Journal C'est à dire 305 - Mai 2024

DOSS I ER

“Il y aura forcément des travaux à entreprendre sur les rivières du Haut-Doubs” Hydrogéologie Hydrogéologue spécialiste du milieu karstique, Jean-Pierre Mettetal estime que les possibilités de maintenir un niveau du Doubs correct en période d’étiage existent. Il faut de la volonté et des moyens.

Jean-Pierre Mettetal est hydrogéologue agréé coordinateur pour le département duDoubs.

développement des algues dû au phé nomène d’eutrophisation est, heureuse ment, révolu. Mais le résultat est aussi l’accélération des pertes du Doubs. Càd : Il n’y aurait rien à faire pour les empêcher ? J.-P.M. : On sait où se situent ces failles et ces fuites. J’avais proposé qu’on modifie légèrement le cours du Doubs à certains endroits entre Pontarlier et Remonot, notamment à hauteur d’Arçon, pour évi ter certaines de ces fuites qui sont situées en bordure du lit du Doubs, mais les éco los ont dit non. On avait réfléchi à un système qui permettrait de basculer sur un autre mode dans le cas où la Loue n’était plus alimentée, mais les opposi tions ont eu raison de ces projets qui pourraient pourtant être mis en œuvre. On ne doit pas baisser la garde, il y aura forcément dans les années à venir des travaux à entreprendre sur les rivières du Haut-Doubs. Càd : Et qu’en est-il dans les bassins du Doubs après les tentatives de rebou chage des fuites que vous aviez pilotées il y a plusieurs décennies ? J.-P.M. : Entre-temps, de nouvelles pertes ont été trouvées à 35 mètres de profondeur au droit du débarcadère suisse. L’idée d’engager une nouvelle

C’ est à dire : Quelle est la situa tion des nappes phréatiques dans le Haut-Doubs ? Jean-Pierre Mettetal : Depuis plusieurs mois, il pleut de façon certes désagréable, mais régulière, et on peut dire qu’ac tuellement, nous sommes dans une situa tion idéale. Si bien que les nappes sont au-dessus de leur niveau normal un peu partout dans le département. Tout est

pices, mais s’il s’arrêtait de pleuvoir fin mai, le Doubs serait à sec en septembre. Il ne faut pas oublier la nature karstique de notre sous-sol et les pertes du Doubs qui existent depuis toujours entre Pon tarlier et Morteau et au niveau des bas sins du Doubs sont un phénomène natu rel, que tout le monde semble redécouvrir à chaque sécheresse, mais qui ne va pas aller en s’améliorant. Car plus l’eau s’écoule dans ces failles, plus les conduits karstiques ont tendance à s’ouvrir. Càd : Il semble tout de même que le Doubs se vide plus vite entre Pontar lier et Remonot dès qu’un épisode de sécheresse perdure un peu. C’est un constat qui est juste ? J.-P.M. : Oui c’est juste et ça s’explique par le fait que la station de traitement des eaux de Pontarlier dispose désormais d’un système de traitement du phosphore. La conséquence, c’est que toutes les algues qui tapissaient le Doubs à hauteur d’Arçon ou Ville-du-Pont n’ont plus de nourriture pour se développer et ont dis paru. Elles formaient comme une sorte de tapis qui ralentissait les pertes du Doubs. Ce spectacle peu ragoûtant de

plein à ras bord ! À certains endroits où de l’eau stagne, ce ne sont pas des inon dations, mais bel et bien le niveau de la nappe qui affleure. Càd : La situation est donc rassurante par rapport à ce qu’on a connu à plu sieurs reprises depuis 2018 ? J.-P.M. : La situation est actuellement idéale et on part sous les meilleurs aus

opération de rebouchage des fuites est à nouveau étudiée par un groupe de tra vail franco-suisse. Il faut pousser plus loin la recherche d’éventuelles nouvelles pertes, mais cela nécessite que tout le monde s’accorde à engager de nouveaux investissements sur cette question. Càd : Et si le consensus existe, il pourrait à nouveau se faire des tra vaux de rebouchage ? Et avec quelle méthode ? J.-P.M. : Il n’y a pas d’autres méthodes que d’injecter du béton. On nous parle de géotextile mais ces matières ne sont pas du tout étanches et la membrane éclaterait avec le poids de l’eau à cette profondeur. Selon moi, il y a longtemps que ce projet aurait dû être repris et

Les bassins duDoubs lors de la fameuse sécheresse de 1906

(photo D.R.).

La batellerie en proie au doute Villers-le-Lac Depuis quelques années, l’activité des bateliers qui naviguent dans les bassins du Doubs se complique avec la récurrence des sécheresses obligeant à déplacer les points d’embarquement en fonction du niveau d’eau. L’impact économique est loin d’être négligeable.

Zoom “ On s’adapte sans souci ” La Compagnie Droz-Bartholet à Villers-le-Lac.

de captations entre Mouthe et Pon tarlier, sans oublier bien sûr les fuites qui ont toujours été observées dans les bassins du Doubs. Tout cela accumulé, on arrive à perdre 23 cm de niveau d’eau par jour dans les bassins en pleine sécheresse alors qu’on était à 15 cm d’abaissement journalier avant 2018.” Le Chantier naval franco-suisse est aussi spécialisé dans la fabri cation de bateaux de navigation. Une activité complémentaire indis pensable pour assurer l’équilibre financier de l’entreprise. “Aujourd’hui, la construction comble seulement les pertes de l’activité excursions. On pensait naviguer davantage en hiver mais la clientèle se fait rare à cette époque. On s’est développé en installant d’autres bateaux sur un nouveau site à Gray.” Le co-gérant du Chantier naval franco-suisse déplore également la récurrence des travaux à l’entrée de Villers qui ne facilite pas l’accès à la base des Vedettes panora miques du Saut du Doubs. “Depuis cinq ans, on déguste pas mal. Pour autant, on y croit encore. On aime ce que l’on fait et on prend toujours autant de plaisir à faire découvrir notre belle région.” Quand les condi tions sont propices, la demande est toujours au rendez-vous. “Enavril, on a fait une quinzaine de réserva tions de groupes, contre cinq habi tuellement. Il ne faut jamais négliger le début de saison même si c’est loin de compenser tout ce que l’on perd en juillet-août.” n F.C.

L e manque d’eau, comme le manque de neige pour les professionnels du ski, pénalise les compagnies de navigation fluviale. “C’est un gros problème. Chaque été depuis quatre ou cinq ans, on manque d’eau. On est contraint de décaler les points d’embarquement et tout devient plus compliqué pour nous, pour les employés, pour les clients. On a mis en place trois autres départs à l’entrée du lac des Brenets,

au début des gorges, ou carrément depuis la base du Saut du Doubs quand le niveau est au plus bas. Cela sous-tend d’acheminer les clients avec une vraie logistique et des charges de transport supplé mentaires” explique Antoine Michel, associé aujourd’hui avec sa sœur Muriel à la tête du Chantier naval franco-suisse et ses Vedettes pano ramiques du Saut du Doubs. L’activité croisière est fortement impactée par les sécheresses esti

vales. “Cela peut varier du simple au double par rapport à une année normale.” Les bateliers qui navi guent dans les bassins du Doubs subissent également les contrecoups de la médiatisation du Saut du Doubs quand celui-ci est à sec. “Les touristes viennent moins quand ils savent que la cascade ne coule plus alors que la navigation dans les bassins offre des vues spectaculaires. C’est grandiose. La baisse du niveau d’eau révèle aussi des rochers, des figures minérales splendides.” Antoine Michel regrette que la com munication touristique focalise sans doute trop sur le Saut du Doubs en négligeant la beauté des bassins. Les Vedettes panoramiques du Saut du Doubs, ce sont deux bateaux à propulsion hybride et électro-solaire. En haute saison touristique, quatre à cinq personnes sont mobilisées sur l’activité croi sière. “Quand la sécheresse arrive, l’effectif tombe à deux. On doute de la pérennité du site si rien n’est fait en amont de Villers-le-Lac pour assurer un minimum de débit dans le Doubs. Les fortes précipitations de l’hiver 2018 ont raboté le fond de la rivière et mis à jour de nou velles brèches vers Maisons-du Bois. Il y a aussi de plus en plus

L e moral est au beau fixe à la compagnie Droz-Bartholet qui fait naviguer quatre bateaux de croisière entre Villers le-Lac et le débarcadère du Saut du Doubs. “On s’adapte sans souci aux variations du niveau d’eau en déplaçant les points d’embarquement. Ce qui nous cause le plus de tort, c’est toute la communication autour des sécheresses qui peut décou rager certains de venir” , explique Tiffany Droz-Bartholet qui a repris les rênes de l’entreprise familiale en novembre 2020. La saison des croisières débute dans des conditions très favo rables : les bassins sont pleins, le Saut du Doubs est majestueux et le planning des réservations se remplit à un bon rythme. “On a pratiquement finalisé notre recrutement. Il reste quelques postes à pourvoir. On a la chance de travailler avec des capitaines qui nous sont fidèles depuis très longtemps” , apprécie la jeune gérante. n Ce printemps pluvieux s’avère particulièrement propice au lancement de la saison des croisières dans les bassins du Doubs (photo Bateaux du Saut du Doubs).

Les sécheresses à répétition contraignent les bateliers à mettre en place différents embarcadères en fonction du niveau d’eau.

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