Journal C'est à dire 294 - Mai 2023
SOC I É T É
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Politique
“L’autonomie des écoles, c’est la clé de la réussite” Le sénateur du Doubs Jacques Grosperrin vient de rendre un rapport sénatorial proposant des pistes d’amélioration pour l’école de la République. Le niveau des élèves français de primaire continue de baisser.
C’ est à dire: Comment se porte l’école en France? Jacques Grosperrin : Avec l’ar gent qu’on y consacre tous les ans, les résultats devraient être excellents, ce qui n’est hélas pas le cas. Avec près de 60 milliards d’euros, c’est le premier budget de la Nation. Les résultats ne sont pas à la hauteur de cet investissement. Càd: Sur quel constat vous basez-vous pour affirmer cela? J.G. : Sur l’ensemble des éva luations internationales menées depuis des années, et elles sont irréfutables. Toutes ces études montrent que dans les matières où on met le plus d’autonomie aux écoles. L’exemple de la Fin lande où j’ai déjà eu l’occasion de me rendre pour étudier le sys tème éducatif est en cela très parlant. Contrairement à ce qu’affirment certains syndicats ici en France, ce n’est pas qu’une question d’argent. Dans notre système éducatif, les bons élèves restent bons élèves, les élèves moyens parviennent à progresser mais surtout, on n’arrive pas à faire remontent les élèves les plus en difficultés. Mais le pro blème principal de l’Éducation nationale en France, c’est que chaque ministre chasse la réforme de son prédécesseur. Or, le temps de la vie scolaire n’est pas le temps de la vie politique. Càd: Qu’entendez-vous par plus d’autonomie? J.G. : Les systèmes les plus per formants sont ceux qui donnent fondamentales que sont le français et les mathématiques, nos petits Français sont à la traîne. Ce n’est pas là où on met le plus de moyens que ça fonctionne, mais là
le plus de place à la liberté et à l’autonomie des établissements scolaires. Piloter par le haut les équipes pédagogiques ne donne pas de bons résultats, on le voit. L’Éducation nationale souffre énormément de la verticalité. Plus d’autonomie, ça veut notam ment dire un vrai chef d’établis sement dans les écoles primaires, à l’image de ce qui se fait dans les collèges et les lycées, c’est-à dire un directeur qui ait autorité sur les enseignants pour donner des orientations, fixer un cap en matière pédagogique et organi sationnel, qu’il ait lui-même la possibilité de recruter certains enseignants. Et que les établis sements aient aussi plus d’au tonomie dans leur gestion, que Càd : Parmi les pro positions émises par votre commission sénatoriale, la seule à avoir été rejetée, figu rait le port de l’uniforme. Vous le défendez? J.G. : Cette disposition n’a pas été retenue en effet mais per sonnellement, je continue de penser que le port de l’uniforme à l’école est un bon moyen de niveler les différences sociales entre les élèves, et de donner aux enfants un sentiment d’ap partenance à un établissement, à un collectif. C’est une vraie question qui se pose, notamment dans certains établissements de la région parisienne. Càd : Une des élues qui a par ticipé aux débats, la sénatrice écologiste Monique de Marco estimait que les articles de la proposition de loi que vous avez présentée sont tous des marqueurs de droite en les directeurs puis sent choisir leurs outils pédagogiques, tout en respectant évidemment les pro grammes nationaux.
“En France, chaque ministre chasse la réforme de son prédécesseur.”
Le sénateur Jacques Grosperrin est le rapporteur de cette proposition de loi intitulée “École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité.”
tion des minorités. On sent bien qu’il y a des sujets sur lesquels il n’est pas très à l’aise, en espé rant notamment qu’il ne rouvrira pas le conflit entre l’école publique et l’école privée… Je pense que Pap N’Diaye est un type cultivé, intelligent, mais ces qualités ne sont sans doute pas suffisantes pour faire un bon ministre de l’Éducation natio nale. Jean-Michel Blanquer avait su faire bouger les lignes. Pap N’Diaye est beaucoup trop en retrait alors qu’il devrait être un initiateur de changements. Un signe : la dernière lettre de rentrée adressée au corps ensei gnant n’avait pas été faite par lui, mais par Emmanuel Macron… Càd : Vous évoquez aussi dans notre proposition de loi les territoires ruraux qui selon vous seraient désavantagés. Que suggérez-vous? J.G. : En milieu rural, je pense qu’il faut qu’on accepte la pos sibilité de garder des classes avec moins d’élèves, qu’on puisse créer des zones d’éducation rurale comme on a su créer les zones d’éducation prioritaire dans les quartiers difficiles. Je pense qu’on devrait arriver à mieux sanctuariser les écoles dans la ruralité. Pour cela, il faut que Paris sache mieux écouter les élus locaux. n Propos recueillis par J.-F.H.
matière d’éducation… J.G. : Et ce serait un défaut d’être de droite ?… J’ai été fier de porter ces propositions, on ne peut pas accepter d’être passifs par rap port à ce qui se passe dans cer tains établissements scolaires en France et au regard de la baisse globale du niveau de nos élèves. L’idée de cette proposition de loi dont tous les articles (sauf celui sur le port de l’uniforme) ont été votés à une large majorité, est bien d’alerter et de faire évo luer le ministre de l’Éducation nationale sur l’école. C’était aussi une occasion d’entendre ce minis tre dont on ne connaît finalement pas très bien les convictions.
I.U.F.M. devenus I.N.S.P.É. doi vent évoluer aussi car ils ne for ment plus correctement les ensei gnants. On souhaiterait que les directeurs de ces instituts soient nommés directement par le ministre et non plus par les Uni versités dont ils dépendent. Enseigner dans le primaire, c’est faire classe, pas faire cours. Une formation dispensée à des futurs enseignants par des universi
Càd : Quelle sera la suite de cette proposition de loi adop tée par le Sénat le mois der nier? J.G. : Cette proposition doit par tir à l’Assemblée Nationale. Il faut désormais que les Républi cains trouvent une niche afin qu’elle puisse être votée et adop tée. On a eu trop de débats sur l’Éducation nationale au Sénat
taires qui leur expli quent comment ça se passe dans une classe alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds devant des élèves, ça ne peut pas fonctionner. Il est quand
comme à l’Assemblée, il s’agit maintenant de passer à l’action et d’avancer sur ces ques tions. Je suis convaincu que cette proposition de loi fera son chemin et
“Le ministre Pap N’Diaye est beaucoup trop en retrait.”
même triste que nos meilleurs étudiants ne se dirigent plus vers ces métiers de l’enseigne ment qui pourtant sont formi dables et cela, parce que ces métiers manquent cruellement de reconnaissance. Càd: Comment jugez-vous l’action du ministre Pap N’Diaye? J.G. : Cette proposition de loi avait justement aussi pour objec tif que ce ministre se révèle un peu plus sur ses intentions concernant l’école. Hélas on n’en sait toujours pas plus sur sa vision de l’école en France, il reste très, trop prudent. Et par fois reste en contradiction avec sa position de chercheur qui a beaucoup travaillé sur la ques
contribuera à faire évoluer les choses dans le bon sens. Le pro blème, il faut aussi l’avouer, c’est qu’en matière d’Éducation natio nale, on subit encore hélas les effets de Mai 68 avec des ensei gnants qui disons-le, n’acceptent toujours pas d’avoir un chef ou une autorité au-dessus de leur tête. Notre rôle est aussi de secouer le cocotier. J’en suis convaincu: l’autonomie des écoles, c’est la clé de la réussite. Avec plus d’autonomie, on va responsabiliser les encadrants, les enseignants et les élèves. Càd: N’y a-t-il pas aussi un problème de formation des enseignants des écoles? J.G. : Il y a en effet un gros pro blème de formation. Les anciens
Zoom Les principaux constats de la commission l Malgré des dépenses importantes en France en faveur de l’éducation, notamment de l’éducation prioritaire, les inégalités entre les élèves demeurent très fortes. La dernière étude P.I.S.A. (2018) montre que comparé à ceux des autres pays de l’O.C.D.E., le système scolaire français favorise la réussite des enfants qui réussissent le mieux tandis qu’il est de moins en moins capable de faire réussir les enfants les moins privilégiés. La France reste l’un des pays où l’origine sociale des élèves conditionne le plus leur parcours scolaire. l L’étude internationale T.I.M.S.S. 2019 permet de constater quant à elle que les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles : au lieu des 25 % attendus dans le quartile inférieur, ils sont 45 % en mathématiques et 41 % en sciences. 15 % des élèves français - soit 1 sur 7 - ne maîtrisent pas les compétences élémentaires en mathématiques, ils sont seulement 6 % au niveau européen. l Les évaluations intergénérationnelles mettent également en lumière une baisse de la maîtrise des savoirs fondamentaux. En 40 ans, sur une même dictée, les élèves de CM2 de 2021 font significativement plus de fautes que leurs prédécesseurs de 1987.
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