements sportifs,
“I l y a du bruit ! Pas vrai ?” Dans son atelier, niché au cœur de La Chaux-de-Fonds, Aloïs Huguenin admire le travail de son collègue Ewan, casque anti-bruit vissé sur les oreilles, qui emploie un marteau pneumatique pour créer un moule servant à reproduire des lettres en bronze. Le bronze, ce fin alliage de cuivre et d’étain, est le quo tidien de ces jeunes fondeurs suisse. Voilà six ans qu’Aloïs a repris l’entre prise familiale, la fonderie Blondeau, qui employait encore huit personnes il y a vingt ans. “Mon grand-père, Ray mond Blondeau, produisait surtout des cloches pour l’agriculture. Il s’en fichait un peu de la qualité finale du produit : s’il y avait une impureté, cela ne déran geait pas l’éleveur, explique-t-il en empoi gnant une cloche partiellement rouillée. Aujourd’hui, je fabrique vingt cloches par an pour les vaches, donc très peu. Je privilégie la qualité pour attirer d’autres clients. La fonderie reçoit, par exemple, beaucoup de visiteurs qui sont émerveillés par le bronze et la résonance qu’il produit. C’est plus cher (entre 60 et 300 euros) que les clochettes en laiton
dont le Tour de France, et même pour des champions, comme le tennisman helvète Stanislas Wawrinka, il demeure très humble. “Je n’ai pas fait d’études pour apprendre mon métier. J’ai appris sur le tas en travaillant aux côtés de monpère” , aime-t-il à préciser. Ce que lui a enseigné son paternel, ce sont des techniques utilisées depuis près de 200 ans par les fondeurs de cloches. “Ceux qui ont créé la fonderie, des Italiens du Piémont, étamaient au départ des chau drons. Ils n’ont pas eu beaucoup de mal à fabriquer des cloches par la suite. Leur méthode de fabrication n’a pas beaucoup évolué, le mazout remplaçant simplement aujourd’hui le coke pour faire chauffer le four” , note-t-il. La confection d’une cloche, comme celle que l’on pourra observer au Stade de France cet été, nécessite plusieurs étapes. La première et la plus technique étant le moulage : “Pour cette opération, on utilise une cloche-modèle que l’on place dans un moule en métal. On la recouvre ensuite avec une terre argileuse noire, le sable de Paris, qui va prendre la forme de la cloche au cours du séchage.” Pour imprimer des caractères sur son ouvrage, le fondeur emploie des tiges pourvues au bout de lettres ou de décors en métal. “La précision et la concentration sont des qualités pri mordiales dans mon métier” , insiste Aloïs. Quand le sable devient enfin dur comme de la pierre, l’artisan peut pro Aloïs Huguenin présente un exemple de cloche confectionnée pour les J.O. de Paris 2024.
Étape du moulage avec la pose des caractères sur le sable de Paris.
Les cloches fabriquées à La Chaux-de-Fonds sont loin d’être des bourdons d’église, les plus grosses ne dépassant pas 10 kg.
Relations Suisse-U.E. : un nouvel accord-cadre sur la table Le Conseil fédéral suisse et la Commission européenne ont adopté un mandat de négociation en vue de moderniser et d’approfondir les rapports entre l’Union européenne et son voisin helvète. Si les deux parties trouvent un accord, ce sera au prix de lourdes concessions pour la Suisse. Suisse
signature d’un premier accord cadre. Les détracteurs de ce pro jet de consensus sont toujours les mêmes aujourd’hui : “L’U.D.C., un parti populiste, a toujours été hostile à l’U.E. Le gouvernement suisse devra éga lement convaincre les syndicats, qui veulent des garanties quant à la protection des salaires.” L’épilogue de ces négociations devrait intervenir à l’automne, au terme de la législature de la Commission européenne. Pour être adopté, l’accord-cadre devra encore passer par le Parlement européen et le Conseil de l’U.E. Côté suisse, un référendum est demandé. “Même s’il est signé, cet accord ne sera pas ratifié avant plusieurs années” ,tempère Valérie Pagnot. n R.G. * Source : https://www.toute leurope.eu/l-ue-dans-le monde/les-relations-entre-la suisse-et-l-union-europeenne/
comme nous l’avons noté plus haut, signé de nombreux accords bilatéraux pour harmoniser leurs relations économiques et commerciales, sans pour autant arriver à une situation qui satis fasse les Vingt-sept. “Après 1992 et le refus des Suisses d’intégrer l’Union, les accords bilatéraux n’avaient pas vocation à être éternels. En effet, les Européens ont toujours espéré que la Confé dération adhère un jour à leur idéal, explique Valérie Pagnot. Par ces accords, nos voisins hel vètes doivent reprendre une par tie du droit européen, non l’in tégralité. Cela leur convenait très bien. Pas à l’U.E., qui a demandé, dès les années 2000, pour qu’un accord institutionnel soit trouvé.” En 2021, la Suisse a coupé court aux négociations préalables la
“L’Union européenne est son pre mier partenaire économique” , avance Valérie Pagnot, maire de Bonnétage et conseillère régionale de Bourgogne Franche-Comté déléguée à la coopération transfrontalière. Cette place au sommet du podium est visible simplement en scrutant une statistique : la Suisse réalise 60 % de son com merce extérieur avec l’U.E*. En outre, la Confédération a adhéré en 2008 à l’espace Schengen, favorisant ainsi la libre circu lation des personnes entre les deux espaces. Chaque jour, 340 000 citoyens européens se rendent en Suisse pour y tra vailler*, assurant ainsi, insiste la conseillère régionale, “la bonne santé économique de ce pays.” Berne et Bruxelles ont enfin,
D eux femmes vêtues de rouge s’échangeaient une franche poignée de main devant un drapeau étoilé, le 18 mars dernier. La présidente de la Confédération Viola Amherd et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont ouvert, après deux ans de discussions explo ratoires, les négociations entre la Suisse et l’Union européenne dans le but de réactualiser les liens bilatéraux qui unissent les deux parties. Le mandat de négociation adopté par la Commission euro péenne et le Conseil fédéral
suisse contient un ensemble de mesures âprement débattu à Bruxelles comme à Berne. Parmi ce paquet d’accords de coopéra tion, qui pourrait aboutir à un accord-cadre institutionnel, on retrouve des exigences formulées par l’U.E. à l’égard de la Confé dération. Pour accéder librement au marché européen, celle-ci devra, par exemple, reprendre dans son droit les éléments ins titutionnels issus des accords relatifs au marché intérieur. Les négociations prévoient aussi de fixer la contribution financière helvète au programme de cohé sion européen. Enfin, à côté des
accords bilatéraux existant sur les transports terrestres ou l’agriculture, la Suisse veut déve lopper une coopération dans les domaines de la sécurité alimen taire et de la production d’élec tricité. Il est évident que la Confédération a besoin de trou ver un consensus avec les Vingt sept, ne serait que pour parti ciper à des programmes de recherche, comme Horizon Europe, ou d’éducation, tel Eras mus. La Suisse a beau cultiver sa neutralité séculaire, elle demeure néanmoins dépendante de son grand voisin européen.
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