Journal C'est à dire 265 - Septembre 2020

D O S S I E R

“On espère une reprise d’activité en 2021” Économie neuchâteloise

C’ est à dire : Dans l’étude conjoncturelle diffusée ce moi-ci, l’économiste Claude Jeanrenaud estime que le recul de la production neuchâteloise avoisinerait 20 % pendant la période de confinement, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Comment expliquer cette différence ? Jean-Nathanaël Karakash : Tout simplement car 40%de l’économie can- tonale est liée à l’industrie d’exportation partagée à parts égales entre l’horlogerie d’un côté et de l’autre les produits phar- maceutiques et les activités de haute précision. L’industrie horlogère a subi en 2019 un ralentissement d’activité qui s’est amplifié avec la crise du Covid- 19. Les ventes de montres suisses se sont effondrées suite à la fermeture des magasins dans le monde entier et avec le coup d’arrêt du tourisme inter- national qui joue un rôle majeur dans la diffusion des produits horlogers. Et si le secteurmédical-pharmacie se porte bien, l’industrie de haute précision connaît beaucoup de difficultés, notam- ment dans ses débouchés liés à l’auto- mobile et à l’aéronautique. Càd : L’étude conjoncturelle indique que les exportations horlogères ont chuté de 80 % en avril puis 70 % en mai avant que la reprise des ventes en Chine limite ce recul à 40 % en juin. Qu’en est-il aujourd’hui ? J.-N.K. : Nous tablons sur une baisse de 20 % sur l’ensemble de l’année 2020, en sachant qu’ensuite, il faudra pro- bablement encore de nombreux mois avant de retrouver les niveaux d’avant- crise. Càd : Claude Jeanrenaud souligne que le taux d’utilisation des capa- cités de production dans l’horloge- rie est passé de 85 % à 60 % au second trimestre 2020. Inquiétant ? J.-N.K. : À 85 %, il n’y a pas de souci à se faire, on est dans une situation normale ou même favorable. Mais à 60%effectivement, c’est problématique. Pour autant, il n’y a pas de raison pour que cela dure indéfiniment. Je ne vois pas pourquoi les gens ne s’intéresse- raient plus à l’horlogerie. On a bon espoir. Le problème est de savoir com- bien de temps cela va prendre ? La situation ne sera pas complètement rétablie au premier semestre 2021. Le redressement de l’horlogerie repose en grande partie sur la reprise du trafic international de personnes. On espère une relance significative d’activité en 2021 et, si c’est le cas, le chômage partiel permettra de maintenir le gros des Jean-Nathanaël Karakash, le conseiller d’État à la tête du département de l’économie et de l’action sociale dans le canton de Neuchâtel fait le point sur l’impact de la crise sanitaire sur l’économie neuchâteloise. Bilan mitigé et perspectives encoura- geantes, sous réserve que la crise sanitaire ne se prolonge pas.

Plutôt confiant sur l’évolution de l’économie neuchâteloise, Jean-Natha- naël Karakash ne crie pas pour autant victoire avec la menace d’une seconde vague d’épidémie.

économique. On se retrouve avec un taux de chômage de l’ordre de 5%contre 3,5 % l’an dernier sur la même période. On sait bien que ce taux va continuer à se dégrader, il faut être capable d’in- tervenir pour le redresser. Càd : Le chômage partiel masque en partie les difficultés de l’écono- mie neuchâteloise ? J.-N.K. : Oui, c’est son rôle de nous per- mettre de traverser les mauvaises passes ! Et le canton est très satisfait de la décision de la Confédération de prolonger la durée maximale d’utilisa- tion de la R.H.T. de 12 à 18 mois. Ce qui laisse encore desmarges demanœu- vre aux entreprises. Je voulais souligner que la hausse du chômage est d’abord liée à la baisse des recrutements. On compte aussi sur un retour à la normale concernant les activités orientées sur le marché intérieur. Càd : Un mot sur la saison touris- tique ? J.-N.K. : Neuchâtel n’est pas à propre- ment parler un canton très touristique comme peut l’être le Valais. Si l’on s’en tient au tourisme de loisir axé sur la clientèle suisse, on peut dire que l’on a bien résisté. En revanche, sur le plan Càd : Pour un conseiller d’État à l’économie, la gestion de l’impact du Covid restera une expérience très singulière ? J.-N.K. : Je diraismême une expérience terriblement intense.On avait beaucoup travaillé pour retrouver une situation saine aussi bien sur le plan de l’emploi que des finances cantonales et tout a basculé en deux mois. Il y a là un côté décourageant. Pour autant, je ne sais pas où l’on en serait aujourd’hui si l’on était resté empêtré dans ces soucis bud- gétaires. du tourisme d’affaire, c’est plus compliqué. Tout comme avec l’organisation des grands événements culturels, festifs ou sportifs qui ont dû être annulés pour la plupart.

capacités de production en emplois. En revanche, si la crise persiste en 2022 et 2023, alors les dégâts seront plus profonds. Càd : En avril dernier, plus de 2 000 entreprises du cantondeNeuchâtel, soit 30 000 emplois, avaient fait une demande d‘autorisation de chô- mage partiel. Ces données sont tou- jours d’actualité ? J.-N.K. : Non, cela a encore beaucoup progressé entre avril et mai. Près de 4 000 entreprises ont demandé le droit de recourir au dispositif de réduction de l’horaire de travail (R.H.T.), cela représente plus de 50 % des emplois du canton. L’utilisation du chômage partiel varie dans le temps et reste très modulable. On sait par exemple qu’à l’annonce du confinement, l’horlogerie s’est mise complètement à l’arrêt pen- dant deux ou trois semaines avant de retrouver un niveau d’activité plus sou- tenu. Depuis mai, on observe une uti- lisation beaucoup plus légère du chô- mage partiel, avec notamment toute la reprise d’activité du commerce et des services à l’attention de la popula- tion. Càd : Qui finance la réduction de l’horaire de travail ? J.-N.K. : Habituellement, c’est la caisse d’assurance chômage qui est elle-même alimentée par les cotisations des salariés et des employeurs. Avec le Covid, la Confédération a pris la décision d’in- jecter des milliards de francs suisses pour éviter que les dépenses induites par la R.H.T. ne provoquent une hausse des cotisations sociales, qui aurait freiné la reprise économique. La contribution du canton au soutien à l’activité éco- nomique s’élève quant à elle à plusieurs dizaines de millions de francs. Ce qui est déjà très important pour un canton comptant moins de 200 000 habitants. Càd : À quoi ont servi ces aides can- tonales ? J.-N.K. : Certaines étaient destinées aux acteurs du tourisme et du com-

merce. On est également intervenus pour faciliter la poursuite des activités de recherche et développement dans les P.M.E. industrielles, de façon à ce qu’elles soient en capacité de saisir les opportunités lorsqu’elles se présente- ront. Les communes ont abondé au plan de soutien en octroyant par exemple des dispenses de loyers aux magasins et sociétés installés dans des locaux dont elles sont propriétaires. Càd : Le coût de la crise se répercute donc à tous les niveaux ? J.-N.K. : En effet. Du côté des collecti- vités publiques, outre les aides versées pour soutenir les entreprises et les emplois, nous subissons également de grosses pertes dans tous les secteurs qui dépendent de recettes d’exploitation. C’est notamment le cas des transports publics et des structures d’accueil de l’enfance habituellement financés en bonne partie par les usagers. Il manque beaucoup d’argent dans les crèches. On amême des problèmes d’équilibre finan- cier dans les hôpitaux qui ont subi de grosses pertes de revenus. Il y a donc beaucoup d’effets induits sur le secteur para-public et cela nous obligera à aug- menter les subventions. Cela sera d’au- tant plus difficile qu’entre les baisses J.-N.K. : Ce sera compliqué, mais pas catastrophique. Sur le canton, on a connu une situation très difficile entre 2015 et 2018. On était finalement assez content d’avoir redressé la barre avant le Covid. Tous nos efforts nous avaient permis de revenir à l’équilibre de fonctionnement même si aujourd’hui on a unemarge demanœuvre plus limi- tée.On gère la situation avec desmoyens modestes et on est d’autant plus recon- naissants de ce que la Confédération a déployé comme soutiens. Tous ces efforts permettent de préserver l’outil de revenus de la population et des entreprises, on sait qu’on encaissera beaucoup moinsd’impôts en 2020-2021. Càd : Le canton de Neu- châtel est-il dans le rouge ?

Càd : Assez paradoxalement, les statistiques cantonales annoncent une hausse de l’effectif frontalier de 0,3 %au second trimestre, ce qui nemanque pas de surprendre dans ce contexte ! J.-N.K. : Ces données sont à prendre avec une certaine prudence car il y a toujours un décalage entre l’évolution des situations et leur prise en compte sur le plan statistique. La réduction globale du nombre d’emplois sur le can- ton se répercute aussi probablement sur l’effectif des travailleurs fronta- liers. Càd : D’autres effets marquants à signaler ? J.-N.K. : Oui, à mon sens, on ne peut pas réduire la fermeture des frontières au seul volet économique avec le travail d’un côté et le tourisme d’achat mis en suspension de l’autre. Cette fermeture a aussi eu des conséquences sociales en séparant des familles, des amis et même des couples. Les liens de proxi- mité par-delà la frontière sont très denses et les interrompre, même tem- porairement, a été une expériencedou- loureuse. N’oublions pas non plus les Français qui vivent dans le canton et les Suisses qui ont fait le choix de s’ins- taller en France. Tout cela crée une solidarité profonde au sein de l’Arc jurassien transfrontalier et c’est cer- tainement pour cela que nos hôpitaux ont été parmi les premiers à accueillir des patients français. Cette entraide m’a personnellement fait beaucoup de bien car je vivais mal cette période durant laquelle le continent entier ne parlait que de repli, de fermeture et de cloisonnement. C’est un beau symbole de l’amitié franco-suisse. Pour continuer à développer cette notion du vivre ensemble, les partenaires de la Confé- rence transjurassienne ont décidé de se mobiliser en faveur des associations actives sur le plan transfrontalier.(Infor- mations disponibles sur www.arcjuras- sien.org) n Propos recueillis par F.C.

“Cette fermeture a aussi eu des conséquences sociales.”

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