Journal C'est à dire 227 - Décembre 2016

L E P O R T R A I T

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Bonnétage Gérald Cattin, l’hôte des musiciens

Cela fait plus de vingt ans maintenant que Gérald Cattin est facteur d’orgues et de clavecins. Un travail hors du commun pour lequel il obtient peu à peu la reconnaissance de ses pairs et des musiciens.

vecin “un instrument qui éveille les cinq sens.” Contrairement à une idée reçue, ces objets sonores ne sont pas ringards, et pas seulement bons pour les musées. Au contraire, ils ont le vent en poupe. Au conserva- toire de Besançon, les classes d’orgue et de clavecin sont satu- rées ! Si le plaisir qu’il ressent à fabri- quer ces nobles instruments est intacte, il garde toujours à l’es- prit qu’il ne les fait pas pour lui, mais bien pour un musicien. “Quand je crée un orgue ou un clavecin, il est à l’image de son utilisateur. L’important est d’écou- ter les musiciens.” Actuellement, on joue sur ses instruments en Italie, en Espagne, en Slovénie, en France évidemment et en Franche-Comté en particulier. Le facteur fabrique pour des par- ticuliers ou des structures com- me le Conservatoire de Besan- çon. Avec le temps et l’exigence qu’il s’impose pour maintenir un haut niveau de qualité de fabrication de ses instruments afin de ne pas les dénaturer, Gérald Cat- tin commence à être reconnu par les musiciens (Pierre Han- taï et Gustav Leonhardt ont joué sur ses clavecins), et les hommes de l’art. Ainsi, récemment, lors d’un salon à Paris, il a reçu la visite d’Émile Jobin, un maître pour les facteurs d’orgues et de clavecins. Il l’a encouragé à pour-

G érald Cattin exerce un métier où l’à-peu-près n’a pas sa place. Seules comptent la précision, la rigueur, la concentration. Une exigence que lui impose la musique s’il veut que les ins- truments qu’il manufacture libè- rent un son juste. Cet homme de 42 ans est facteur d’orgues et de clavecins. Ils ne sont qu’une poignée en France à maîtriser ce double savoir-faire. Dans son atelier de Bonnéta- ge où il est installé, l’artisan fabrique ces deux types d’ins- musique baroque où ils jouent ensemble. D’ailleurs, à l’époque, on était facteur d’orgues et de clavecins du roi” raconte Gérald Cattin. S’il est régulièrement sollicité pour restaurer des pièces d’égli- se par exemple, ce profession- nel est surtout connu pour ses créations. Les musiciens qui interprètent un répertoire baroque viennent à lui afin de lui confier la fabrication de leur instrument qui ne ressemblera truments, l’un à vent, l’autre à cordes. “Ce sont deux métiers différents. Néanmoins, l’orgue et le clavecin sont indis- sociables dans la

à aucun autre. “Dans la créa- tion, j’ai une totale liberté. Les clients me font confiance et me laissent toute latitude pour créer. À chaque nouveau projet, je pars d’une feuille blanche. Si on espè- re un résultat, il y a, malgré tout, toujours une part d’inconnue. En cela, c’est très grisant de construire un instrument de A à Z” dit-il. Avec l’expérience, l’ar- tisan parvient à maîtriser les aléas qui s’invitent dans le pro- cessus de fabrication et qui sont liés aux propriétés intrinsèques du bois qu’il façonne. “Il faut sentir la matière pour faire sonner l’instrument comme on le souhaite. Il faut aussi une oreille et une bonne analyse du son” confie Gérald Cat- tin qui est facteur depuis main- tenant 22 ans. En ce qui le concerne, ce métier n’est pas une vocation. Il y est venu par hasard, lorsque Marc Garnier, facteur d’orgues aux Fins, lui a proposé de le rejoindre alors qu’il achevait sa formation aux métiers du bois (école de Mouchard et formation en archi- tecture à Claude-Nicolas Ledoux à Besançon). “Finalement, il m’a proposé un apprentissage. La première fois que j’ai vu un orgue,

c’était de l’hébreu pour moi” se souvient amusé Gérald Cattin qui va alors passer trois ans au Centre National de Formation de la Facture d’Orgues à Eschau (Bas-Rhin). Son diplôme en poche, il va travailler pendant dix ans aux côtés de Monsieur Garnier. “C’est un des meilleurs” reconnaît-il à propos de celui qui lui a transmis la passion pour cette profession atypique. Depuis, Gérald Cattin a chemi- né. Il a travaillé en Suisse à la Manufacture d’orgues Saint- Martin près de Neuchâtel. Mais c’est en se mettant à son comp- te qu’il va trouver sa voie après avoir fabriqué dans son gara- ge un orgue et un clavecin, qui trône dans son salon. “J’ai pas- sé dans ce projet 3 000 heures de travail” annonce-t-il. Mais cette aventure folle l’a confor- té dans son envie de voler de ses propres ailes. “Je n’ai pas mon- té mon entreprise. J’ai intégré la société coopérative Coopilote qui m’a permis d’accéder à un sta- tut d’entrepreneur salarié.” Désor- mais, le facteur emploie une per- sonne. Sa passion pour les instruments qu’il fabrique ne le quitte pas. L’orgue reste à ses yeux un “ins- trument merveilleux” et le cla-

“Il est à l’image de son utilisateur.”

Gérald Cattin fabrique des instruments dont la longévité va à contresens des modes de consommation.

suivre dans sa voie. Cet été, Gérald Cattin a eu l’hon- neur de fournir des instruments à Jordi Savall (viole de gam- be) et à son ensemble orchestral lors des concerts qu’il a donné en Franche-Comté, notamment à la Saline Royale d’Arc-et- Senans. “À chaque concert, j’ai

accordé les instruments. C’est une reconnaissance énorme pour moi” confie Gérald Cattin. Lorsque l’artiste s’incline devant son public à la fin d’un spectacle, les applaudissements vont aus- si au facteur qui contribue à fai- re vivre la musique baroque. n T.C.

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