Journal C'est à dire 216 - Décembre 2015

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D O S S I E R

Éclairage

“La solution passe à mon avis par la taxe carbone” Originaire de Thiébouhans, Frédéric Parrenin est un scientifique glaciologue et paléo- climatologue dont le métier est de faire parler la calotte glaciaire qui n’est ni plus ni moins qu’une archive paléoclimatique naturelle. En étudiant celle-ci, il est capable de reconstituer l’évolution du climat et des teneurs en gaz à effet de serre, et a donc une idée très précise sur ce qui nous attend. Et des solutions à proposer.

C’ est à dire : Quelle est la situation du climat aujourd’hui ? Frédéric Parrenin : Le réchauf- fement climatique est aujour- d’hui scientifiquement prouvé et reconnu. Les 30 dernières années sont la période de 30 ans la plus chaude qu’ait connue la Terre depuis 1 400 ans. Autre constat, sur les dix premiers mois de l’année 2015, six sont parmi les plus chauds jamais enregistrés. Càd : On nous parle d’une température qui a augmen- té d’1 °C… Une broutille ! F.P. : Il faut bien comprendre que l’on parle de moyennes. Et aussi qu’il faut ajouter 50 % de plus sur les continents (soit 1,5 °C), là où vivent les humains. Et ce n’est que le début : les pré- visions sont de 4 à 5 °C à la fin du siècle si nous ne faisons rien. Soit un réchauffement égal à celui qu’a connu la Terre pour passer d’une période glaciaire à une période interglaciaire.

Càd : Concrètement, qu’est- ce que cela implique ? F.P. : D’abord un niveau des mers qui est monté de 19 cm et pourrait atteindre un mètre de plus d’ici 2100, plaçant sous les eaux le Bangladesh, la Flori- de, les Pays-Bas ou encore New York et Venise par exemple. En termes de précipitations, nous allons vers des régions sèches qui le seront encore plus et des régions humides qui elles aus- si le seront encore plus. Le

de tempêtes… Et bien entendu en France et en Franche-Com- té en particulier des consé- quences autant sur les cultures que sur les forêts. Les pays les moins touchés auront aussi à accueillir des réfugiés clima- tiques venus de terres qui ne seront plus habitables. Càd : Le tableau semble très noir. Quelles solutions exis- tent selon vous ? F.P. : L’objectif fixé par les États

Le glaciologue basé à Grenoble est aussi le fils de Joseph Parrenin, l’ancien maire de Maîche.

contraste entre les deux augmente. Sans oublier un autre phénomène, la disparition d’ici 2050 de la banquise arctique estivale. Au final, c’est tout un écosystème qui va disparaître.

réunis à la conférence de Copenhague en 2009 était de limiter l’augmentation de tem- pérature à 2 °C. Nous en sommes déjà à + 1 °C… La solution passe à mon avis par la

point de vue économique.

matique.

de 30 % de nos émissions. Consommer moins de viande, et en particulier moins de vian- de bovine, est donc une autre piste à explorer. Propos recueillis par D.A. Frédéric Parrenin tiendra une conféren- ce sur le réchauffe- ment climatique lundi 21 décembre

“Consommer moins de viande bovine.”

Càd : Encore un impôt peut- on répondre… F.P. : Oui. Mais un impôt, c’est de l’argent qui est prélevé pour limiter de mauvaises pratiques et qui est redistribué pour en favoriser d’autres. Cet argent doit servir à financer les éner- gies propres, comme le solaire et l’éolien, qui sont d’ailleurs de plus en plus compétitives et donc des alternatives crédibles. Il doit aussi servir à indemniser les victimes du réchauffement cli-

Càd : Le citoyen lui aussi a sa part de responsabilité et donc doit agir ? F.P. : Réduire l’émission de gaz à effet de serre est en effet l’affaire de tous. Chauffer une maison pendant un an émet par exemple 1,5 tonne de carbone. L’amélioration de l’isolation est donc importante. Autre chiffre, 15 000 km parcourus en voi- ture, c’est 1 tonne de carbone… Quant à la nourriture, il faut savoir qu’elle est responsable

taxe carbone sur toute la pla- nète et gérée par l’O.N.U. Les industries qui extraient les éner- gies fossiles comme le gaz, le charbon, le pétrole doivent la payer. Le Nobel français Jean Tirole a d’ailleurs montré que c’était sans doute la meilleure solution sur le long terme d’un

Càd : Ces phénomènes peu- vent paraître lointains pour beaucoup… F.P. : On peut alors aussi évo- quer la multiplication des évé- nements météorologiques extrêmes avec plus de canicules, de sécheresses, d’inondations,

à 19 heures salle Ducreux à Maîche

Températures : chaud devant ! Statistiques Au cours du XX ème siècle, la température moyenne a aug- menté d’environ 0,7 °C en Franche-Comté, avec une nette accélération depuis la fin des années 1970. Ce constat énoncé par le directeur régional de Météo Fran- ce Bruno Vermot-Desroches mérite d’être détaillé pour en comprendre l’évolution comme les conséquences. Des années et des faits 1956 fut lʼannée la plus froide avec un hiver où les tempéra- tures furent basses et un été marqué par la fraîcheur. 2014 a été lʼannée la plus chaude malgré un été maussade et pluvieux. Mais les trois autres saisons ont été particulièrement douces. 1921 fut lʼannée la plus sèche avec à peine la moitié de la plu- viométrie habituelle.

La région souffle le chaud… Avec plusieurs canicules déjà avant cette année 2015 où il fait très chaud dans la journée, au moins 30°, mais que surtout les températures la nuit ne descendent pas en dessous de 20°. En 1911 : 26 jours (max 36,8 °C) En 1947 : 13 jours (max 36,2 °C) En 1976 : 15 jours (max 33,8 °C) En 2003 : 13 jours (max 38,3 °C) En 2006 : 17 jours (max 35,5 °C) Le record à Besançon est de 40,3° a pourtant été enregistré en dehors dʼun épisode caniculaire en juillet 1921. …et le froid ! Mouthe est considéré comme le village le plus froid de Fran- ce. On y a en effet relevé la température minimale record, mais non officialisée par Météo-France, pour la France métropolitaine de - 41 °C. En 1985. Le plus bas est officiellement - 36,7 °C le 13 janvier 1968. Une année sur deux, le thermomètre descend en dessous de - 25 °C, alors que le seuil de -30 °C est franchi en moyenne 1 année sur 8. Dʼautres zones présentant les mêmes particula- rités géographiques connaissent également des températures très basses notamment sur les plateaux du Russey et de Maîche…

“P our simplifier, on assis- te à des hivers plus doux et des étés plus chauds” résume le scientifique qui évoque, de l’agriculture au tourisme en passant par la bio- diversité, de multiples secteurs qui ont pu constater depuis 30 ans, les effets de l’évolution cli-

matique au niveau régional. Éva- luer l’ampleur du changement climatique dans les prochaines décennies est pourtant un exer- cice difficile auquel s’est prêté Météo France qui a affiné son approche régionale classique à partir des modèles de simula- tion nationaux comme la tem- pérature, la pluviométrie, les jours de gel, les jours de cani- cule… Résultat, une simulation à l’échelle régionale montre que la Franche-Comté met le cap au Sud ! Des simulations de tempéra- tures et de précipitations ont été réalisées à trois horizons, 2030, 2050, 2080. “Il s’agit de rechercher quelle ville européenne a actuellement le climat de Besançon à un horizon futur. Les villes correspondantes sont dénommées analogues.” L’étude de Météo France met en avant une continuité dans le

1893 a été marquée par une sécheresse qui sʼest étalée du printemps à lʼautomne, la pire jamais constatée depuis le début des relevés. 1898 et tout juste un siècle plus tard avec 1998 ont connu un mois de janvier sans le moindre flocon de neige. 1893, en avril à Besançon, ce fut lʼunique mois dans lʼhistoire sans la moindre goutte de pluie.

réchauffement constaté depuis 30 ans. La température moyen- ne pour la période 1971-2000 était de 10,5 °C alors qu’elle s’élève de 1990 à 2009 à 11,2 °C. “Les simulations montre à

à l’horizon 2050 serait semblable à celui que connaît Arezzo en Toscane” explique Bruno Ver- mot-Desroches. À l’horizon 2080, le climat actuel de Ioannina en Grèce est donné par Météo- France comme le plus probable.

l’horizon 2030 un réchauffement de 1 à 1,5 °C puis de 2 à 2,5 °C d’ici 2050 et enfin une évolution de la tempé- rature moyenne en 2080

Un inexorable glissement vers le Sud.

Le modèle climatique aura donc subi une double évolution avec d’une part une aug-

de 3,5° à 4 °C !” Voilà pour les chiffres. Concrètement, c’est un peu comme si la région se dépla- çait vers le sud de la France, puis de l’Europe… “Selon ces projections, le climat bisontin

mentation de la température annuelle moyenne et d’autre part une modification du régi- me annuel de pluviométrie, cel- le-ci étant notamment en forte diminution en été.

Le 10 décembre, plus aucune trace de neige dans le Val de Morteau et des températures clémentes.

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