Journal C'est à dire 229 - Février 2017

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“Un médecin dans chaque village, c’est terminé” Université Le numerus clausus fixant le nombre de futurs méde- cins passe de 176 à 186 à l’Université de Besan- çon. Suffisant pour attendre un effet à court terme ? Nouveau doyen de l’U.F.R. médecine, le Profes- seur Thierry Moulin répond.

Càd : La révolution numé- rique peut-elle répondre aux déserts médicaux selon vous ? T.M. : Imaginons des maisons médicales pluridisciplinaires dans le Haut-Doubs. Si les méde- cins ont besoin d’un avis avant de déplacer le patient à l’hôpi- tal de Pontarlier ou de Besan- çon, c’est plus simple d’avoir un lien Internet pour faire une télé- consultation. Cette révolution favorise le partage, conforte les prises en charge et rassure aus- si les patients. Càd : Vous êtes donc pour les maisons de santé ? T.M. : Oui. Il faut que la facul- té anticipe et forme les jeunes médecins dans ce domaine d’au- tant que le temps d’exercice par- tiel va s’intensifier avec la fémi- nisation. C’est un constat et il faut le prendre en compte. Là où il fallait deux personnes, il en faudra trois à l’avenir. Càd : Cette augmentation du numerus clausus n’est donc qu’un pansement. En aucun cas un remède. T.M. : Cela va atténuer. Il faut que les professionnels montrent une solidarité entre eux pour compenser les manques. Le mon- de libéral doit s’organiser com- me s’organisent les établisse- ments publics. Càd : Les mesures des col- lectivités comme les exoné-

rations de charges sont-elles connues des étudiants ? T.M. : Oui, c’est très bien et nous communiquons aux internes en lien étroit avec l’A.R.S. pour expliciter ces incitations depuis plusieurs années déjà. Mais cela montre des limites. Càd : Lesquelles ? T.M. : Même s’il y a des aides, les petits villages ne sont pas attractifs. Que chaque village ait son médecin à l’ancienne, c’est terminé. Càd : Comment faire alors pour attirer ? T.M. : Encore une fois, il faut des maisons médicales, des points de relais, comme avec des pharmacies équipées de cabines de télémédecine. Le numérique va nous aider à rendre l’accès plus équitable possible. Main- tenant, ce sont aussi les poli- tiques qu’il faut interroger et savoir si l’Internet à haut débit arrive bien dans la Haut-Doubs (N.D.L.R. : le secteur va accueillir la fibre optique). Les U.R.P.S. doivent favoriser les regroupe- ments et la création d’un tissu de médecins généralistes qui col- laborent pour irriguer le terri- toire. Càd : Grâce à leur position de force, on a l’impression que les jeunes médecins pren- nent en otage les territoires en demandant toujours plus. T.M. : Ce n’est pas très bon de commencer son exercice en fai- sant monter les enchères. C’est un peu comme les médecins qui

C’ est à dire : Près de 1 200 étudiants sont inscrits en première année à Besançon. Combien de places leur sont réservées cette année en médecine ? Thierry Moulin (Professeur de neurologie, doyen de l’uni- versité de sciences médicales et pharmaceutiques depuis janvier) : En 2017, le numerus clausus est de 186. Il a augmenté pour les médecins de 10 places (176 en 2016) mais ne devrait pas changer pour les kinési- thérapeutes, les pharmaciens. C’est une bonne chose que ce chiffre augmente car nous savons que nous aurons moins de méde- cins dans les années à venir. L’ef- fet du numerus clausus est à long terme. À court terme, on ressent les effets sur les internes qui sont environ 700 à Besan- çon, un chiffre qui augmente. Les gens qui ont 60 ans aujour- d’hui seront soignés par les élèves que nous formons. Càd : Ouvrir des postes, c’est bien. Cela ne risque-t-il pas d’abaisser le niveau ? T.M. : Non, on ne peut pas consi-

dérer que c’est une formation au rabais ! Il faudra simplement dispenser les stages pour cha- cun des internes, et disposer des enseignants qui vont avec. Càd : Comment expliquer le désintérêt des internes à s’éta- blir comme “médecin de cam- pagne” ? Quel message glis- sez-vous ? T.M. : Nous sommes face à une évolution sociétale. Nous allons de plus en plus vers un exerci- ce en regroupement. Il y a les maisons médicales qui sont une réponse. Cela favorise l’instal- lation à plusieurs. Les étudiants sont formés également à cet exer- cice de groupe. Càd : Les encouragez-vous à se regrouper ? T.M. : C’est un tournant irré- médiable. On ne peut plus exer- cer la médecine comme on le fai- sait à la fin du XIX ème siècle. Vu la densité des connaissances, l’exercice est partagé. Les patients souhaitent aussi avoir plusieurs avis. Le médecin seul, coupé de tous, c’est terminé. Une réponse vient également avec le numérique et la télémédecine.

Professeur de neurologie au C.H.R.U. de Besançon, Thierry Moulin est depuis janvier le doyen de la faculté de médecine.

vont en Suisse : c’est l’utilisa- tion de la santé dans un but com- mercial. Il faut donc trouver le bon équilibre. Càd : L’équilibre, c’est une augmentation de la consul- tation ? T.M. : Il faut probablement un peu plus que les 25 euros mais sans doute pas les 150 francs suisses. Il y a un delta à trou- ver. Mais ce n’est pas à la facul- té d’y répondre. Càd : Vous êtes donc contre la régulation des installa- tions. T.M. : Obliger quelqu’un à exer- cer à un endroit n’est pas la réponse miraculeuse. Il vaut mieux des mesures incitatives positives, c’est à chaque faculté qui forme, d’irriguer son terri-

toire. Quand vous êtes formé à Marseille, il y a peu de pro- babilité de tomber amoureux du Haut-Doubs au point de s’y ins- taller définitivement. C’est pos- sible, mais rare. De même que quand vous êtes Franc-Comtois, vous voyez peu d’étudiants aller s’installer en Corse. Càd : Espérons que le nombre d’étudiants haut-doubiens soit élevé… T.M. : Les facultés ont été faites pour drainer des étudiants du territoire plutôt que de tout concentrer dans les grandes villes. Quand vous avez passé 7 ans dans une ville, vous avez créé votre tissu et avez tendance à rester là où vous êtes. Il faut donc un U.F.R. fort et attractif. n Propos recueillis par E.Ch.

Médecin frontalier

Désabusée par l’évolution du cadre de la médecine générale, Valérie Debus- ne est partie exercer en Suisse où après un premier échec elle a trouvé son bonheur dans un cabinet d’indépendants. Un crève-cœur pour une vraie source d’épanouissement médicale

C’ est à dire : Qu’est-ce qui a motivé ce départ en Suisse ? Valérie Debusne : D’abord l’évo- lution très négative de la qualité d’exercice en France aussi bien sur plan de la valorisation que du poids des charges administratives alors qu’on aspire seulement à exercer son métier au mieux. Avec toutes ces contraintes, on n’a plus le temps d’écouter ses patients. Dans ces circonstances, on cherche

y a vingt ans lors de mon ins- tallation en France. J’ai retrouvé ce que j’ai perdu. On bénéficie d’une tarification valorisante. En Suisse, il y a une notion de coût réel de la santé. Les personnes viennent consulter pour de bonnes raisons. On sent un respect et une vraie valeur de l’acte médical. Cet épanouissement compense lar- gement les contraintes inhérentes aux trajets. Càd : Sous réserve d’une pla- ce en maison médicale, seriez- vous prête à revenir exercer en France ? V.D. : Je suis Française et reste attachée à la France mais, sin- cèrement, par rapport à l’accueil qui m’a été réservé là où j’exerce, ce ne serait pas du tout honnê- te. Mon seul regret, ce sont mes anciens patients que je revois encore. En Suisse, on ressent beau- coup moins de stress et on a plus de temps à consacrer à sa famil- le. On n’aura sans doute jamais cette qualité de vie en France même si j'espère l’inverse pour les nouvelles générations de géné- ralistes. n Propos recueillis par F.C.

Càd : Comment s’est passée l’installation en Suisse ? V.D. : D’abord par une expérien- ce très négative en cabinet de groupe où j’étais salariée. J’ai vite démissionné. En Suisse, il y a toutes sortes de manières d’exer- cer la médecine. Il faut relativi- ser. Le cadre est très strict, le par- cours de reconnaissance des diplômes est assez long. Ils ont les mêmes soucis de démographie

médicale que nous. Après cet échec, j’ai eu la chance d’intégrer un cabinet de groupe. On est cinq indé- pendants avec en commun une structure de locaux et des assistantes qui sont

toujours à se regrouper pour pouvoir échanger nos avis et se donner les moyens d’embaucher du personnel en secrétariat. J’étais donc partie pre- nante du projet de maison

“Je ne suis pas partie pour l’argent.”

à la fois secrétaires et infirmières. On bénéficie d’une belle dyna- mique de groupe et les méde- cins sont libérés des tâches hors médical. Là, c’est l’idéal par rap- port à mes attentes. Je ne suis pas partie pour l’argent mais pour trouver le temps et la qualité de travail. Càd : Épanouie donc ? V.D. : Oui, épanouie dans l’exer- cice de ma profession comme il

médicale à Pontarlier mais rien n’a bougé pendant des années. Je pense qu’on aurait peut-être dû nous proposer une solution grou- pée provisoire. Il y avait donc trop de décalage dans la réalisation et c’est la seconde raison qui m’a poussé à partir. Cette décision a été longuement réfléchie car c’est terrible de laisser des patients mais je me retrouvais trop dému- nie par rapport à la charge de tra- vail.

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