Journal C'est à dire 222 - Juin 2016

L E P O R T R A I T

Morteau

Jean-François Bland, toujours impertinent Il a quitté le Haut-Doubs il y a une dizaine d’années, mais dans le Val de Morteau on se souvient enco- re de lui. Jean-François Bland, l’animateur vedette de R.G.D. a marqué les esprits par son impertinence. Au moins, avec lui, la radio locale avait de la gueu- le ! Portrait d’un radio-flingueur qui s’autorisait tout.

P our certains, il vit dans le Sud de la France. Pour d’autres, il erre à travers le pays, dor- mant dans la rue sous des car- tons. Pour d’autres encore, il est tout simplement… mort. Bref, il y a longtemps dans le Val de Morteau que les rumeurs et les suppositions ont scellé le sort de Jean-François Bland. Erreur ! Il n’est ni méridio- nal, ni S.D.F. et encore moins six pieds sous terre ! L’anima- teur vedette de R.G.D., “la radio du Haut-Doubs et des mon- tagnes neuchâteloises” coule des jours heureux à Beauvais, dans l’Oise, depuis bientôt dix ans, auprès de sa compagne. “Je vais très bien, merci” annon- ce tout sourire Jean-François avoir passé la main à l’anten- ne. Un silence radio soudain, en rupture avec les années durant lesquelles il a tenu le micro. Nous avons retrouvé sa trace fortuitement, un jour de prin- temps, dans le journal de Fran- ce 3 Région, lors d’un repor- tage consacré aux problèmes de stationnement autour de l’aé- roport de Beauvais. Il y témoi- gnait en tant que riverain. Pas de doute, c’était bien lui avec son collier de barbe désormais grisonnant et ses petites lunettes. Le risque d’homonymie fut défi- nitivement écarté en entendant sa voix. Une voix de radio recon- naissable à son timbre aux accents mêlés de Paris et de Lyon, sa ville natale. Une voix qui tranche avec le parler franc- comtois et qui était devenue familière aux gens du Haut- Doubs à force de l’entendre sur les ondes en local vingt ans durant. La voix de R.G.D. en somme qui a laissé dans le Val de Morteau le souvenir d’un ton impertinent. Jean-François Bland a joué de sa gouaille dans le but de créer ce que l’on appelle aujourd’hui, du buzz. Peu importe que son style inhabituel énerve, agace, insupporte ou fasse rire, une fois à l’antenne, il balançait à la première occasion sans se soucier du “qu’en-dira-t-on”. “Je n’ai jamais eu ma langue dans la poche assume-t-il. Si j’ai envoyé des gens sur les roses, c’était à juste titre. Mes attaques étaient toujours fondées. Je leur donnais la parole pour qu’ils répondent. Certains la prenaient, d’autres pas. On a souvent cher- ché à me faire taire. J’ai tout eu, même des menaces de mort” raconte le radio-flingueur aux coups de gueule mémorables Bland qui vient juste de fêter ses 64 ans. Il faut dire que le Mor- tuacien d’adoption avait disparu de la cir- culation depuis 2005, peu de temps après

dont certains lui ont valu de se faire remonter les bretelles par le C.S.A. Des auditeurs avaient fini par le détester, mais conti- nuaient à tendre l’oreille vers le transistor en attendant le prochain carton de l’animateur contre un commerçant, des doua- niers, des politiques ou n’im- porte quel quidam qui lui avait déplu. Les intéressés se recon- naissaient. Les échanges étaient gratinés. À l’inverse, il savait être généreux avec ses amis comme l’accordéoniste Pilou. Jean-François Bland était l’A.D.N. de R.G.D., la station qu’il a créée avec quelques copains dans la foulée de l’élec- tion de François Mitterrand en 1981. À l’époque, en arrivant au pouvoir, la gauche a libéré dredi, le samedi et le dimanche. Il n’y avait qu’à installer un émetteur sur le toit pour passer de la musique sur les ondes. C’est comme cela qu’est née Radio Grand Duc tout d’abord. Puis en 1983, nous nous sommes installés dans la ferme des Arces et nous sommes devenus Radio Grande Diffusion” raconte Jean- François Bland. Il gérait la radio associative en parallèle de son métier de comptable à la conces- sion Barbier-Dubois de Mor- teau. “R.G.D. a vécu avec des bénévoles et en bonne partie avec mon argent. Nous n’avons pas demandé de subventions” dit- il. Pour se démarquer de Radio Val de Morteau (R.V.M.) qui avait pris la place la premiè- re sur le secteur, l’animateur a donné une couleur différente à sa station. Tout d’abord il a apporté à ce média une dimen- sion transfrontalière assumée avec un jingle explicite : “R.G.D., la radio du Haut-Doubs et des montagnes neuchâteloises”, ce qui était nouveau pour l’époque. Le succès de R.G.D. est venu de la personnalité des anima- teurs et de la grille des pro- grammes, ouverte. Parmi les émissions phares de la station, il y avait Whisky Time, le dimanche soir, inspirée des Grosses têtes, un rendez-vous durant lequel Jean-François Bland et sa bande “d’incollables” dont faisait partie Sonia, devaient résoudre les énigmes que leur posaient les auditeurs. “Les gens gagnaient des bou- teilles de whisky !” Une émis- sion de bonne humeur où l’al- cool circulait aussi derrière les micros lorsque “Jeannot” se met- tait à imiter Bourvil ou De Funès suivi d’un “Je me mar- re” ou d’un “Enfoiré” , des expres- sions de Coluche qui étaient les ondes. Ainsi, partout en France, se sont créées des radios libres. “Ça a fait tilt. À ce moment- là, je travaillais à la dis- cothèque le Grand Duc en tant que D.J. le ven-

“On a souvent cherché à me faire taire.”

Jean-François Bland, saxophoniste à ses heures, a encore des attaches dans le Val de Morteau. Il y revient en général une fois par an voir des amis.

devenues les gimmicks de R.G.D. Radio Grande Diffusion, c’était aussi cette émission de rock’n’roll où Jean-François Bland piochait dans sa collec- tion de disques personnelle, pro- mettant aux auditeurs que chaque titre qu’il entendait était une “exclusivité R.G.D.” Un des rendez-vous attendus était les dédicaces. “C’était la foire. L’émission cartonnait au point que les annonceurs se battaient pour y passer leur pub. Il fal-

lait que ça remue” s’amuse-t-il. Mais R.G.D., c’était également une émission religieuse le dimanche matin, un moment d’échange où chacun pouvait intervenir quelle que soit sa confession. “Donner la parole aux auditeurs, c’était notre truc” se souvient l’animateur qui a conduit divers débats à l’an- tenne dont des débats politiques, ou des débats à propos de pro- jets structurants comme la rou- te des Microtechniques. Désormais, Jean-François Bland

vit loin des micros. Il a renoué avec ses anciens métiers, his- toire de patienter jusqu’à sa retraite prochaine. Le sexagé- naire effectue des vacations à l’A.F.P.A. de Beauvais et au G.R.E.T.A. dans le bâtiment. Il est aussi auto-entrepreneur dans ce même secteur d’activi- té. La radio est derrière lui. Sa passion pour le micro a fini par s’estomper au début des années 2000. “J’en avais ras-le-bol. La transmission de la station a été douloureuse. Je suis parti un

peu fâché du Haut-Doubs” concède Jean-François Bland. S’il a tourné la page R.G.D., il ne l’a pas déchirée. Ses cheveux ont blanchi mais l’âge ne l’a pas assagi. Il s’apprête à revenir sur cette aventure radiopho- nique unique dans le Haut- Doubs dans un livre “20 ans de radio” qu’il prépare pour 2017. Un ouvrage sans langue de bois dans lequel il va régler ses comptes. ça va causer dans le poste. Parole de Bland. n T.C.

Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online