Journal C'est à dire 239 - Janvier 2018
H I S T O I R E
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“On ne peut pas dire que rien n’a été tenté” Auteure d’une thèse de sciences économiques consacrée à l’his- toire de l’horlogerie française, Évelyne Ternant déconstruit certains mythes sur les raisons du déclin de ce secteur d’activité. L’arrivée du quartz n’est pas le seul facteur responsable. Décryptage. Histoire
Évelyne Ternant a signé une passion- nante thèse sur l’évolu- tion de l’horlogerie française à partir des années soixante.
C’ est à dire : L’arrivée du quartz dans l’horlogerie a-t-elle sonné le glas de l’horlogerie française ? Évelyne Ternant : Il y a plusieurs idées reçues que je souhaiterais com- battre. Notamment celle selon laquel- le l’horlogerie française n’aurait pas su s’adapter au quartz, que les hor- logers du Haut-Doubs se sont opposé à Lip qui avait su anticiper le quartz et que l’horlogerie française a décli-
Càd : Quelles erreurs en particu- lier ? E.T. : L’épisode Matra horlogerie a été le plus calamiteux. La disparition de Lip, ultra-médiatisée, représentait “à peine” 5 % de la production de montres françaises. Alors que Matra, c’était un tiers de la production. Le groupe Framélec avait été constitué dans le Haut-Doubs et à Besançon, puis ils ont fait entrer Matra car le gouvernement français de l’époque avait poussé pour que Matra, qui était un fleuron industriel national, investisse dans l’hor- logerie. Seulement, la renta- bilité n’était pas suffisamment forte pour Matra qui s’est très vite désengagé et qui a noué une alliance avec les Japonais de Seiko. Cette alliance va être le ver dans le fruit et va signer l’ar- rêt de mort de l’horlogerie. Càd : Pourquoi cette alliance avec Seiko ? E.T. : Parce que l’horlogerie françai- se était sous pression des capitaux suisses, et notamment d’Ébauches S.A. C’est pour échapper à l’emprise suis- se que cette alliance entre les Fran- çais et les Japonais a été imaginée.
fabricants d’ébauches n’ont jamais été sur la même longueur d’onde. En Suis- se, les grands corps de métier se sont regroupés dans des grandes struc- tures. Puis est arrivé Nicolas Hayek qui a trouvé une parade sur le bas et moyen de gamme avec la Swatch et la Suisse a su aussi se reposition- ner sur le haut de gamme avec les entreprises indépendantes qui ont subsisté et ensuite su se redévelop- per formidablement. Càd : La France aurait pu gagner la bataille du quartz ? E.T. : La France était en pointe dès le début des années cinquante avec les premières montres électriques, puis la montre à diapason avant l’ar- rivée du quartz. Au départ, le quartz
n’était pas miniaturisé. Ce qui a pris de court tout le monde, c’est la bais- se très rapide du prix des circuits inté- grés. Plus tard, un projet baptisé Mon- trélec est né pour concevoir l’indus- trialisation du quartz, repris ensui- te par Framélec et on connaît la sui- te. On ne peut pas donc dire que rien n’a été tenté. Mais la prégnance du capital suisse dans l’horlogerie fran- çaise, les difficultés entre les fabri- cants de montres et les fabricants de pièces et, en plus, le peu d’intérêt que l’État français a montré pour l’in- dustrie horlogère, tout cela a fait que l’innovation française en matière d’hor- logerie et de quartz n’a jamais pu aller jusqu’au bout. n Propos recueillis par J.-F.H.
Quand Matra s’est retiré, Seiko a racheté et a liquidé l’ensemble. La pré- sence des capitaux suisses dans l’hor- logerie française, réelle à partir des années soixante, a été également un des éléments qui a empêché l’organi- sation collective de l’horlogerie fran- çaise. Comme la volonté des Français de constituer un grand groupe a été torpillée par les Suisses, l’horlogerie française s’est précipitée dans les bras de Seiko, pour le pire. Càd : Touchée aussi, la Suisse s’en est sortie, contrairement à la Fran- ce ? E.T. : En Suisse, il y a eu une orga- nisation de type planification avec une logique collective très forte. En Fran- ce, les fabricants de montres et les
né suite à la chute de Lip. Tous ces clichés ne sont pas exacts. Le quartz s’est formidable- ment développé dans les années soixante-dix et la chu- te de l’horlogerie française date des années quatre-vingt. À la fin des années soixan- te-dix, l’horlogerie française
“L’horlogerie française était sous pression des
capitaux suisses.”
avait retrouvé son rythme de croisiè- re, en volume grâce justement au quartz, certes importé. Le déclin de l’horlogerie française est principale- ment dû au choc que ce secteur a subi avec l’entrée des producteurs du Sud- Est asiatique sur le marché des montres. C’est donc bien la concur- rence asiatique qui a achevé l’horlo- gerie française. Et les énormes erreurs stratégiques des horlogers français.
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