Journal C'est à dire 266 - Octobre 2020

L E P O R T R A I T

Villers-le-Lac

L’aubergiste du Chauffaud en a sous la semelle

P atrick Bohard, “Kirtap” pour les intimes, “la légende vivante” pour Éric Clavery le champion du monde de trail, voilà com- ment ses amis surnomment ce mon- tagnard du Chauffaud devenu la réfé- rence de l’ultra-trail en France et au monde. Patrick n’en a pas vraiment conscience lui qui aurait pu devenir “star” de rock avec son groupe Lucky Lou. Il a fait la première partie de Noir Désir, des Infidèles, dans les années quatre-vingt-dix. À l’époque, il courait pour le plaisir. Pendant que ses amis “musicos” dormaient le matin, il enfilait ses baskets. Un besoin naturel. “Quand certains en disent beaucoup sur les réseaux sociaux et en font peu, Patrick en fait beaucoup et en dit peu” image Pascal Balducci, ex-entraîneur de Bohard au sein du Team Asics. Patrick, 56 ans, cheveux poivre et sel, mollets et cuissots affûtés, n’a jamais vraiment aimé les compéti- tions sportives alors qu’il “mange” chaque jour des heures d’entraîne- ment. Il ne sait pas rester sur un canapé à tel point que Paco, son chien de 5 ans, a parfois quelques courba- tures après une séance d’entraîne- ment de 4 heures à travers les gorges de l’Areuse, en Suisse voisine. Plus jeune, il est parti du Chauffaud pour rejoindre Saint-Jacques de Compos- telle en moins de deux semaines, soit 100 km par jour ! Il avait juste prévu le billet de train retour. “Patrick, c’est un calme, quelqu’un qui vous apaise. Patrick Bohard alterne sa passion pour le sport et son travail. Comment est-il arrivé à la compétition ? C’est son frère Alain qui, en 2009, lui demande de l’accompagner au Trail du Sancy, 75 km à travers les volcans d’Auvergne. Patrick accepte d’accro- cher un dossard. Il a 45 ans ! Le débu- tant part avec des chaussures de route non adaptées, oublie de se ravi- tailler… mais termine 3ème ! Un authentique exploit que la firmeAsics saisit au bon. Elle recrute le (déjà) vétéran pour les ultra trails (plus de 150 km). La suite ? Patrick devient Patrick Bohard, 56 ans, est une force de la nature. Un vétéran dans un corps de junior qui vient de battre le record du monde de dénivelé positif en 24 heures, soit 179 montées du Meix Musy (17 310 mètres) ! Un exploit un peu fou. Après quoi court-il ? C’est peut-être ça que les gens aiment chez lui” pour- suit son coach devenu ami. Aubergiste avec sa femme Virginie au Chauffaud à 1 000 mètres d’altitude,

Patrick Bohard (Villers-le-Lac) a fait parler du Meix Musy dans le monde entier. Cet homme peut courir 80 heures d’af- filée avec

2 heures de sommeil…

dépasser. “C’est mon entraîneur qui m’a convaincu de m’attaquer à ce record car des courses que je devais faire ont été annulées en raison du Covid. J’ai tenu à la faire au Meix Musy car c’est une façon de faire la promotion du ter- ritoire” explique-t-il. Son record a nécessité une énorme préparation technique, un contrôle anti-dopage, l’appui de chrono- métreurs, d’un géomètre, pour être certain que le dénivelé soit le bon. À 56 ans, il se dit plus fort que jamais. “Peut-être parce qu’il n’est pas usé mentalement ou phy- siquement, émet son ex-entraîneur. Son corps défie les lois physiques.” Bohard est capable de dormir 2 heures en 80 heures de course ! Comment fait-il ? “Il arrive à se mettre en auto-hypnose quand il court 250 km seul. Pour cela, il écoute des émissions d’histoires tout en courant” détaille Pascal Balducci qui le connaît bien. Son “moteur”, le Villérier l’a transmis à sa fille Manon, diététicienne dans la vie professionnelle, deve- nue l’une des meilleures Fran- çaises dans l’ultra. “Elle m’épate” ,

de natation” raconte l’aubergiste. À cette époque, début des années quatre-vingt-dix, il est un des pre- miers à organiser des stages d’iti- nérance. Des Parisiens avides de sensations dans le Grand Nord participent aux stages dans le Haut-Doubs, où Patrick les confronte au froid, à la résistance. Aujourd’hui, c’est l’été qui rythme la vie de l’auberge. Il prend ses vacances en fonction de ses courses… pour visiter. En Argen- tine, il visite par exemple pendant une semaine le pays avec Virginie avant de participer à une course. Actuellement représentant du TeamHoka, une marque de chaus- sures, le Villérier doit respecter certaines clauses du contrat. Sa performance mondiale de la fin d’été où il a monté 197 fois le Meix Musy, une pente à 45 %, l’a mis sur le devant de la scène. Le jour- nal L’Équipe, et d’autres, mais aussi des médias en Argentine, au Canada, se sont intéressés à cet exploit (17 310 mètres de déni- velé en 24 heures), battu quelques jours plus tard par un autre Fran- çais. Quel intérêt ? Celui de se

le meilleur performer de la discipline, gagne le Tor des Géants en 2015, la référence au monde. Il est seul Fran- çais à s’être imposé là-bas en Italie après 300 km de course. “Tout ce qu’il fait est hallucinant, poursuit Sébas- tien Jouanneau, qui commente de nombreuses courses de trail à travers la France et qui a validé son record du monde de dénivelé avec sa société.

souligne son père, heureux de par- tager avec des sessions d’entraî- nement. “Manon, c’est Kirtap 2” dit un traileur. L’élève n’a pas encore dépassé le maître mais s’en approche. Comme son père, elle ne laisse aucun détail au hasard. “Elle se prépare mieux que moi” corrige le papa qui ne se prive pas d’un verre de vin par jour. Ce sportif de haut niveau qui a notamment eu des records en vol à voile ou en ski de fond n’est pas prisonnier de l’effort. Il partage avec les autres coureurs et la jeune génération en tant qu’ambassa- deur du “Grand Besançon Trail Académie”. Bohard, 63 kg, dont le cœur bat au repos à 36 pulsations par minute et monte (encore) à 185 en plein effort est un montagnard, un dur au mal, un mec sympa- thique. Les clients de l’auberge ne s’y trompent pas. Ne lui dites pas qu’il fait de la résistance. Patrick court pour le plaisir et parce qu’il en a encore beaucoup sous la semelle. n E.Ch.

Bio express l 56 ans l Il naît à Champagnole l Arrive il y a 31 ans à Villers-le- Lac l Marié, père de 2 enfants l Propriétaire de l’Auberge du Chauffaud l Ultra-traileur depuis 2009, il a notamment remporté la T.D.S. (course de l’U.T.M.B.), la Swiss Peak, le trail des Açores, le Tor des Géants

Il est peut-être à contre-cou- rant du haut de ses 56 ans. Forcément, la jeune géné- ration l’a peut-être regardé en ricanant mais il est impressionnant car il maî-

Son corps défie les lois de la physique.

trise tout ce qu’il fait, il calcule.” Originaire de Foncine-le-Haut, arrivé au Châteleu il y a 31 ans, Patrick rencontreVirginie auVieux-Châteleu, établissement créé par l’oncle de sa future épouse. Patrick est alors moni- teur de ski de fond, déjà amoureux de sport qu’il pratique assidûment. Naissent de leur union Manon (29 ans) et Louis (27 ans). Le couple crée l’Auberge, retape cette ancienne ferme : “On vivait à l’époque avec le tourisme d’hiver car il n’y avait pas de tourisme d’été. Je comblais mon activité l’été par des encadrements

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