Journal C'est à dire 288 - Novembre 2022

D O S S I E R

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“Il y a encore une porte de sortie si l’on s’y met tous ensemble” Un ancien membre du G.I.E.C. Enseignant-chercheur aujourd’hui en retraite, Yves Fouquart est un spécialiste de l’effet de serre. Ancien membre du G.I.E.C., cet expert climatologue vit aujourd’hui dans le Haut-Doubs. Rencontre.

C’ est àdire : Originaire dunord, qu’est-ce qui vous a poussé à venir vivre dans le Haut-Doubs ? Yves Fouquart : Je suis arrivé ici en 2004 au moment de la retraite. Je vivais à Lille. C’est une région assez plate. Ici il y a du relief, de la neige. On peut skier, faire du vélo, c’est ce que je recherchais. Càd : Vous n’êtes pas un réfu gié climatique ? Y.F. : Non ! Càd : L’évolution climatique au cours de ladernière décen nie est-elle conforme à ce que vous attendiez ? Y.F. : Je trouve que cela s’est beaucoup accéléré notamment en Europe de l’ouest où les tem pératures progressent plus vite que prévu. Quand on parle de température globale, n’oublions pas que cela inclut aussi les océans qui représentent les 3/5 èmes de la surface de la terre. La température augmente 1,5 à 2 fois plus vite sur les conti nents et la progression est encore plus rapide en Europe de l’ouest. Càd : Comment se traduit cette différence ? Y.F. : Depuis 1980, la tempéra ture globale augmente de 0,19 °C tous les dix ans contre 0,46 °C en Europe de l’ouest, soit une hausse cumulée d’1,6 °C en 40 ans. Quand on a prévu que la température va augmenter de 2,5 °C, cela signifie donc qu’elle pourrait progresser de 4,5 °C sur le continent européen.

Càd : Pourquoi une telle évo lution ? Y.F. : Plusieurs raisons à cela. On constate que les éléments extrêmes ont tendance à se mul tiplier très fortement. C’est d’abord une question de vapeur d’eau qui est le carburant de toute cette dynamique. Quand

ter 100 % d’un gisement car cela coûterait plus cher que ça rap porte en dollars et en énergie. On va donc arriver à une crise énergétique avant la fin du siècle. Il faudra faire avec et on peut aussi espérer de nouvelles décou vertes même si la fin du siècle est trop proche pour espérermet tre au point une solution éner gétique qui réponde aux besoins. Càd : Que faire alors ? Y.F. : Tout n’est pas foutu. Il y a deux choses à faire. Essayer de s’adapter au réchauffement et aider les autres à s’adapter. Même si je suis toujours inquiet de l’évolution des choses sur le plan géopolitique. On sait qu’il y aura de plus en plus de pro blèmes de sécurité liés à l’insé curité climatique : les sécheresses à répétition, les mouvements de population…Avec l’adaptation, il faudra également réduire nos émissions. On sait qu’il reste 1 000milliards de tonnes de car bone sous forme de charbon, pétrole et gaz. On en consomme 10 milliards de tonnes tous les dix ans. il faut ralentir le réchauf fement autant que possible et surtout gagner du temps en limi tant nos émissions. Si la hausse des températures de 2,7 °C pré vue vers 2100 se produit en 2150, on aura gagné 50 ans. Càd : Cela sous-entend de changer notre façonde vivre ? Y.F. : Oui car il faut désormais penser non pas à ce qui va arri ver demainmais dans cinquante ans. Penser à nos enfants, nos petits-enfants et, au niveau socié

sachant que la part du CO2 représente les deux tiers. Le reste est dû aux changements d’usage des sols avec l’artificia lisation, la déforestation…D’où le rôle de la C.O.P. pour essayer de ralentir le processus. Il n’y a plus guère d’espoir de se limiter à une hausse d’1,5 °C même si

“Sans les C.O.P., je pense que les émissions auraient crû encore davantage”, estime Yves Fouquart.

théoriquement c’est encore possible sous réserve de stopper toute émission immédiate ment.Une utopie quand on sait qu’en 2021 les

la température aug mente d’1 °C, le volume de vapeur d’eau aug mente de 7 %. Plus il fait chaud, plus il y a de carburant dans l’at

“Il faut penser à nos enfants,

non développés. On est arrivé à 83 milliards, c’est mieux que rienmême si cela ne va pas assez vite. Càd : Êtes-vous vigilant à réduire vous aussi vos émis sions ? Y.F. : Je fais attention mais pas assez. Je me bats depuis 50 ans pour sensibiliser la société sur les enjeux climatiques et il m’ar rive parfois d’être dans la contra diction sans y être pour autant en permanence. J’ai isolé lamai son, je fais attention à la tem pérature, je privilégie le vélo dans lamesure du possible. J’es saie d’être cohérent. Il faut tenter de ne pas gaspiller et se poser la question : est-ce vraiment nécessaire, indispensable ? L’ap proche individuelle est tout à fait insuffisante, l’essentiel des efforts doit concerner l’industrie et les États. Càd : On arrive au bout d’un modèle ? Y.F. : Oui, on amangé notre pain blanc mais ce n’est pas foutu. Il y a encore une porte de sortie si l’on s’y met tous ensemble, à tous les niveaux. n Propos recueillis par F.C. deur, le groupe commence à noter des actions qui aient le plus d’efficacité possible pour réduire leur impact carbone. “Installer des leds, c’est bien mais c’est une très petite partie. Si vous voulez réduire votre impact carbone, vous pouvez jouer sur votre alimentation, réduire de moitié la consom mation de la viande” , éclaire l’animateur de la fresque. Autre ordre de grandeur : il y a 20 000 ans, le Haut-Doubs était couvert de glace, le climat complètement différent. Il a fallu 2 °C d’écart pour que la glace fonde et que le niveau de l’eau monte de 120 mètres. Les scénarios actuels projettent une augmentation de plus de 3 °C, voire 4… n L.P.

tal, essayer d’aider à la diffusion d’une certaine idée de la poli tique. C’est important d’être pragmatique, d’aborder le pro blème sans a priori idéologique qui n’ont rien à faire avec la science. Je pense au nucléaire. On n’a plus le temps de s’en pas ser. On va devoir composer avec toutes les sources d’énergie pos sibles, le nucléaire mais aussi le solaire, l’éolien… Càd : Que pensez-vous de l’in térêt des C.O.P. ? Y.F. : S’il n’y avait pas eu de C.O.P., on n’en serait pas là. Elles ont eu pour effet de sensibiliser l’opinion des pays développés sur la réalité du problème. Grâce aux C.O.P., on a popularisé quelque chose. Il y a quand même des tentatives, des recherches d’accords qui enga gent les gouvernements, les États. Sans ces conférences des parties, je pense que les émis sions auraient été supérieures. On sait que c’est insuffisant mais l’injustice climatique est quand même prise en compte. Les C.O.P. ont permis d’engager les pays développés sur une somme de 100 milliards d’euros à l’ho rizon 2020 en faveur des pays

nos petits enfants.”

émissions de gaz à effet de serre ont dépassé de 2% celles d’avant Covid. Certes, il y a une amélio ration mais on ne parvient pas à respecter les engagements de la C.O.P. 21 et les choses empi rent avec la guerre en Ukraine. Càd : Le tableau est sombre… Y.F. : On a devant nous un obs tacle très important. On sait ce qui va se passer dans les décen nies à venir. On tire le signal d’alarme. Pour autant on conti nue à se faire la guerre ici ou là sans trop se soucier des enjeux climatiques qui me semblent bien plus préoccupants. Sans oublier l’impact de l’anthropo cène sur la biodiversité.Au final, on se retrouve avec deux pro blèmes majeurs à gérer, à savoir le climat et l’effondrement de la biodiversité. On peut en ajouter un troisième avec le fait qu’on va manquer d’énergie. Les réserves de pétrole, gaz, charbon seront épuisées dans 100 ans et encore il faudrait, pour ce faire, ralentir la consommation. D’au tant plus qu’on ne sait pas exploi

mosphère. Ce principe est plus intense sur le continent où l’éva poration est plus forte et la réserve en vapeur d’eau plus limitée que sur les océans.Quand la sécheresse perdure, les vagues de chaleur s’intensifient. Il existe d’autres facteurs favorables à ces blocages longs de périodes sèches ou froides. Je pense par exemple au jet-stream qui perd de sa vigueur du fait que l’écart de température diminue entre l’équateur et les pôles où l’on mesure des augmentations de températures de 0,7 °C par décennie. Conséquences, le jet stream fait des méandres plus au sud à l’origine des gouttes froides ou à l’inverse il monte plus au nord en favorisant les remontées d’air chaud et les dômes de chaleur qui sont appa rus quatre fois au cours de l’été dernier. Voilà les deux raisons principales. Càd : Si on essaie de se pro jeter, que peut-il arriver ? Y.F. : Tout va dépendre des émis sions de gaz à effet de serre en

La Fresque du climat

Comprendre les enjeux du changement climatique en 3 heures

L’ effet papillon.C’est ainsi que l’on pourrait som mairement résumer la Fresque du climat. “Parce que moi, je fais un kilomètre en voi ture, certains Africains sont contraints de quitter leur pays” , schématise Laurent Guyon, “fresqueur”, et animateur de la Fresque du climat sur le Haut-Doubs. Devenue asso ciation, la Fresque du climat est un outil développé par Cédric Rigenbach, enseignant spécialisé dans le climat. Composé de cinq lots de cartes distribuées au hasard, ce jeu met en avant des notions de causes et de conséquences entre différents phénomènes (submersion, ralentissement du Gulf stream, montée des

Association nationale, la Fresque du climat sensibilise aux enjeux climatiques grâce à un outil pédagogique, collaboratif et ludique. À destination des enfants, citoyens, entreprises, ce jeu de cartes permet de comprendre l’essentiel en 3 heures.

la vision globale.Au terme des trois heures que dure la construction de la fresque, un debrief émotionnel se met en place. “J’ai vu des gens pleurer, témoigne Laurent Guyon, ils comprennent que le réchauffe ment climatique est induit par nos activités.” La troisième étape consiste en la présentation des ordres de grandeur : un Français moyen produit 10 tonnes de CO2 par an. Pour respecter les accords de Paris, il faudrait être à 2 tonnes par an en 2050. “Dans ces 10 tonnes, 25 % provient de l'alimentation.Un aller/retour Paris-Rio équivaut à 3-4 tonnes de CO2” , énumère Laurent Guyon. À partir de ces ordres de gran

eaux, cyclones) et les activités humaines (agriculteurs, trans ports, utilisation des bâti ments…). “On demande aux personnes de placer les cartes selon un lien de causes à consé quences, sachant que pour une carte, il y a plusieurs causes et conséquences” , souligne Lau rent Guyon. Au verso des cartes, des informations péda gogiques contextualisent le phénomène ou l’activité. “À la fin, on arrive aux conséquences humaines : réfugiés clima tiques, conflits armés, santé humaine, famine. Parce qu’on a parlé de baisse de biodiversité, doncmoins de rendement agri cole, etc.” Si la plupart du temps, les gens sont déjà un peu sen sibilisés, aucun n’a vraiment

La libéralisation du marché du travail en Suisse à partir de 2002 a donné un coup de fouet à l’emploi frontalier, qui ne s’est pas démenti depuis.

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