Journal C'est à dire 286 - Septembre 2022

D O S S I E R

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Banque

“Il peut exister un risque de blocage de la machine” Après un début d’année positif, l’automne s’annonce plus compliqué pour les emprunteurs. L’éclairage de Sylvie Rodier, la directrice des crédits et de l’immobilier au Crédit Agricole Franche-Comté.

d’usure qu’on n’a pas le droit de dépasser est désormais beaucoup trop bas. La conséquence de ce taux d’usure trop bas (il est fixé à 2,48 % sur 20 ans), c’est que nous sommes contraints de refu ser de nombreux dossiers. Ce taux d’usure est en décalage total avec la situation financière actuelle. On attendait une hausse de ce taux d’usure pour le 1 er octobre, cette décision de l’État est indispensable. La conséquence de ce taux d’usure trop bas, c’est que depuis trois mois, avec la hausse des taux de crédit, les banques ont financé dernier mois, 23 % de nos dos siers immobiliers dépassaient ce fameux taux d’usure. Càd : Il y a d’autres freins à la bonne marche des crédits immobiliers ? S.R. : Oui, le troisième motif d’inquiétude, c’est la loi Rési lience.Quand un bien immobilier est classé F ou G - soit tout de même 16 % du parc immobilier régional, et 50 % si on ajoute les catégories E -, nous sommes dés ormais tenus de vérifier que des dossiers à perte, juste pour ne pas cou per le marché. On en est même à devoir refu ser de bons dossiers. Rien qu’au cours du

dans le dossier de prêt figurent des travaux de rénovation éner gétique, sans quoi les proprié taires ne pourront plus louer leurs biens locatifs classés F ou G. Ce troisième facteur limite encore un peu plus le nombre de dossiers que nous pourrons accepter. Càd : Avec tous ces obstacles, comment se présente la fin d’année ? S.R. : Avec l’inflation, le risque est de voir des clients subir une baisse de leur pouvoir d’achat avec des taux de crédit qui vont France tous les ans. Ajoutons à cela la loi sur le Zéro artificia lisation nette (Z.A.N.) : on assiste depuis six mois à un quasi-arrêt des mises en construction. On ne peut pas rester dans cet atten tisme. Avec la crise des maté riaux et la hausse des prix, on espère aussi que les entreprises tiennent le coup…Malgré tout, nous pensons que le marché immobilier va rester d’un bon niveau car il reste la meilleure valeur refuge. n Propos recueillis par J-.F.H. continuer à grimper. Il peut exister un vérita ble risque de blocage de lamachine.Alorsmême qu’il manque 150 000 logements neufs en

surant. L’immobilier est une valeur qui continue à croître. Mais plusieurs facteurs nous poussent à modérer cet enthou siasme. Càd : Lesquels ? S.R. : D’abord les contraintes réglementaires imposées par le Haut conseil à la stabilité finan cière (H.C.S.F.) qui exige depuis l’an dernier un taux d’endette ment maximal pour nos clients de 35 %, avec une dérogation possible à hauteur de 20 % des dossiers. Mais dans ces 20 %, le H.C.S.F. nous impose désormais 80 % de dossiers de primo-accé dants à la propriété, et pas plus de 4 % d’investisseurs. Ces der niers sont particulièrement mécontents car nous sommes contraints de refuser beaucoup de dossiers d’investisseurs. L’au tre gros souci actuellement, c’est le taux d’usure. Càd : Que signifie cette notion ? S.R. : C’est un taux fixé par l’État au-delà duquel on ne peut pas aller. Ce taux est indexé sur le cumul entre le taux actuel du crédit et les taux liés aux frais de dossier, aux frais de la garan tie et aux frais d’assurance. Les taux d’intérêt des crédits ont récemment augmenté et ce taux

étions à début septembre sur lesmêmes niveaux de réalisation qu’en 2021. Au Crédit Agricole Franche-Comté, nous gérons environ 8 000 dossiers immobi liers par an, pour près d’1,3 mil liard d’euros de crédit. Dans cet environnement économique un peu anxiogène, nous constatons que le recours à la pierre est ras

C’ es t à dire : Comment se porte actuellement lemarché des crédits immobiliers ?

Sylvie Rodier : Paradoxale ment, malgré le contexte, la demande reste très forte.À une vingtaine de dossiers près, nous

“Le gros souci actuellement, c’est le taux d’usure.”

Sylvie Rodier attire l’attention sur trois principaux motifs d’inquiétude concernant le marché immobilier.

Les assurances de prêt vont aussi coûter plus cher Assurances

Depuis le mois de septembre, les conditions pour changer d’assurance de prêt immobilier se sont assouplies avec la loi Lemoine. Si de prime abord, les conséquences apparaissent positives, cette nouvelle loi est en réalité un des rouages qui grippent l’accès aux prêts immobiliers pour les particuliers.

P our les chanceux qui ont déjà un prêt immobilier ou qui ont réussi à en obtenir un, la loi Lemoine leur offre l’opportu nité de changer plus facilement d’as surance de prêt, permettant ainsi de réaliser des économies. Concrètement, comment ça marche ? La résiliation peut s’effectuer à tout moment, sous réserve d’un préavis de dix jours après la réception de la demande de résiliation par courrier recommandé. Auparavant, il fallait le faire à la date anniversaire du prêt, ce qui entraînait plus de contraintes. L’actuel assureur du prêt, bien souvent

Enfin, il est question de suppression du questionnairemédical sous certaines conditions. Il ne faut pas que lemontant du prêt et les encours ne dépassent 200 000 euros. Et la fin du prêt doit intervenir avant les 60 ans de l’em prunteur. “Cela ne représente finalement pas beaucoup de dossiers” , relève un courtier local. Si ces conditions ne sont pas remplies, le questionnaire médical doit être fait, comme c’est le cas pour tous actuellement. Cette suppression n’est pas sans consé quences. “Mécaniquement, cela va entraîner une augmentation des prix des assurances” , avertit le professionnel

Avec la loi Lemoine, les particu liers peuvent changer d’assurances de prêt plus facilement.

les banques, ne peut pas refu ser la résiliation tant que le nouveau contrat couvre les mêmes garanties que l’ancien. La loi Lemoine introduit éga lement le droit à l’information,

du courtage. Pourquoi ? “L’ab sence de questionnaire de santé met tout le monde au même niveau de risque. Les assureurs estiment qu’ils prennent plus de risques, donc les tarifs aug

Une hausse estimée entre 15 et 40 %.

à savoir ce que coûte l’assurance du prêt sur huit ans afin de pouvoir effec tuer des comparaisons. Le droit à l’oubli a également été ramené à cinq ans au lieu de dix. Cela veut dire que dans le questionnaire médical, les particuliers ne sont plus obligés de mentionner leurs pathologies cancéreuses ou hépa tite C au-delà de cinq ans de guérison.

reurs. Les banques risquent de durcir leurs conditions de prêt et ne pas vouloir lâcher les contrats d’assurance. Blo quant ainsi un peu plus l’accès au prêt. La Loi Lemoine est ainsi avantageuse pour le particulier, beaucoup moins pour lemicrocosme immobilier et toutes les structures qui gravitent autour. n L.P.

est refusé, c’est une situation inédite” , s’alarme le professionnel du Haut Doubs. Le taux d’usure va être revalorisé en octobre, “un coup d’épée dans l’eau” , car les taux continuent de grimper, soumis à une inflation galopante. Il est à craindre un effet boule de neige de la loi Lemoine, qui profite aux assu

mentent.” S’il est encore tôt pour prendre du recul sur l’évolution des prix, la loi Lemoine n’ayant pris effet que depuis peu, la hausse est pour autant estimée entre 15 et 40 %. Et c’est bien là un point d’achoppement qui rend l’accès aux prêts immobiliers très difficile. “Les taux de prêt qui s’envolent (au

minimum 2 %) associés à des assu rances plus chères font exploser le taux d’usure” , explique le courtier. Le coût du prêt dans sa totalité ne doit pas dépasser 2,60 %. Or, avec la conjoncture économique actuelle, le taux d’usure est très souvent atteint, d’où les refus de prêt. Même en cas de budget plus que confortable. “ Un dossier sur deux

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